Cannes 2018 : On a parlé humour et sextape avec l'équipe d'"À genoux les gars", bijou d'Un Certain regard
"À genoux les gars", d’Antoine Desrosières, présenté dans la sélection Un Certain regard, est un bijou. La pierre est parfois mal polie mais elle porte fière ses petites imperfections. Violence, humour, fraîcheur et énergie se disputent la partie dans un film qui se passe en banlieue mais qui ne parle pas de la banlieue. Les dialogues, la langue d’"À genoux les gars", sont des coups de poing parfois durs à encaisser.
Point de départ du film : le récit d’un chantage à la sextape. Salim, le petit copain de Yasmina, n’a rien trouvé de mieux que de la menacer de diffuser une vidéo très compromettante si celle-ci n’assouvit pas ses désirs... Dans sa mécanique diabolique, le chantage implique par corrélation également la sœur de la jeune femme et son petit ami, "frère d’armes" de Salim. Mais c’est sans compter la force du lien familial, l’intelligence de ces jeunes femmes et l’instinct de survie. Le film se transforme dès lors en un manifeste pour la liberté. Simple, presque pudique malgré les mots crus.
Le film s’est inspiré d’un témoignage…
Antoine Desrosières : Après "Aramiste", sorti en 2015, qui a été le laboratoire de notre travail ensemble, on a été à la croisée des chemins de plein d’histoires, et celle-ci est venue à nous. Ce témoignage saisissant, bouleversant, tragique, il y avait tout. Il nous a semblé devoir le raconter, donner une raison d’être à continuer de travailler ensemble.
L’une des dernières chansons du film dit dans son refrain "Je suis libre". Le thème de votre film pourrait être celui-là : comment j’ai acquis ma liberté.
Antoine Desrosières : Vous avez raison. C’est ce à quoi le film aboutit. Mais pour arriver à ça le film traverse de sacrées histoires.
Comment avez-vous perçu le projet au moment de l’écriture du film ?
Inas Chanti : Pour moi c’était un film sur le consentement : je voulais montrer que ce n’est pas parce qu’il n’y pas de violence que c’est moins grave, que ce n’est pas un viol, que ce n’est pas une agression. En fait aujourd’hui souvent une femme va dire qu’il lui est arrivé un truc grave et on va lui c’est bizarre, t’as pas de bleus, t’as rien en fait, on ne va pas la croire. Et je trouve ça horrible, parce que c’est une double souffrance : la personne, elle vient de subir un truc affreux, et on ne la croit pas, on l’enfonce.
Antoine Desrosières : Pour revenir à votre propos sur la liberté, le film part de la réalité et va jusqu’à l’utopie. D’ailleurs, le témoignage dont il est inspiré ne finit pas comme le film. Le film ne se contente pas de dénoncer les abus, il propose un monde dans lequel le sexe et l’amour consensuel et le respect de l’égalité du droit au désir et au plaisir des filles et des garçons seraient une réalité. Un monde dans lequel les femmes seraient les plus heureuses, mais les hommes aussi. Le film lorgne vers cette utopie là en ne la présentant pas comme inaccessible.
On est mal à l’aise en regardant le film…
Inas Chanti : Moi aussi je le suis.
Antoine Desrosières : À chaque fois que je vois le film je suis mal.
… Parce qu’on se dit que quelqu’un qui est sympathique ne peut pas se comporter de façon aussi abjecte. C’est la violence. Vous faites passer cette violence par l’humour.
Inas Chanti : En gros, on dissocie la situation de la personnalité des personnages. Les personnages sont drôles de base, c’est leur trait de caractère. Ils le sont malgré eux. Eh bien c’est des connards. Ca arrive ! A mon avis, des violeurs, il y en a des sympathiques dans la vie ! Et nous dans le film on a juste traité les deux séparément. On a fait une comédie, avec des personnages drôles, des répliques drôles, mais une histoire dramatique.
Antoine Desrosières : L’humour et le malaise font bon ménage. Notre film, on l’a fait aussi pour s’adresser aux petits cons. Ceux-là n’iront pas voir la tragédie, mais iront peut-être voir la comédie. Et la comédie va sans doute réussir à planter dans le cerveau des questions qui les feront un peu progresser dans leur positionnement vis-à-vis du consentement.
Comment vous êtes-vous embarquées dans cette écriture ?
Souad Arsane : Il y a une grande confiance mutuelle dans l’équipe. Et un partage : on s’échange nos idées, on se pose des questions, on fait en sorte que tout le monde soit d’accord, on ne force rien, on a beaucoup communiqué nos dialogues.
Et comment s’est créé le langage sur lequel repose le film ? Des dialogues d’ailleurs pas toujours faciles à comprendre pour les non-initiés…
Inas Chanti : Je ne peux pas vous répondre, on était dans l’improvisation en répétition et j’ai l’impression que quand je suis en improvisation je suis complètement folle, j’ai des idées tellement loufoques et quand je revois des scènes… Par exemple celle où le garçon joue à Pacman, c’était mon idée, je me suis dit : mais comment j’ai pu penser un truc pareil ?
Souad Arsane : Il suffit juste de poser une situation et ça vient tout seul. Comme pour beaucoup de personnes, le plus difficile, c’est d’avoir le début. Ce qui nous facilitait la chose, c’est qu’Antoine nous donnait la situation. Parfois on restait quelques minutes à tourner en rond : "Ça va ? Oui, ça va…." et puis d’un coup il y en a une qui lâche une phrase… Avec Inas il suffit que l’une dise une phrase qui parle à l’autre que celle-ci rebondit et surenchérit. Et ça peut partir jusqu’à une heure d’improvisation.
Comme le cuisinier qui cherche ses ingrédients…
Inas Chanti : Oui, mais là c’est un cuisinier qui a ça dans le sang.
La provocation me paraît être l’un des ingrédients de votre écriture. Je me trompe ?
Souad Arsane : Oui, quelque part il y a de la provocation. On cherche à provoquer justement les mecs, les hommes, les gars, les petits cons comme les appelle Antoine. Pour leur dire : Eh, redescendez parce que ce que vous faites ce n’est pas bien, c’est mal. Vous ne devez pas céder à vos désirs sous prétexte que vous pensez être "le sexe fort" ! Vous n’êtes pas le sexe fort. Vous êtes juste frustrés, vous avez un complexe d’infériorité et vous voulez le compenser de cette façon-là, en forçant les femmes à faire des choses qu’elles n’ont pas envie de faire. Oui, c’est clairement de la provocation.
Quel autre ingrédient avez-vous mis ?
Inas Chanti : Moi c’est l’humour. Chez moi tous les ressentis passent par l’humour, même dans la vie personnelle, si je suis blessée par exemple, je fais passer ça par l’humour.
Antoine Desrosières : Pour moi c’est la recherche.
Inas Chanti : C’est-à-dire que si moi je propose quelque chose dans les dialogues, lui il va me dire : et maintenant pense à la possibilité contraire. Exemple : mon personnage est pour les gays. Et il lui il va dire : maintenant fais-le discours homophobe (référence à une scène du film).
Antoine Desrosières : C’est-à-dire que je demande aux filles de défendre des points de vue qui ne sont pas du tout les leurs. C’est pour ça qu’elles ont joué tous les rôles en répétition, y compris ceux des garçons. Elles ont une telle connaissance sur l’humanité qu’elles sont capables de se mettre dans la peau de tous les personnages.
Inas Chanti : Y compris ceux qu’on déteste.
Et vous Souad Arsane, votre ingrédient ?
Souad Arsane : Sincèrement je ne saurais pas dire… Il y a deux sortes de langages : le langage de la parole et le langage physique. Je n’arrive pas à m’exprimer avec la parole. Je ne finis jamais mes phrases, je bégaye, je me répète… Alors que je suis très expressive avec mon visage, tout parle par mon regard…
LA FICHE
Réalisateur : Antoine Desrosières
Pays : France
Acteurs : Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai, Mehdi Dahmane
Sortie : 20 juin 2018
Synopsis : En l'absence de sa sœur Rim, que faisait Yasmina dans un parking avec Salim et Majid, leurs petits copains ? Si Rim ne sait rien, c'est parce que Yasmina fait tout pour qu'elle ne l'apprenne pas. Quoi donc ? L’inavouable… le pire… la honte XXL, le tout immortalisé par Salim dans une vidéo potentiellement très volatile.
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