Deux plans de réalitéLa portée romanesque et dramaturgique du cinéma de Nuri Bilge Ceylan, liée à un soin atmosphérique apporté à l’image, marquent la patte du réalisateur turc. La traduction des sentiments amoureux ("Les Climats") ou familiaux ("Winter Sleep"), aux réminiscences tchekhoviennes, sont d’autres constances. À ce titre, le cinéaste est particulièrement apprécié par l’ancien président du Festival de Cannes Gilles Jacob et de nombreux cinéphiles. Dans "Le Poirier sauvage", la référence littéraire domine avec l’histoire d’un féru de littérature, de retour au pays natal, confronté à un père dont les affres l’empêchent de réaliser son rêve d’être publié. De retour dans sa petite ville, Sinan (Ahmet Rıfat) retrouve de vieilles connaissances, s’entretient avec elles de l’amour, la création littéraire et artistique, la philosophie, la religion… Parallèlement, il s’oppose à un père respecté, à l’esprit libre, qu’il rejette, tout comme son milieu aux antipodes de ses ambitions démesurées.EgotismeCes rencontres et dialogues avec une jeune femme qui aurait pu être son amante, un écrivain régionaliste reconnu, un intellectuel et deux imams qu’il fréquentait avant leur sacerdoce et son départ pour suivre ses études, constituent le noyau dur du film. De très longs échanges qui prennent la majeure partie de sa durée, passés autour d’une table, ou lors de marches plus ou moins prolongées. Si l’on fatigue un peu à les suivre, le premier dialogue, consacré à l’amour, est d’une très grande beauté, tant dans sa mise en image que son contenu. "Le Poirier sauvage" de Nuri Bilge Ceylan (Nuri Bilge Ceylan films) Le rapport au père et à la famille constitue l’autre pendant du film, comme son fil rouge. Dans l’un comme dans l’autre, Sinan apparaît d’une assurance infaillible, atteignant jusqu’à l’égotisme. Ce qui aboutit à un personnage peu empathique qui se fâche à chaque conversation avec tout le monde, ou provoque l’ire de ses interlocuteurs. L’épilogue renverse la vapeur, Sinan prenant en pleine face une leçon de vie. Toujours à la tête d’une mise en scène contemplative et concordante à son propos, Nuri Bilge Ceylan verse dans l’intellectualisme avec plus ou moins de bonheur, mais parvient tout de même à garder l’émotion. "Le Poirier sauvage" : l'affiche (Memento Films Distribution) LA FICHEGenre : DrameRéalisateur : Nuri Bilge Ceylan Pays : Turquie / France / Allemagne / Bukgarie / Macédoine / Bosnie / SuèdeActeurs : Ahmet Rıfat Sungar, Murat Cemcir, Hazar ErgüçlüDurée : 3h08Sortie : 15 août 2018Synopsis : Passionné de littérature, Sinan a toujours voulu être écrivain. De retour dans son village natal d’Anatolie, il met toute son énergie à trouver l’argent nécessaire pour être publié, mais les dettes de son père finissent par le rattraper…