"Bye bye Tibériade" : le récit émouvant d’une Palestine déchirée par l’actrice Hiam Abbass et sa fille Lina Soualem

L’actrice Hiam Abbass raconte à sa fille, la réalisatrice Lina Soualem, l’histoire de sa famille et de son exil de Palestine dans "Bye bye Tibériade", un documentaire en salles le 21 février, qui rappelle l’ancrage des Palestiniens à leur terre.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'actrice Hiam Abbass et sa fille, la réalisatrice Lina Soualem, dans le film-documentaire "Bye bye Tibériade". (FRIDA MARZOUK / BEALL PRODUCTIONS)

L’exil, la peur de tout voir basculer du jour au lendemain et apprendre à apprécier toutes les petites choses. C’est l'histoire de l’actrice palestienne Hiam Abbass. Et pas seulement la sienne. Celle des femmes de sa famille restées au pays ou pas. Ses sœurs, sa grand-mère, ses amies, ses tantes et aussi sa fille Lina Soualem, réalisatrice du documentaire Bye bye Tibériade, en salles le 21 février.

Tibériade est une station balnéaire bâtie autour du lac de Tibériade en Galilée. "Toute mon enfance, ma mère m’a emmenée se baigner dans ce lac", raconte Lina Soualem au début du film. Le documentaire est un livre visuel de souvenirs et d’images d’archives de la famille maternelle de Lina Soualem. C'est un voyage venant compléter des zones d’ombres. Des moments de vie flous et une histoire familiale que Lina ne connaissait pas vraiment.

"Vous allez m’enterrer et enterrer mon histoire"

"Cette littérature, cette langue, qu’est-ce que j’aurais aimé que tu la connaisses !", lance Hiam Abbass à sa fille après avoir lu un poème en arabe. "Je sais parler, c’est juste que je ne sais pas lire", rétorque Lina. Née à Paris, Lina passe ses étés à Deir Hanna avec sa grand-mère Neemat. Première femme de la famille à naître loin du village familial, Lina décide d’ouvrir "les douleurs du passé", afin de capturer un lieu menacé de disparaître à tout jamais.

Les histoires des femmes de la famille s’imbriquent entre elles. D’abord, celle de la mère de Lina, Hiam quittant le village à la fin des années 1980 pour vivre le rêve américain et embrasser le monde du cinéma. Sa carrière internationale est marquée par son rôle dans Les Citronniers d’Eran Riklis et plus récemment dans la série Succession. L'histoire familiale, c’est aussi celle de la grand-mère de Lina, Neemat séparée de sa sœur Hosnieh lors de la Nakba (l'exode forcé) des Palestiniens en 1948. C’est également celle de l’arrière-grand-mère Um Ali qui s'est battue pour reconstruire un foyer après avoir été chassée.

"Bientôt, je vais mourir, vous allez m’enterrer et enterrer mon histoire, mes prières et mes souvenirs", dit tristement Neemat. Lina organise un retour aux sources, accompagnée de sa mère qui éclate en sanglots en retournant dans la maison familiale. Les plaies sont encore ouvertes. Hiam Abbass est tiraillée par ses choix du passé, tout quitter pour une vie de liberté. On sent dans le documentaire les non-dits, les discussions restées sans réponse et les douleurs qui les accompagnent. On circule avec Lina dans cette maison, dans ces rues étrangement calmes de Deir Hanna où Palestiniens et Israéliens semblent cohabiter en se tolérant. Que va devenir ce village ? Ces maisons sont-elles encore debout depuis le 7 octobre ?

Destins de femmes

Sur le balcon familial, où Hiam laisse son regard s’abandonner à la mélancolie, on retrouve Lina enfant dans une vidéo d’archive de juillet 1992. Dans le documentaire, Lina en apprend plus sur les fractures qui ont bouleversé sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant. Hiam Abbass raconte sa vie loin de sa famille avec qui elle avait coupé les ponts. Le poids des traditions, le mariage, mais surtout une ville où Hiam étouffe. Le village de Deir Hanna est sous contrôle de l’armée israélienne. Impossible pour les habitants de prononcer le mot de Palestine. Pas de cinémas, pas de théâtre. Pour Hiam, la seule échappatoire est l’écriture. Écrire ses rêves les plus fous, ses envies d’ailleurs. Hiam Abbass a voulu dépasser les frontières.

L'actrice Hiam Abbass et ses sœurs pour le film-documentaire "Bye bye Tibériade". (FRIDA MARZOUK / BEALL PRODUCTIONS)

"Je suis née de ce départ, de cette rupture entre deux mondes", explique Lina Soualem née du mariage de Hiam Abbass avec le comédien Zinedine Soualem. La naissance de Lina a changé les relations de Hiam avec sa famille. Elle a permis de retisser des liens. Le voyage bouleversant, riche de photos personnelles et de vidéos d'époque, permet de comprendre à l’échelle d’une famille, les conséquences de la Nakba.

L’histoire de la grand-mère Neemat est jonchée d’images en noir et blanc de la vie à Jérusalem dans les années 1940. Neemat intègre la plus prestigieuse école d’institutrices. C’est l’une des meilleures élèves palestiniennes. Elle réussit à briser les préjugés et gravit les échelons. Mais tout vole en éclat en 1948. À 16 ans, quelques mois avant la remise de son diplôme, la guerre éclate. Elle est expulsée de la ville avec sa famille. La cohabitation se transforme. Brisée par les guerres, la famille de Lina a appris à survivre. Lina Soualem fait le portrait de trois générations de femmes et croise leurs destins, leurs forces. Elle montre brillamment à quel point chaque parcours de vie a contribué à la construction d’un autre. Lina Soualem montre surtout que les vies des Palestiniens sont marquées par une histoire et un passé gravés dans la pierre de leur terre.

L'affiche du film-documentaire réalisé par Lina Soualem "Bye bye Tibériade". (BEALL PRODUCTIONS)

La fiche

Genre : Documentaire
Réalisateur : Lina Soualem
Acteurs : Hiam Abbass, Lina Soualem
Pays :
France/Palestine
Durée :
1h22
Sortie :
21 février 2024
Distributeur :
JHR Films
Synopsis : Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept sœurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, retourne avec elle sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes. Véritable tissage d’images du présent et d’archives familiales et historiques, le film devient l’exploration de la transmission de mémoire, de lieux, de féminité, de résistance, dans la vie de femmes qui ont appris à tout quitter et à tout recommencer.

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