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Au Nigeria, les musulmans radicaux font échouer un projet de village du cinéma

Après un intense lobbying, les musulmans radicaux de Kano, la capitale du nord du Nigeria qui produit 40% des films du pays, ont finalement réussi à empêcher la construction d'un centre d'excellence du cinéma qui devait encourager un secteur florissant dans le pays.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Un rayon de films de Kannywood (films produits à Kano, dans le nord), au Nigéria
 (Aminu Abubakar / AFP)

Le "village du cinéma", dont le coût s'élevait à 10 millions de dollars, devait être construit sur un espace de 20 hectares dans la périphérie de Kano, pour rassembler une école de cinéma, une salle de projection de 400 places, une scène pour des concerts, un hôtel 3 étoiles, un centre commercial, un stade et même une clinique.
 
Mais le gouvernement nigérian s'est plié, dit-il, au souhait de la population de Kano en mettant un terme définitif à ce projet ambitieux. "Le peuple s'est exprimé et le gouvernement l'a entendu", a déclaré la semaine  dernière Abdurrahman Kawu Sumaila, conseiller de la présidence, après des mois  de discorde.
 
Le cinéma est pourtant une industrie colossale à Kano. Les films de "Kannywood" représentent environ 40% de la production du Nigeria, qui possède la deuxième industrie cinématographique du monde en nombre de films produits chaque année, derrière Bollywood en Inde.


Des films qui respectent les codes de l'islam

Dans les films du Nord, en grande majorité musulman, tous les ingrédients du succès sont là et sont toujours les mêmes : amour, romance, magie noire, trahison et danses.
 
Mais à la différence des films produits dans le Sud, surnommés "Nollywood", à Kano, il y a des règles : les hommes et les femmes n'ont pas le droit de se toucher, il faut respecter les codes de l'islam et notamment la place des femmes, dans cette société où l'on applique la charia. Ils sont généralement en langue hausa (on les appelle aussi films hausas).
 
Malgré toutes ces restrictions, pour les plus conservateurs Kannywood n'a pas besoin d'être davantage encouragé, même s'il est adoré par son public qui traverse les frontières du Nigeria et s'étend à travers tout le Sahel.


Des prêches continuels contre le projet de village du cinéma

Les critiques ont commencé lors de prières du vendredi. Les religieux radicaux de la mouvance salafiste de Kano ont prêché continuellement contre le projet, affirmant qu'il encouragerait l'immoralité et ternirait les valeurs de l'islam.
 
"Nous n'en voulons pas, nous n'en avons pas besoin. Nous continuerons à encourager les gens à se révolter contre ce village du film", a répété  Abdullahi Usman Gadon-Kaya, chef de fil de la campagne d'opposition au projet.
 
Reprises par les radios locales ou sur les réseaux sociaux, les critiques ont bientôt submergé les ondes et les esprits face à des défenseurs de moins en moins aptes à se défendre.
 
Danjuma Wurim Dadu, directeur de la Nigerian Film Corporation, une société  de production et de distribution du cinéma nigérian, a bien essayé, affirmant que le "village du cinéma" permettrait de créer au moins 10.000 emplois dans  une région dévastée par la fermeture de ses industries textiles dans les années  1980.

Kannywood, une industrie qui a explosé depuis les années 1990

"C'était une opportunité pour offrir du travail à notre jeunesse qui, à force de ne rien faire, se tourne vers la drogue", confie de son côté à l'AFP Mudan Saidu, un critique de films.
A sa naissance, en 1992, Kannywood ne comprenait que sept sociétés de production mais, en dix ans, l'industrie a explosé. On compte désormais 268  productions, 315 studios de montage, et le secteur emploie plus de 60.000  personnes, selon les chiffres de l'association nationale du cinéma (MOPPAN).
 
Dans son rapport de 2010, la Banque Mondiale estime que la totalité de  l'industrie cinématographique du Nigeria (Nollywood et Kannywood) contribue au PIB du pays à hauteur d'un milliard de dollars par an.

Une nouvelle victoire des imams conservateurs

Mais la discorde avec les extrémistes religieux a éclaté dès 2008, lorsqu'une "sextape" privée mettant en scène l'une des stars du cinéma local a tourné sur les réseaux sociaux.
 
La vidéo n'aurait jamais dû être diffusée publiquement mais qu'importe, pour les religieux, elle était la preuve de la perversité des actrices et de la mauvaise influence que peut avoir le cinéma dans la société.
 
Depuis lors, l'opposition entre la communauté islamique et le monde du cinéma n'a cessé de s'intensifier dans le Nord du Nigeria et, en stoppant ce  projet, les imams conservateurs ont remporté une nouvelle victoire.

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