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"On se comportait comme des porcs" : un an après #MeToo, des hommes racontent comment ils ont changé leur comportement

Article rédigé par franceinfo - Mahaut Landaz
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des femmes manifestent pour dénoncer les violences sexuelles dont elles ont été victimes, le 29 octobre 2017, à Toulouse.  (ALAIN PITTON / NURPHOTO / AFP)

Des hommes reviennent sur la façon dont ils ont questionné leur attitude envers les femmes grâce au mouvement de libération de la parole qui a suivi l'affaire Weinstein. 

"Je me sentais féministe, et pourtant, je me suis parfois reconnu dans certains témoignages du hashtag #BalanceTonCollègue." Matthias*, 29 ans, assure avoir pris "une grande claque", il y a un an, en lisant les histoires publiées sous les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc, dans la foulée de l'affaire Harvey Weinstein. Pour lui et pour d'autres hommes ayant répondu à l'appel à témoignages de franceinfo, ce mouvement planétaire de libération de la parole a provoqué une prise de conscience brutale quant à leurs comportements et aux relations qu'ils entretenaient avec les femmes.

Avant l'émergence du mouvement #MeToo, Matthias pensait ainsi que le harcèlement sexuel n'était "que le fait de tordus ou de mecs relous". Mais face aux témoignages, il finit par se demander "si tous les mecs sont vraiment des pervers". Les échanges avec sa copine et sa sœur confirment la désillusion : elles lui citent "des dizaines d'exemples" de "remarques déplacées" d'hommes sur leur corps.

Je pensais que ma sœur se faisait draguer une fois par mois. En fait, elle se fait siffler tous les jours...

Matthias, salarié dans l'agroalimentaire

à franceinfo

En voyant défiler les messages #MeToo, Alexandre s'est lui aussi reconnu dans certains récits. "Je suis très tactile. Je n'avais pas du tout conscience que ça pouvait susciter une gêne", raconte-t-il, précisant en avoir discuté avec des amies pour entendre leur point de vue. "Elles m'ont fait comprendre que si, lâche ce livreur de 26 ans. Je me suis trouvé un peu bête sur le moment."

Puis ont suivi des discussions "entre mecs". En échangeant autour du sujet, Alexandre et ses amis se sont rendu compte de certaines attitudes déplacées au sein de leur groupe. "J'ai un pote, quand il a un peu bu et qu'il drague une femme, ça peut être insistant. Il revient à la charge malgré les refus, explique-t-il. On lui avait déjà dit d'arrêter avant #MeToo, mais ce mouvement nous a fait réaliser les conséquences psychologiques que pouvait avoir ce genre de comportement sur les femmes. Donc là, on lui a vraiment dit : 'Stop, il faut que tu changes'."

"Ne sois pas le énième de la journée"

Marqué par les témoignages qu'il a lus ou entendus, Marc a décidé de "se mettre dans les pompes" des femmes et de changer "tout ce qui va [le] conduire à [se] dire : 'ne sois pas le énième de la journée'." "D'après ce que je comprends, ce qui peut me sembler anodin, comme des petits regards ou un sourire, ne l'est pas forcément quand c'est la centième fois de la journée", explique le quadragénaire. Ce père de famille affirme être devenu plus attentif aux messages qu'il pouvait envoyer, même malgré lui. Il raconte son jogging avec un ami, début septembre, sur les bords de Seine. "Au moment où l'on a fait demi-tour, une femme est passée devant nous. J'ai eu le réflexe de penser qu'elle se demandait peut-être si on n'allait pas l'emmerder", se souvient-il.

Elle pouvait se sentir regardée. J'ai fait exprès de parler un peu fort à mon copain et de ralentir afin qu'il lui paraisse clair qu'on n'allait pas lui courir après pour la draguer.

Marc, consultant

à franceinfo

Matthias aussi assure être "plus vigilant". Il évite désormais les contacts physiques, s'interdit les blagues sexistes ou sexuelles en présence de collègues féminines et veille à ne pas monopoliser la parole. En faisant son introspection, ce salarié dans l'agroalimentaire s'est rappelé avoir déjà eu ou laissé passer des comportements dont il s'est demandé s'ils étaient "limites", comme des remarques sur des tenues. A table, les blagues dont le sexisme est "dissimulé derrière l'humour franchouillard" lui paraissent subitement moins drôles. "Maintenant, je me sens davantage dans mon droit pour intervenir."

Une attention accrue au consentement

Pour certains, l'affaire Weinstein a mis en évidence le pouvoir masculin exercé sur le corps des femmes, les amenant à réfléchir à leur conception du consentement. Jusque dans leur vie de couple. Pour Matthias, le désir de sa copine pouvait avoir besoin d'être suscité : il pouvait, en la stimulant, "faire germer" son envie malgré un manque d'enthousiasme évident. "Je pensais qu'elle n'était pas d'humeur mais que je pouvais la faire changer d'avis avec des caresses par exemple", détaille-t-il.

Aujourd'hui, il dit faire davantage attention. "Je laisse des espaces de liberté pour elle. Par exemple, je l'embrasse dans le cou et je me recule. Si elle ne revient pas vers moi, j'arrête. Il suffit d'y aller par étapes et sentir que chacune d'elles est franchie à deux, pour éviter l'effet rouleau compresseur", éclaire-t-il. Et de poursuivre : "Maintenant, avant de m'engager dans un rapport sexuel, je suis sûr à 100% qu'il est désiré. Parce que même s'il n'y avait qu'une fois sur dix où ma copine a cédé par fatigue, je ne veux pas être ce mec-là."

"Peur d'être assimilé à Harvey Weinstein"

Si certains semblent s'être remis en question sans difficulté, beaucoup d'hommes ayant témoigné sur franceinfo regrettent ce qu'ils appellent "les dérives" de #MeToo, à l'instar de Pierre. Cet étudiant en sciences politiques évoque "la peur d'être assimilé à un Harvey Weinstein" pour une simple blague et reproche au mouvement de mettre tous les hommes dans le même panier. "Quand t'es en face d'une femme, tu ne sais plus trop quoi faire. Dès que tu dis quelque chose de sexuellement connoté, il faut dire juste après que tu plaisantes", avance le jeune homme, qui se sent obligé de mettre les mains dans ses poches dans le métro pour ne pas passer pour un frotteur.

D'autres affirment s'autocensurer ou mettre en place "un cordon sanitaire", de peur d'être "balancés" : ils refusent de prendre l'ascenseur avec une femme ou même de discuter d'autre chose que du travail avec une collègue. Dans notre live, Geoffroy*, 35 ans, cadre dans l'industrie pharmaceutique, explique ainsi avoir refusé de raccompagner une connaissance après une soirée. "Nous aurions été seuls dans ma voiture, n'importe quoi aurait pu être raconté par la suite, et automatiquement cela aurait été à moi de me justifier, puisque je suis un homme", estime-t-il. Pour un autre commentateur du live, #MeToo a "créé de nouveaux tabous en supprimant ceux autour du viol et du harcèlement".

Pour le sociologue Eric Fassin, cette impression d'être pointé du doigt n'est pas étonnante, car le mouvement "a amené les hommes à se poser des questions sur ce qui relevait jusque-là de l'évidence" et "à questionner leurs propres privilèges". 

Or, le privilège du privilégié, c'est de ne pas penser à ses privilèges.

Eric Fassin, sociologue spécialiste des études de genre

à franceinfo

"Ce que révèle ce mouvement, ce n'est pas simplement qu'il y a des hommes violents, mais que la norme favorise de telles pratiques, poursuit le sociologue. Or, si la norme est problématique, il est compliqué de se dire qu'on n'est pas concerné."

Le discours de Pierre et Geoffroy fait sourire Marc. "Ce serait bien d'accepter que, quand on parle des mecs en général, il ne faut pas se sentir visé personnellement ! Mais en même temps, c'est bien de se remettre en cause. Ça ne veut pas dire que tout est à jeter chez nous !" observe le père de famille. Le sociologue Raphaël Liogier, auteur de Descente au cœur du mâle, juge aussi nécessaire de différencier culpabilité et responsabilité. "Je suis le produit de cette domination, donc je suis responsable, ce qui ne veut pas dire que je sois coupable" de harcèlement ou d'agressions sexuelles, souligne-t-il.

Une remise en question du "modèle masculin"

Pour plusieurs hommes interrogés par franceinfo, c'est surtout la norme de la masculinité qu'il faut repenser. Louis, 43 ans, explique certains comportements de son passé par une volonté de se conformer au groupe. "J'ai été militaire pendant dix-sept ans et, sans détour, je pense que collectivement, nous nous comportions comme des ‘porcs'. Non pas parce que nous étions mauvais, mais parce que je pense que c'est ce que l'on attendait de nous", confesse cet homme marié.

C'est aussi l'avis de Jonathan. "Il y a un problème avec les hommes, avec la masculinité de manière générale. J'ai donc eu honte de me trouver dans le même panier qu'eux, (…) d'être perçu comme une menace potentielle juste parce que je suis un homme. Et ça m'a mis dans une colère noire de me retrouver affublé de cette étiquette de harceleur en puissance", nous écrit-il. Il a d'abord voulu réagir et "résoudre tous les problèmes" car "après tout, c'est ce que fait un homme".

Et puis quelqu'un m'a fait remarquer que non, ce n'était pas le moment. Qu'il fallait comprendre d'abord. Laisser les femmes parler et juste être là pour les écouter. Alors c'est ce que je fais. J'écoute.

Jonathan

à franceinfo

Pour certains, l'éducation des enfants accentue cette remise en question. "J'ai une double responsabilité parce que je contribue à faire de ces petits êtres de futurs citoyens, explique Marc, père de deux garçons. Je n'ai pas envie de me dire qu'un jour, ils pourraient être responsables de harcèlement sexuel. Ce serait pour moi un échec majeur."

* Certains prénoms ont été modifiés à la demande des témoins

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