Un Dieu armé d'une kalachnikov à la Une du numéro spécial de Charlie Hebdo
"On a vengé le prophète Mohamed ! On a tué Charlie Hebdo !". Sur ce cri, Saïd et Chérif Kouachi quittent le siège de l'hebdomadaire satirique le mercredi 7, laissant derrière eux 12 corps. Le dimanche suivant plus de 3,7 millions de personnes crient "Je suis Charlie", une mobilisation à laquelle participent une cinquantaine de dirigeants étrangers.
Ce numéro anniversaire comprend un cahier de dessins des disparus - Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré - et des contributeurs extérieurs dont la ministre de la Culture Fleur Pellerin, des comédiennes comme Isabelle Adjani, Charlotte Gainsbourg, Juliette Binoche, des intellectuels comme Élisabeth Badinter, la bangladaise Taslima Nasreen, l'américain Russell Banks et le musicien Ibrahim Maalouf.
Le dessinateur Riss, patron du journal, grièvement blessé le 7 janvier, y signe un éditorial rageur pour défendre la laïcité et dénoncer les "fanatiques abrutis par le Coran" et "culs-bénits venus d'autres religions" qui avaient souhaité la mort du journal pour "oser rire du religieux". "Les convictions des athées et des laïcs peuvent déplacer encore plus de montagnes que la foi des croyants", dit-il.
"En 2006, quand Charlie publia les caricatures de Mahomet, personne ne pensait sérieusement qu'un jour tout ça finirait dans la violence. (...) On voyait la France comme un îlot laïc, où il était possible de déconner, de dessiner, de se marrer, sans se préoccuper des dogmes, des illuminés", écrit Riss. "Dès cette époque, beaucoup espéraient qu'un jour quelqu'un viendrait nous remettre à nos places", poursuit-il. "Un mois avant le 7 janvier, je demandais à Charb si sa protection avait encore un sens. Les histoires de caricatures, tout ça, c'était du passé (...) Mais un croyant, surtout fanatique, n'oublie jamais l'affront fait à sa foi, car il a derrière lui et devant lui l'éternité (...) C'est l'éternité qui nous est tombée dessus ce mercredi 7 janvier". "Comment faire le journal après tout ça ? C'est tout ce qu'on a vécu depuis 23 ans qui nous en donne la rage", affirme-t-il
Pour les rescapés, il faut apprendre à vivre avec le traumatisme
Le 7 janvier, le monde découvrait ce petit journal de dessins satiriques, pourfendeur insolent des institutions et des religions. Un an après l'attentat, Charlie a redémarré mais se sent bien seul dans son combat pour "rire de tout". Un mois avant l'attaque, Charb, avait lancé un appel pour sauver le titre de la faillite. Les ventes ne dépassaient pas les 30.000 exemplaires. Son humour provocant, hérité des années 70, ne faisait plus recette.
Devenu malgré lui un symbole mondial de la liberté d'expression, le journal a vu affluer 4 millions d'euros de dons et 200.000 abonnements, mais il a aussi été au entre de manifestations hostiles, parfois sanglantes dans certains pays musulmans. Repliés dans les locaux de Libération, les rescapés sortent le 14 janvier un "numéro des survivants" et osent dessiner Mahomet en couverture sous le titre "Tout est pardonné". Il s'arrachera à 7,5 millions d'exemplaires dans le monde. Riss prend la direction du journal et en devient propriétaire, avec les deux-tiers du capital. Mais l'équipe se déchire. Certains, comme Laurent Léger, demandent à devenir co-actionnaires et exigent davantage de transparence sur les recettes.
Le dessinateur Luz, traumatisé, quitte le journal en septembre. L'urgentiste Patrice Pelloux a pris ses distances. L'équipe d'une petite vingtaine de membres a emménagé dans des locaux ultra-sécurisés, à l'adresse tenue secrète, surnommés "Fort Knox". Une poignée de nouveaux dessinateurs est arrivée.
'Un vide monstrueux'
"Les conditions de sécurité à Charlie (…) restent insupportables", commente Laurent Léger. "Pas question d'autocensure, sinon cela signifierait qu'ils ont gagné. Si l'actualité nous amenait à redessiner Mahomet, on le ferait", proclame Eric Portheault, co-actionnaire du journal avec Riss et directeur financier. "Nous sommes lus maintenant par beaucoup plus de gens, qui ont découvert l'humour particulier de Charlie", ajoute-t-il, en visant des ventes qui se maintiendraient autour de 100.000 exemplaires.
Le journal dispose de 20 millions. "Avec les attentats du 13 novembre, puis l'anniversaire, tout remonte à la surface", confie Eric Portheault. "Il y a un vide des disparus, énorme, monstrueux. (...) On se sent dans une solitude criante. Personne ne fait ce qu'on fait, en défendant des valeurs républicaines jusqu'au bout, comme la laïcité. (…) Personne ne nous rejoint dans ce combat car il est dangereux. On peut en mourir". "On ne lâchera pas. On ne veut pas qu'ils soient morts pour rien".
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