"Regards de femme" en BD : rencontre avec Florence Cestac, une pionnière
Auteur des "Déblocks", du "Démon de midi", ou de "Des salopes et des anges" (Dargaud), qui retrace l'histoire de l'avortement à travers le voyage de trois femmes à Londres pour avorter en 1973 avant la loi Veil, Florence Cestac aborde sans tabou, sans complexes et avec un humour décapant les sujets les plus variés, de la politique à la ménopause, en passant par l'avortement ou le suicide. Avec ses personnages à gros nez, la dessinatrice a créé un univers drôle et attachant, et pose un regard aigu sur notre société.
Quand elle a commencé à faire de la BD, cette discipline n'était pas bien vue, les femmes n'y étaient pas nombreuses, il fallait s'accrocher. Cestac est aussi de celles qui ont oeuvré pour faire de la BD un art aujourd'hui reconnu. On la retrouve dans l'exposition "Regard de femmes" au salon du livre, l'œil qui pétille et toujours la niaque pour défendre ses idées.
Que pensez-vous de cette idée d'exposition regards de femmes?
C'est une très bonne idée. La BD c'est un monde pas évident pour les femmes. C'est un monde très masculin, je dirais pas misogyne mais très masculin dans lequel il y a quelques femmes qui font des choses formidables donc c'est bien de les mettre en avant. Bref, j'ai rien contre ! Je pense que les femmes sont plus "auteurs" que les hommes, moins dans la fiction. On exprime plus ce que l'on ressent et c'est bien de montrer ça.
Vous pensez qu'il y a une manière féminine de faire de la BD ?
Oui, je pense, comme en littérature. Les femmes racontent plus facilement ce qu'elles vivent, ce qu'elles ressentent, et aussi leurs combats, leurs revendications. Les femmes sont plus militantes, oui.
Est-ce que ça a un sens encore aujourd'hui le combat féministe?
Oui. Il y a toujours des combats à mener, tant qu'on a pas la parité ! Par exemple, j'ai fait l'album "Des salopes et des anges" pour raconter comment ça se passait autrefois pour les femmes. C'est intéressant de témoigner de toute cette histoire pour les générations d'aujourd'hui.
Votre arme à vous c'est l'humour?
Ben oui c'est comme ça, dans la vie j'avance avec un nez rouge. Ca a toujours été ma manière de penser. On peut dire les mêmes choses, même graves, avec l'humour, ça passe. Et j'ai beaucoup de témoignage de lectrices, des femmes qui m'écrivent, qui m'appellent. Il y en a même une qui m'a écrit un jour pour me dire que je lui avais sauvé la vie. Elle avait fait un gros baby-blues après la naissance de son troisième enfant et mes albums qui l'ont sauvée. Ensuite on a fait un livre ensemble sur les phrases de la maternité "Ca va être ta fête maman !" (Dargaud). C'est un truc de femmes, ça, de se retrouver sur des sujets. Des trucs de filles quoi ! Nous les femmes on a pas honte de parler de tout, des choses physiques, comme le mal de ventre, ou des sentiments. Les hommes, eux, ils ont du mal à se lâcher. Les hommes c'est plus difficile de les faire parler. C'est pour ça que la BD faite par les femmes parlent du vécu, du vrai vécu !
Vous pratiquez aussi beaucoup l'autodérision?
Ah oui ça c'est comme Bretécher. On se moque des autres mais on prend une bonne part. Toujours.
Pourquoi la BD pour dire tout ça?
La BD c'est vraiment une palette d'outils, le texte, les images la couleur… J'ai toujours dessiné. Déjà dans ma purée il parait ! Je pense que c'est aussi à force d'avoir lu des BD. Quand j'étais enfant, j'achetais en cachette ce qu'on appelait à l'époque des mini-formats, ça coutait 30 centimes et je les achetais en douce quand j'allais faire les courses. C'était interdit. C'était pour les crétins. Alors en faire son métier, on n'en parlait même pas. Aujourd'hui c'est entré dans les mœurs, c'est enseigné dans les écoles d'art. A l'époque la BD, c'était vraiment pas du tout considéré comme un art. Aujourd'hui les jeunes auteurs sont décontractées avec ça, mais à l'époque, c'était compliqué. On a été des pionnières !
Comment naissent vos personnages et vos histoires
Je visualise en cases. Les auteurs de BD ont une très bonne mémoire visuelle. Je note des expressions, des bouts de dialogue et ensuite je fais ma cuisine avec tout ça.
Et vous avez aussi beaucoup œuvré pour la cause BD?
Oui on a créé la première librairie BD à Paris en 1972 (Futuropolis, qui donnera ensuite naissance à la maison d'édition du même nom). A l'époque ça n'existait pas. Et la BD c'était un truc un peu honteux. Après on a créé la maison d'édition et on vendait les BD une par une. La BD à l'époque c'était un truc pour les ados ou pour les crétins… Les librairies n'en voulaient pas. Par exemple pour faire entrer la première BD dans les rayons de la librairie la Hune à Paris , on a d'abord réussi à convaincre le patron d'en prendre un exemplaire et on a envoyé un copain pour l'acheter. Et ensuite on y est retourné pour un deuxième exemplaire et ainsi de suite… On sillonnait la ville avec la camionnette et on a fait entrer comme ça la BD dans les librairies. Notre maison d'édition était toute petite alors j'y vraiment fait tous les métiers…
C'est un des thèmes du salon, quel est le livre qui a changé votre vie?
"Le désert", de Le clézio. Quand j'ai lu ce livre la première fois, ll y a une musique qui s'est mise en route pour moi. C'était magique. Depuis je l'ai relu au moins deux ou trois fois !
Exposition "Regards de femmes"
Salon du livre - Stand V14
Porte de Versailles
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