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"Culottées", ces femmes qui ont osé changer le monde, racontées en BD par Pénélope Bagieu

L'auteur de la série "Joséphine" publie "Culottées", une galerie de portraits de femmes qui ont marqué leur époque, de Clémentine Delait, femme à barbe assumée, à Lozen, guerrière et chamane, Agnodice, gynécologue de l'Antiquité, ou Annette Kellerman, qui inventa le maillot de bain moderne. Humour et pédagogie sont au menu de ce passionnant album. Interview.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Pénélope Bagieu, dans les salons de la maison d'édition Gallimard
 (Laurence Houot / Culturebox)

15 épisodes des "Culottées", de Pénélope Bagieu, pré-publiées sur le site du Monde.fr, sont rassemblés dans un album aux éditions Gallimard BD. Un deuxième suivra. Cette série de portraits raconte la vie de femmes qui, dit le sous-titre de l'album, "ne font que ce qu'elles veulent".

On y découvre le destin de Ninza, Reine de Ndongo et du Maamba, qui tint tête aux colons portugais, Agnodice, gynécologue dans la Grèce antique qui fut contrainte de se travestir en homme pour pratiquer, Giorgina Reid, gardienne de phare, Wu Zetian, ex-concubine devenue la seule impératrice de l'histoire de la Chine, ou Annette Kellerman, qui inventa le maillot de bain moderne. Toutes les histoires sont passionnantes (que de découvertes!), et racontées en deux temps trois mouvements (oust l'ennui !), dessins vifs et colorés, scénarios au cordeau. Un régal.

Qui sont les "Culottées" ?

Pénélope Bagieu a déniché des destins de femmes audacieuses, pas des stars, mais des femmes de toutes les époques, de l'Antiquité à nos jours, qui ont, à l'échelle de leur vie, agi d'une manière qui a modifié leur existence, et aussi, par ricochet, la société toute entière.

Autant d'héroïnes que de héros ont eu un rôle à jouer dans l'histoire

"Effectivement, je n'ai pas de grandes héroïnes de l'histoire, pas d'écrivains, pas de résistantes, parce que je suis partie d'une observation personnelle qui était que les héroïnes féminines sont complètement 'invisibilisées', moi je n'ai pas le souvenir qu'on m'ait parlé de beaucoup de femmes dans les cours d'histoire, ou alors toujours des mêmes, alors qu'évidemment autant d'héroïnes que de héros ont eu un rôle à jouer, et y compris la petite histoire. C'est pour ça que je m'intéresse à la femme qui a inventé le maillot de bain, à certaines actrices, à une vieille dame retraitée qui a sauvé un phare…", souligne Pénélope Bagieu.
"Culottées", détail page 50, Lozen, guerrière et chamane
 (Pénélope Bagieu)
"En fait je pense que face à la même société, à la même époque, les femmes ont quand même à faire face à deux fois plus d'adversité que les hommes, parce qu'elles doivent déjà s'affranchir de la société, généralement aussi selon les époques, de leur famille, un rôle préconçu qu'on attend d'elles. Le fait qu'elles doivent déjà surmonter ça, et qu'en plus certaines d'entre elles arrivent à changer des choses dans leur vie et en général, et que ça ait une influence sur leur entourage  et sur leur époque, c'était quelque chose qui m'intéressait, donc j'ai été cherché toutes ces femmes anonymes (à quelques exceptions près) pour les mettre à l'honneur, les raconter et transmettre cette admiration que j'avais pour elles", ajoute-t-elle.

Casting

C'est devenu une seconde nature, Pénélope Bagieu s'est spécialisée dans l'art de dégoter des destins de femmes qui méritent qu'on s'y arrête.

On finit par exercer son œil à déceler les pépites

"A partir du moment où on s'est mis dans un état d'esprit de recherche perpétuelle de ce genre d'histoires, elles sont partout. On finit par exercer son œil à déceler les pépites", explique Pénélope Bagieu, qui se souvient par exemple des circonstances qui lui ont fait découvrir l'histoire d'une certaine, Giorgina Reid : "Je me baladais à Montauk, et dans le phare de Montauk, que j'ai visité. C'est une vraie visite de vieux, je sais…Mais oui j'avoue je suis allée visité l'intérieur du phare de Montauk (rires), et en fait, j'ai bien fait, parce qu'il y avait une toute petite salle à l'intérieur du phare, où il y avait une photo d'une vieille dame, toute petite, 1m30 les bras levés, avec sa pelle et cette légende "A Giorgina Reid, qui a sauvé le phare de l'érosion…"
Giorgina Reid, "Culottées", Pénélope Bagieu
 (Giorgina Reid, "Culottées", Pénélope Bagieu)
"Et ensuite mon filtre de sélection, c'est les histoires qui me … les histoires qui font que quand je les raconte je suis survoltée, que je bafouille et que je fais des grands gestes. C'est le signe qu'elles ont touché quelque chose… En fait,  j'ai avec chacune de ces femmes, pour une raison différente, un lien affectif et une raison particulière et personnelle d'avoir été transportée par leur histoire. Je suis sûre que je passe à côté de femmes qui ont fait plein de choses encore plus spectaculaires, mais avec lesquelles je n'avais pas ce feeling. Là toutes, chacune, elles m'ont émue d'une manière qui fait que j'avais envie de le raconter", s'enthousiasme la dessinatrice.

Huit planches

Raconter une vie en moins de 8 planches, voilà ce que la dessinatrice s'est imposée, contrainte par les nécessités d'une prépublication chaque semaine sur le site du Monde.fr.  

Les contraintes, c'est ce qui m'aide le plus, parce que sinon je suis un peu paralysée…

"Il fallait donc que ce soit une charge de travail acceptable en une semaine. Et finalement c'est une très bonne contrainte parce que ça m'a obligée à des histoires de huit pages maximum. Quand on veut résumer la vie de quelqu'un et surtout de ce genre de femme, en moins de huit pages, il faut quand même faire son deuil de grands pans de leur vie, donc il a fallu que je sois très synthétique", explique la dessinatrice.
"Culottées", détail page 105 Leymah Gbwee, travailleuse sociale
 (Pénélope Bagieu)
"L'idée était de prendre des raccourcis dans l'histoire, de mettre l'accent sur les parties qui m'intéressaient moi. Evidemment comme ce sont des personnages très peu connus, il y a peu de littérature, parfois il arrive, mais c'est rare qu'elles aient eu l'idée d'écrire une autobiographie, mais en général y a rien, vaguement une page Wikipédia avec des erreurs, donc c'est un peu compliqué, il faut combler les trous. Donc il faut évidemment inventer beaucoup. L'avantage, c'est que je ne suis pas journaliste, je ne suis pas historienne, donc j'ai bien le droit, ce qui est assez pratique … (Sourire de gamine espiègle). C'est exactement ce qu'on aime faire quand on aime écrire des histoires, c'est imaginer ce qui s'est passé quand on ne sait pas", confie-t-elle.
 
"Il a fallu que je sois très synthétique, j'avais peu de temps, donc je ne pouvais pas non plus passer des semaines à chercher mon découpage, et finalement ça a été très stimulant de travailler comme ça", ajoute-t-elle.

Et puis je voulais surtout pas faire "L'histoire en s'amusant", l'idée c'était pas de raconter de manière 'pouet pouet' des événements historiques c'est pas du tout le sujet, non pas que je trouve pas ça intéressant de le faire, mais là c'était pas le sujet surtout que selon les histoires, je raconte des choses assez graves, des scènes de violence sexuelle par exemple, donc c'était quand même assez mal venu de faire des blagues.
"Culottées", détail page 5, Clémentine Delais, femme à barbe
 (Pénélope Bagieu)
"En revanche je pense que la légèreté, on peut la glisser dans tous les autres interstices, c'est-à-dire pas dans le fond mais dans la forme, effectivement glisser un anachronisme, les faire parler de manière plus… de les faire parler comme moi en fait, même si ça se passe à la Renaissance par exemple. C'est une façon, je pense, d'alléger un peu, de rendre plus vivant l'histoire sans forcément avoir besoin de faire des grosses blagues de 'prout'. Disons que c'est la part maximum que j'ai accepté de donner à l'humour et à la légèreté, c'était dans des petits détails qui ne changent pas grand-chose à l'histoire", explique la dessinatrice.

Cinq couleurs

On retrouve dans ce nouvel album la patte de Pénélope Bagieu, vive et colorée. Elle a cette fois laissé tomber le crayon de papier (son dernier album, "California Dreaming était entièrement dessiné au crayon, sans un coup de gomme).

Pour pouvoir tout raconter avec quatre couleurs, pareil, il faut bien réfléchir

Cette fois la dessinatrice, (elle aussi aime les défis) s'est imposé d'autres contraintes. "Toujours pour être plus rapide, je me suis imposé une économie de moyens, en ne m'autorisant que quatre ou cinq couleurs par histoire maximum. Et pour pouvoir tout raconter avec quatre couleurs, pareil, il faut bien réfléchir", raconte-t-elle.
  (Pénélope Bagieu)
Un travail de modiste, pour habiller ses récits. Par exemple, pour Annette Kellerman, "comme elle est dans un environnement aquatique, je voulais des teintes proches de l'eau et des algues, mais aussi sur la fin de sa vie, elle ouvert une épicerie de légumes et de fruits bios (40 ans ou 50 ans avant que ce soit l'usage), donc voilà je voulais des couleurs très végétales", exlique-t-elle, "Mais on peut raconter beaucoup de choses avec du vert du bleu et du rose", conclut Pénélope Bagieu. 
 
"Culottées", Pénélope Bagieu (Gallimard Bande Dessinée - 144 pages couleurs - 19,50 Euros)

A l'occasion de la sortie des "Culottées", 15 modèles de cartes postales seront distribuées dans 15 librairies parisiennes. Une carte postale par culottée, une carte postale par libriarie. But du jeu : collecter toutes les cartes pour avoir toute la collection et... gagner un dessin original de Pénélope Bagieu ! Une idée pour inciter les lecteurs à entrer dans les librairies de la capitale. Réglement du jeu par ici. 

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