Première journée de festival à Angoulême, Taniguchi à l’honneur
Elle est l’une des expositions de référence à Angoulême, cette année : celle consacrée à l’univers de Jirô Taniguchi, l’un des mangakas les plus célèbres en France, auteur de « Quartier lointain » ou de « Au temps de Botchan ». Nous avons donc voulu l’intégrer dans cette première journée du festival d’Angoulême. L’exposition est installée à la Cité de la BD, au Vaisseau Moebius, construction en ciment et verre située en dehors du centre-ville aux abords des quais de la Charente. Sous une pluie ininterrompue, la file d’attente pour accéder aux espaces est visible de l’extérieur. Non pas tant à cause de la masse de visiteurs (certes importante, mais habituelle), classes entières de collégiens ou de lycéens, simples curieux et journalistes par dizaines ; mais conséquence du dispositif de sécurité anti-attentats, appliqué à la lettre, ici comme ailleurs dans la ville. A n’importe quel accès d’espace d’exposition, musée de la BD ou lieu municipal, les fouilles et les contrôles sont légion. Et les policiers sont sur le qui-vive.
Car le monde de la BD, et Angoulême avec lui, a voulu marquer son soutien aux victimes des attentats, une exposition est consacrée à Charlie Hebdo et l’Hôtel de Ville s’est drapé d’une bâche aux couleurs de Charlie.
Sécurité
« Le soutien est beau mais il est vrai que la tension est forte et la lourdeur est perceptible », a-t-on entendu. « Au son d’une sirène au Musée de la BD, dans la journée, l’évacuation s’est faite dans une célérité inédite », nous raconte-t-on également. « Le niveau de sécurité est très haut, comme si quelque chose de dangereux se jouait dans ce lieu habituellement habité par la fête », témoigne aussi un auteur finlandais invité. Mais à l’intérieur des bâches des « bulles » de plastique du « Nouveau Monde » et autres espaces de présentation des éditeurs et des auteurs, l’ambiance est au plaisir retrouvé de cette rencontre annuelle sans équivalent. Au Vaisseau Moebius aussi, on s’apprête à recevoir Jirô Taniguchi pour, avec lui, faire la visite inaugurale de l’exposition. Et c’est peu de dire que le mangaka était attendu, d’ailleurs dès le 26 janvier dernier à Paris, à la conférence de presse organisée pour l’occasion. C’est là que l’homme à la moustache, lunettes cerclées et cheveu long, souriant en toute circonstance mais plutôt timide et réservé, avait accepté de s’exprimer sur une exposition sur laquelle il a voulu intervenir le moins possible. Son titre, « L’homme qui rêve », (un évident clin d’œil à son œuvre « L’homme qui marche ») n’était pas d’ailleurs son premier choix : « J’avais proposé "L’homme qui fantasme" », explique –t-il, « mais il y avait des connotations qui n’allaient pas. Alors nous avons opté pour "L’homme qui rêve" qui évoque l’idée d’un homme qui réfléchit, qui imagine tout le temps ».
Parcours thématique
Tout au long de la visite, le décalage est marquant entre la foule épaisse et bruyante qui entoure Taniguchi et la discrétion et la simplicité de ce dernier qui, renonçant le plus souvent à la parole (malgré la présence protectrice de sa traductrice et interprète) s’exprime par mouvements de tête approbateurs, sourcils étonnés ou sourires complices.
L’exposition présente l’avantage d’offrir une palette simple mais efficace des grands thèmes de l’œuvre. A commencer par le fondamental rapport nippon à la nature et le respect de toutes les expressions du vivant : l’environnement – grands espaces, forêts, toundra et surtout montagnes, mais aussi les animaux, les deux ensembles devenant sous la plume de Taniguchi des sujets à part entière.
Autre évocation : l’inspiration des auteurs européens parmi lesquels son indéfectible ami Jean Giraud-Moebius, dont d’émouvants hommages sont exposés, comme ce Blueberry dessiné par le Japonais… Etonnante, aussi, pour beaucoup, l’attirance de Taniguchi pour les héros « à l’ancienne », tout en muscles et en testostérone. A noter au passage que celui qui est souvent présenté en France comme le peintre de l’introspection peut aussi être un sacré dessinateur d’action ! Mais on parle aussi des plaisirs de la bonne chair et de l’art de bien représenter la gourmandise en bulles, ou du « sens de l’humain » développé dans ses bandes dessinées, et enfin (et surtout) des thèmes mémoriels et nostalgiques chers à Taniguchi : les origines, les racines, le passage du temps, sont explorés avec un plaisir grandissant. « C’est difficile de dire ce qui est resté constant et ce qui a changé », explique l’auteur le 26 janvier dernier : « ce que je peux dire c’est qu’en quarante ans de travail, il y a des choses que je sais mieux faire aujourd’hui, comme les découpages et certaines dessins des personnages. Je pense que « L’homme qui marche » a marqué un tournant dans ma carrière et « Au temps de Botchan » aussi. J’ai compris avec ces deux albums qu’il pouvait y avoir un travail sur la famille, la vie quotidienne, des éléments simples sur la vie de la famille et aussi l’expression des sentiments délicats.
Le parcours de l’exposition achevé, un courageux amateur s’approche pour demander une signature au maître japonais, qui avec plaisir, s’exécute. Aussitôt encouragé par la scène, un policier en tenue achète un exemplaire et se précipite sur le Japonais pour se le faire dédicacer. Mais la traductrice qui protège Taniguchi le repousse. Il n’y a pas de policier qui vaille, même en ces temps incertains…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.