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"Mes personnages sont des militants", confie Marguerite Abouet, scénariste de la BD culte "Aya de Yopougon"

Le septième volume de la saga "Aya de Yopougon", créée par Marguerite Abouet et illustrée par Clément Oubrerie, est disponible depuis septembre chez Gallimard jeunesse. Retour avec l'auteure sur l'univers d'Aya. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7 min
"Aya de Yopougon" est de retour. Marguerite Abouet (scénario) et Clément Oubrerie (dessin) signent le volume 7 de ses pérégrinations. (GALLIMARD JEUNESSE)

Les fans d'Aya de Yopougon (Gallimard Jeunesse) ont retrouvé leur héroïne, il y a quelques semaines, avec la parution du volume 7 de la BD qui se déroule entre la Côte d'Ivoire et la France qui sont respectivement les pays d'origine et d'adoption de sa scénariste, Marguerite Abouet. Entretien. 

Franceinfo Culture : Aya reprend du service plus d'une décennie après le dernier volet de ses aventures. Qu'avez-vous fait entre ces deux albums ?

Marguerite Abouet : Pendant douze ans, j'ai laissé de côté Aya tout en faisant beaucoup de choses avec celle qui est une belle ambassadrice culturelle. Beaucoup de jeunes filles s'identifient à elles. Grâce à Aya, j'ai rencontré beaucoup de jeunes en France et ailleurs dans le monde. La BD est traduite en 15 langues. J'ai pu ouvrir des bibliothèques jeunesse en Côte d'Ivoire. Par ailleurs, après le tome 6, il y a eu le film qui nous a pris beaucoup de temps à Clément Oubrerie [illustrateur de la BD] et à moi, trois ans en l'occurrence.

Dans mon cas, d'autres BD :  Akissi, Commissaire Kouamé, Bienvenue... J'ai fait également des séries : C'est la vie ! à Dakar (Sénégal), Shuga Babi à Abidjan (Côte d'Ivoire)... Je milite pour que les Africains s'approprient toute la chaîne de valeur dans les processus de création en se professionnalisant et c'était le cas quand j'ai eu l'opportunité de faire ces séries. Elle nous ont permis de former plus de 1 000 jeunes. Grâce à ce projet, des jeunes filles sont devenues, entre autres, cheffes opératrices ou réalisatrices. 

Qu'est-ce qui a guidé l'écriture de ce volume 7 ?

Aya a fini par nous manquer à Clément Oubrerie et à moi et puis j'avais beaucoup de choses à dire sur des valeurs que j'ai toujours défendues, sur des sujets très importants qui ont fait de moi la femme que je suis, comme le vivre ensemble, l'intégration, la citoyenneté, l'égalité des chances... Je suis d'ailleurs et j'ai fait mien ce pays qu'est la France. J'estime que ces sujets sont aujourd'hui piétinés et bafoués.

Que pouvais-je alors faire ? Mes histoires étant mes combats, j'ai repris mes personnages et j'ai intégré toutes ces thématiques dans leurs histoires. Mes personnages sont mes porte-paroles. Ce sont des militants, encore plus, dans cet album. Ils ouvrent une fenêtre sur la réalité de la vie et me permettent d'aborder des problématiques qui m'interpellent et sont partagées par d'autres. Je pensais que ce serait difficile de renouer avec Aya, mais en fait non. Et je constate que les gens sont heureux de la retrouver. 

Vous nous renvoyez dans ce tome 7 aux années 80. Pourquoi cette époque pour évoquer ces sujets qui vous tiennent tant à cœur ?

Je suis arrivée en France en 1983. Plus tard, j'ai vécu l'arrivée des lois Pasqua qui ont compliqué la vie des étrangers. Le personnage d'Innocent (homosexuel qui milite pour les droits LGBT et qui est en situation irrégulière en France) se heurte à tous ces problèmes dans sa démarche pour se faire régulariser. Avec lui, j'évoque les problématiques liées à l'immigration. Pour moi, l'histoire se répète. Sauf qu'avant, il n'y avait pas ce discours de haine. On ne venait pas déverser sa haine comme aujourd'hui dans les médias. En plus, cela ne choque personne !

Par ailleurs, dans les années 80, les jeunes Français nés de parents immigrés revendiquaient leur appartenance à ce pays. Ce qui n'est plus le cas. Ceux que je rencontre aujourd'hui dans les établissements scolaires ont un discours différent de celui que j'ai connu. Ils ne se sentent pas chez eux en France alors qu'ils sont nés ici. Ils veulent tous rentrer au "bled", un bled que des jeunes de leur âge fuient en traversant la mer dans l'espoir d'être à leur place en France.

Dans ce monde que vous décrivez, qu'est-ce qui fait la singularité d'Aya ?

Quand les lecteurs viennent me parler de ce que leur apportent les histoires d'Aya, ils se disent touchés par son souhait d'émancipation. Aya est une féministe mais pas une rebelle. C'est une femme bien dans sa peau, intelligente et qui vit avec son temps. Tolérante et humaine, elle reste attentive à tout ce qu'il se passe autour d'elle.

Aya est d'ailleurs appréciée pour son altruisme qui va à contre-courant de l'attitude de beaucoup qui se regardent le nombril. Aya respecte son père, sa famille tout en voulant faire ses propres choix : celui de faire des études, de choisir l'homme qu'elle aime...Tout cela sans jamais condamner ses copines qui n'ont pas les mêmes aspirations qu'elle. Elle plaît parce que c'est une vraie héroïne et je crois qu'on n'a pas besoin d'avoir de superpouvoirs pour en être une. 

L'auteure Marguerite Abouet, créatrice de la BD "Aya de Yopougon". (GALLIMARD/CHLOE VOLLMER-LO)

Pourquoi avez-vous choisi la BD pour vous exprimer ? 

Quand nous étions plus jeunes, je piquais les rares BD appartenant à mon frère quand il n'était pas là. Pour lui, les filles ne devaient pas lire de BD. Mais moi, je n'étais pas une fille comme les autres. Je les lisais donc avec mes copines, en cachette, et d'ailleurs on n'était pas obligé de tous savoir lire. Dans mon quartier de Yopougon, c'était le cas de beaucoup d'enfants. Le grand avantage d'une BD, c'est que tout le monde peut comprendre l'histoire. Plus tard, quand j'ai commencé à vouloir raconter mon enfance heureuse à Yopougon, c'est le format qui m'a paru le plus adapté. 

Avant Aya, il y avait Akissi à qui vous vous êtes consacrée ces dernières années... 

Mon premier projet, c'était Akissi ! J'avais 12 ans quand je suis arrivée en France. Mes nouveaux amis en 6e me posaient des questions bizarres : vous avez des voitures ? Vous habitez dans des maisons ? Cela me choquait et je les trouvais bêtes parce que, nous en Côte d'Ivoire, savions comment "les petits blancs" vivaient. J'ai tout de suite été guidée par l'idée de rétablir la vérité en leur racontant mon Afrique, mon pays, la Côte d'Ivoire, et mon quartier. Je suis ainsi devenue l'attraction lors des récrés. D'abord parce que je n'avais pas ma langue dans ma poche, ce qui est assez normal quand on vient de Yopougon (rires), et ensuite grâce à mon grand-père maternel qui m'a appris à conter des histoires.

Plus tard, j'ai gardé des enfants et j'en ai eu assez de leur lire des histoires avec que des héros blancs. Je me suis alors mise à leur raconter les miennes, celles de mon enfance à Abidjan. A la fin, je les amusais tellement qu'ils ne voulaient plus entendre parler de Blanche-Neige et de tous les autres. Ils voulaient les histoires de ''Marguerite petite" et leurs parents m'ont beaucoup encouragée à faire quelque chose de ces récits. Puis la vie a continué et, un jour, j'ai ressorti les histoires d'Akissi sans savoir quoi en faire. On m'a alors présenté Clément Oubrerie qui était Illustrateur jeunesse : Aya de Yopougon est sa première bande dessinée pour adultes. A l'époque, je lui avais montré les récits autour de la petite Akissi. Il a dessiné les planches de mon histoire à partir des photos que je lui ai fournies de mon enfance en Côte d'Ivoire. C'était super !

Comment Aya a supplanté Akissi dans votre processus créatif ? 

En 2003, Clément a envoyé notre projet à Thierry Laroche, éditeur chez Gallimard qui ne faisait pas de BD à l'époque. Mais il nous a contactés pour nous expliquer qu'ils étaient en train de monter une nouvelle collection de BD pour adultes, Bayou, dirigée par Joann Sfar. Thierry Laroche nous a alors demandé de faire grandir la petite Akissi. Je leur ai répondu que je n'avais vécu que mon enfance à Abidjan tout en leur proposant les aventures de la grande sœur d'Akissi. Nous avons commencé à travailler sur Aya de Yopougon en 2004 et le premier tome est sorti fin 2005. 

Va-t-on de nouveau retrouver Aya au cinéma ? 

Beaucoup de personnes ont rencontré Aya grâce au film. Quand Netflix l'a diffusé, des jeunes l'ont de nouveau découverte. Cette nouvelle génération réclame une suite. Nous y pensons et si le projet prend corps, il devrait plutôt prendre la forme d'une série premium, toujours en animation. 

Couverture du tome 7 de la BD "Aya de Yopougon" signée Marguerite Abouet et Clément Oubrerie (Gallimard Jeunesse, 128 pages, 18 euros).  (GALLIMARD JEUNESSE)

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