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"Le Chat du Rabbin" de Joann Sfar revient avec une jolie fable sur l'existence

Après neuf ans d'absence, "Le Chat du Rabbin" de Joann Sfar est en librairie avec un tome 6, "Tu n'auras pas d'autre dieu que moi". On retrouve le félin philosophe chez lui, en Algérie, habité par une angoisse : la fille du rabbin, sa maîtresse, est enceinte. Le chat sera-t-il toujours au centre du monde ? Derrière l'humour, une jolie fable sur la solitude, l'identité, la religion…
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Détail de la couverture de ""Tu n'auras pas d'autre dieu que moi".
 (Dargaud)

Il y a douze ans, nous faisions la connaissance de ce nouveau venu dans la famille des félins de bande dessinée : gris, osseux et aux oreilles démesurées, pas franchement gracieux donc, râleur et arrogant… mais redoutablement intelligent et attachant. Un chat qui parle et qui palabre même, inlassablement curieux de tout. Qui entretient avec le monde des humains une relation privilégiée, au point de vouloir tout faire comme eux, y compris embrasser le judaïsme et faire sa bar-mitsva, requête somme toute naturelle dans cette de famille composée d'un rabbin et de sa fille… En cinq ans et cinq volumes, le "Chat du Rabbin" nous a aussi fait voyager, depuis son Algérie natale : à Paris d'abord, puis en Ethiopie, à la recherche de "Jérusalem d'Afrique" ! C'était dans le dernier tome, paru en 2006.

Zlabya enceinte, un monde s'effondre

Il aura fallu neuf ans pour lire la suite. Au programme de "Tu n'auras pas d'autre dieu que moi" (Dargaud), pas d'aventure au grand large, mais une nouvelle à priori anodine : la fille du rabbin, Zlabya, mariée à son tour à un rabbin, est enceinte. Mais c'est oublier un détail que nous n'avons à dessein pas encore évoqué : l'amour absolu qu'éprouve le chat pour sa maîtresse et la relation exclusive qu'il entend conserver avec elle. Alors, imaginez l'arrivée d'un bébé qui accaparera l'attention de sa belle...
  (Dargaud)
Le coup est rude : la jalousie, atroce, annonce une longue souffrance. Le chat, page 9, parlant de Zlabya : "J'ai une boule dans le ventre". "Je me recroqueville dans un coin pour qu'elle vienne me chercher" "Mais elle pense à autre chose. Je n'ai pas de caresse". "Je n'arrive pas à me faire à cette idée atroce. Je ne serai jamais le père de ses enfants". Et d'ajouter, plus sérieusement : "j'essaie de bien lui montrer avec mes yeux que je suis triste".

Ah ça oui, il est très triste. Mais le chat du rabbin n'est pas du genre à se laisser abattre. Alors, que faire ? Sur les conseils de son maître, il cherche consolation dans la religion. Il tente la prière, se dandine, psalmodie, en vain. Le chat, à son maître : "moi, en une minute, j'ai mille idées. Vous, depuis mille générations, vous ânonnez les mêmes formules ! Et je suis certain que la moitié des fidèles ne comprennent même pas l'hébreu". "Et alors ?", répond le rabbin : "qui prouve que tes mots sont plus utiles que ma prière ?" "Moi au moins je me révolte", conclut le chat. Faute d'apaisement, il menace de disparaître, d'en finir. Sans résultat. Et s'il recouvrait son identité d'animal et arrêtait de faire comme s'il était un humain ?

Voyage intérieur

"Tu n'auras pas d'autre dieu que moi" est un joli prétexte, imaginé par Joann Sfar, pour inviter à un voyage intérieur en compagnie du chat. Comme il sait le faire, avec légèreté et beaucoup d'humour. Mais le sujet est sérieux. Au-delà des résonnances à la vie de l'auteur (qui a perdu sa mère très jeune et qui a vécu auprès d'un père séfarade et un grand-père maternel ashkénaze offrant chacun sa lecture – différente – du judaïsme), les thèmes qu'aborde ce tome 6 offrent à ses personnages une grande étendue scénaristique et littéraire : l'angoisse de la solitude, l'attente, le temps qui passe, le besoin de spiritualité, la quête de sens à l'existence, la recherche d'identité… Rien que ça ! Joann Sfar n'est pas pour rien également philosophe de formation.
  (Dargaud)

Et il sait, avec talent, captiver le lecteur d'une case à l'autre avec du rythme. Son coup de crayon y est pour beaucoup, un trait jeté, rapide, faussement superficiel et extrêmement soigné : quelle attention aux détails, au mouvement, aux ombres, aux ornements architecturaux, comme aux boucles de Zlabya ! Pour terminer, citons ces quatre cases, page 19, où le chat vient de découvrir le ventre rond de sa maîtresse : "Et si c'était pas moi, le centre du monde ? Et si le théâtre de la vie que je trouvais si bien écrit parce que j'avais l'impression qu'il était construit autour de moi"… "Si c'était pas écrit du tout !" "Si le cosmos s'en foutait complètement que j'aime ou je n'aime pas le théâtre qu'on joue sur terre ?"…

"Le Chat du Rabbin, t.6, Tu n'auras pas d'autre dieu que moi" (Dargaud), en librairie le 28 août 2015

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