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L'Histoire en bulles : un phénomène d’édition

Cet automne, les bandes dessinées historiques ont envahi les étals spécialisés des librairies. Le genre représente aujourd’hui la moitié des nouveaux titres. Du jamais vu. Après l’engouement pour l’univers fantastique dans les années 90, l’Histoire fait depuis plusieurs années son grand retour dans le neuvième art avec des sagas déjà cultes.
Article rédigé par franceinfo - Stéphanie Lafourcatère
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Airbone 44 - Tome 3 - Détail page 3.
 (Casterman)

Sa sortie a créé l’événement il y a quelques jours. Le tome 5 d'"Il était une fois en France, le petit juge de Melun" a fait une entrée fracassante dans les librairies. Ses auteurs Fabien Nury et Sylvain Vallée qui ont reçu pour leur saga phénomène le Prix de la série au dernier festival d’Angoulême, ont cette fois ancré leur héros, M. Joseph, collabo devenu richissime, dans l’après-Libération. A travers son destin, c’est la grande Histoire de France qui se dessine.

Il était une fois la France, Le petit juge de Melun. Détail page 12.
 (Glénat)

Dans le sillage de ce succès, on trouve un florilège de nouveaux titres historiques tout aussi prometteurs pour les maisons d'édition. On peut citer "Airborne 44" de Jarbinet. Déjà best-seller l’an dernier, la série devrait de nouveau remporter les suffrages avec l’épisode 3 dans lequel un jeune héros américain de 19 ans est confronté au chaos du débarquement. Autre auteur qui fait parler de lui : Maximilien Le Roy pour "Dans la nuit, la liberté nous écoute" sur fond de guerre d’Indochine.

Les bandes dessinées qui puisent leur inspiration dans l’Histoire connaissent un véritable engouement. Nombreuses sont celles qui dépassent largement la moyenne des ventes en BD, aux environs de 6000 exemplaires. Ainsi, la série des "Aigles de Rome" d’Enrico Marini dépasse les 70.000 exemplaires pour ses deux premiers volets. Le troisième opus qui vient de paraître a été lui aussi, taillé pour s’imposer dans les rayons.

Diversité des époques et des graphismes

Si les maîtres comme Hugo Pratt avec "Corto Maltese", Tardi avec "C’était la Guerre des tranchées" ou encore François Bourgeon avec "Les Passagers du Vent" (édités au début des années 80 et vendus à plus de trois millions d’exemplaires) ont ouvert la voie, de nouveaux noms tels que Isabelle Dethan avec notamment "Les ombres du Styx" et Jean-Sébastien Bordas avec "Le Recul du fusil" sont apparus récemment dans le neuvième art historique, mettant un terme à la domination dans les années 90, de la BD fantastique, l’un de ses plus grands représentants étant "Lanfeust de Troy" de Scotch Arleston et Yves Lencot. Désormais, le genre a même ses deux festivals à Senlis et Briançon. Toutes les époques et tous les sujets sont abordés : de la Rome Antique à la guerre d’Algérie en passant par la Seconde guerre mondiale, une époque largement explorée. Côté graphisme, la diversité est de mise également. Les coups de crayon et le propos cultivent leur différence.

Les Ombres du Styx. Détail de la couverture.
 (Delcourt)

Comment expliquer un tel engouement ? "L’Histoire passionne les auteurs comme les lecteurs, elle constitue une source inépuisable d’aventures héroïques," confie l’auteur et dessinateur Enrico Marini qui fait un parallèle avec le beau succès de romans historiques. Mais certains spécialistes de la BD vont plus loin. Le libraire lyonnais Loris Thiel estime lui, qu’il faut lier cet intérêt accru du public au succès du "Da Vinci Code" de Dan Brown. "De nombreux lecteurs se sont alors passionnés pour la chrétienté et se sont tournés vers des titres comme "Le Triangle secret" et "Le Décalogue." D'après lui, "l’actualité particulièrement dense de ces dernières années peut aussi jouer un rôle. De grands évènements comme les attentats du 11 septembre 2001 ont donné le sentiment que l’Histoire était en marche, d’où une volonté du grand public de s’informer et de comprendre. Et d’une certaine manière, les BD historiques alimentent la réflexion. »

Se plonger dans les bulles permettrait ainsi d’en savoir plus sur le passé. Encore faut-il que les œuvres respectent la vérité historique. Aujourd’hui, la grande majorité des titres s’avère de plus en plus documentés. On est bien loin de notre célèbre Gaulois "Astérix" qui s'appuie sur l’humour plutôt que sur la précision documentaire ou encore du jeune héros romain "Alix." Le trentième tome de la série vient d’ailleurs de sortir. Dans "La conjuration de Baal", Michel Lafon, Christophe Simon et Jacques Martin ont bâti une nouvelle intrigue fantaisiste autour d’une conjuration menée sous l’égide d’un certain Dieu Baal et de la secte de ses adorateurs masqués.

Murena, modèle du genre

Aux antipodes de cet amusement avec l’Histoire, la saga "Murena" est elle, très documentée. Leurs auteurs Philippe Delaby et Jean Dufaux ont poussé le réalisme jusqu’à sortir une version de leurs albums en latin. Leur BD, un modèle du genre, influence la production contemporaine. On pourrait par exemple, citer la série "Les Boucliers de Mars" qui se veut particulièrement réaliste. Une exigence qui lui vaut d’être recommandée par le magazine Historia. Le deuxième tome est d’ailleurs attendu pour janvier.

Murena Tome 8. Détail de la couverture.
 (Dargaud)

Autre tendance inédite ces dernières années : l’uchronie. Certains auteurs mettent en scène une époque, mais modifient le cours de l’Histoire. Dans "Histoire secrète" de Jean-Pierre Pécau, Igor Kordey et Len O’Grady, quatre joueurs manipulent le temps pour servir leur soif de pouvoir. Personnages réels et de fiction se mêlent pour un récit totalement imaginaire. Un choix assumé qui rappelle que puiser dans l’Histoire reste une démarche subjective.

Si la BD historique invite au dépaysement, elle a aussi une visée pédagogique. De nombreux enseignants y ont recours pour familiariser leurs élèves à certains évènements. Exemple, "Maus" d’Art Spiegelmann. Ce moment du genre est la seule BD à avoir remporté le Prix Pulitzer. Elle sert de support pour aborder l’Holocauste.

Art Spiegelman a reçu pour Maus, le prix Pulitzer en 1992.
 (Flammarion)

Mais depuis quelques années, les bulles ne restent pas sur les bancs de l’école et rejoignent les amphithéâtres. On ne compte plus les ouvrages de recherche sur le lien entre BD et histoire. Ce sera même le thème d’un colloque international à l’Université de Pau du 23 au 26 novembre. Une première en France. Qui a dit que le neuvième art n’était pas sérieux ?

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