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: Interview Iouri Jigounov : "Je mets 8 à 10 mois pour dessiner un album de XIII"
L'ancien dessinateur de la série "Alpha" a pris la place de William Vance pour assurer le dessin de la saga culte XIII. Pour la sortie de tome 24, 'L'héritage de Jason Mac Lane", Iouri Jigounov explique comment il procède à la réalisation d'une aventure de l'amnésique le plus célèbre de la BD franco-belge et explique à quoi ressemblera le prochain tome.
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Avec cinq albums de XIII à votre actif, avez-vous acquis des automatismes dans le dessin ?
Au début, pour les personnages comme le colonel Jones, Betty ou le général Carrington, je devais regarder régulièrement dans les albums de William Vance. Après, pour les nouveaux personnages, il fallait faire attention au début à ce que les visages se ressemblent bien d'une case à l'autre. Comme pour chaque BD que je réalise, il faut attendre que ces personnages qui existent bien dans mon esprit, existent dans ma main, pour que je puisse les dessiner sans aucune aide. Je n'y suis pas encore tout à fait.
Et puis de toute façon, lorsque l'on m'a proposé de reprendre le dessin de XIII, j'ai prévenu l'éditeur qu'il n'était pas question que je dessine comme William Vance. Déjà parce que c'est impossible et ensuite parce que j'ai passé l'âge. Du moment qu'on reconnait ces personnages existants, il n'y a pas de problème.
Vous préférez accorder plus de temps à dessiner les visages ou les décors ?
Les deux. William Vance a toujours dessiné XIII comme si le personnage était ancré dans la réalité. Si on fait un personnage réaliste, il faut que le reste suive, sinon il y aura un décalage de style. Donc les cases doivent être détaillées pour que le lecteur arrive à croire que l'histoire se déroule à notre époque. Pour moi, c'est un mal nécessaire. Je déteste quand on prend du temps pour dessiner un visage et qu'on bâcle l'arrière-plan après.
Les scènes d'actions sont-elles les plus dures à dessiner ?
Non, cela dépend. C'est presque un repos après avoir dessiné des scènes de discussions. Ces scènes peuvent être ennuyeuses, avec des têtes qui parlent et pas de mouvement. Malheureusement pour ce genre de série, ce sont des moments inévitables. Les scènes actions, elles, peuvent être parfois casse-tête à composer. Surtout quand je ne suis pas d'accord avec la vision du scénario. Mais quand je n'ai pas une solution à proposer au scénariste, il faut que je fasse avec.
Par exemple, pour cet album-ci, je n'étais pas très inspiré par la scène, au début du récit, où XIII et la fille hollandaise s'échappent de l'appartement. Je ne pouvais pas dessiner cette page. Il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Dès la première lecture du scénario, je savais que cette scène allait poser problème. Alors j'ai décidé de finir l'album pour traiter cette page. Et même arrivé à la fin, je n'arrivais toujours pas à réaliser cette scène. Et puis il y a eu un déclic et en quelques minutes c'était fait.
Lorsque vous avez terminé un album, vous avez une étape de relecture ?
Non. Une fois que j'ai terminé de dessiner l'album, je le déteste presque immédiatement. Quand je regarde la BD, je vois trop d'erreurs et elle me tombe des mains. Je suis toujours déçu du résultat final. Il me faut attendre quelques années pour oublier l'album et que je le redécouvre. Récemment, j'ai ouvert une de mes anciennes bandes dessinées, qui date d'une quinzaine d'années, et j'étais étonné. Je me suis dit : "Tiens je dessinais comme ça, c'était pas mal. Pourquoi je ne fais plus comme ça maintenant ?"
Vous recevez le scénario d'un seul bloc de la part du scénariste ou vous le recevez par morceau ?
D'habitude je reçois tout le scénario d'un bloc. J'ai besoin d'avoir une vision globale de l'album avant de me lancer au dessin. Si je comprends tout et que je ne trouve pas d'erreurs dans l'intrigue, alors je me lance. Je mets 8 à 10 mois pour dessiner un album de XIII. Yves Sente est vraiment mon coéquipier. Quand j'ai fini une planche, je la lui envoie directement. Il la regarde et me dit s'il y a des corrections à faire ou s'il n'est plus nécessaire d'avoir une bulle de dialogue car l'image parle d'elle-même. Moins il y a de texte, je trouve, mieux c'est. Il faut que le scénariste reconnaisse son histoire à travers les planches, c'est le plus important.
Vous intervenez à certaines occasions dans le scénario d'Yves Sente ?
Pour des petits détails. C'est ce qui arrive à tous les couples scénariste-dessinateur. Lors de ma première lecture du scénario, si une scène n'est pas claire dans ma tête, même si elle est très bien décrite, je vais suggérer des changements. Cela concerne surtout les scènes d'actions, en termes de nombre d'images par page. Parfois je trouve qu'il y n'a pas assez de place pour décrire une action, donc il faut avoir plus de cases et moins d'espace pour le texte. Je demande à l'auteur de couper par-ci par-là des morceaux du texte, je lui présente une alternative dans la composition de la page. En tout, je ne suis intervenu que pour deux ou trois scènes d'action en cinq albums, ce qui n'est pas beaucoup.
Vous dessinez actuellement le prochain album ?
Non, pour l'instant je suis dans une période où le dessin me dégoûte. Je ne suis pas vraiment un artiste, j'aime seulement faire la BD. Prenez des dessinateurs comme Grzegorz Rosinski, il ne peut pas passer un jour sans dessiner. Moi, passer des mois sans toucher à un crayon, cela me va très bien ! Quand je peux me le permettre bien évidemment. Je me souviens qu'entre les tomes 10 et 11 d'Alpha, le scénario ne venait pas. C'était un été, il faisait chaud et je faisais mes cocktails. Pendant cinq mois, je n'ai rien fait et je me sentais très bien. Rien que de penser au dessin là aujourd'hui, cela me dégoûte. Mais cela va changer d'ici quelques jours peut-être et j'aurai alors besoin de dessiner.
J'ai remarqué aussi qu'après ces longues périodes à ne rien faire, mon dessin ne s'améliore peut-être pas pour le regard extérieur, mais j'ai plus de facilités. Je n'ai plus peur de la planche blanche. J'ai moins de doutes.
Vous n'avez pas dessiné depuis quand ?
Depuis mi-mars. J'avais une bonne excuse pour ne pas dessiner : le scénario du prochain album n'était pas encore prêt à 100%. Mais maintenant, je crois que j'ai la dernière version du scénario. Ce sera un album spécial dans la veine de "XIII L'enquête" qui fera office de conclusion, pour ceux qui veulent une explication concrète par rapport aux cinq précédents volumes. Il donnera aussi des détails importants pour la suite. Il sortira peut-être en même temps que l'album normal qui, lui, fera directement suite au tome 24.
Je devais attendre que le scénario d'Yves Sente soit prêt, ainsi que la maquette de l'album, créée par le graphiste, pour pouvoir me lancer. Je dois savoir exactement la place que j'ai pour tel dessin ou pour tel strip (NDLR, une série de case alignée à l'horizontale) sur les pages, parce qu'il y aura systématiquement un texte à côté. À partir de la semaine prochaine je vais tout doucement commencer à repenser au dessin et à me mettre au travail.
Au début, pour les personnages comme le colonel Jones, Betty ou le général Carrington, je devais regarder régulièrement dans les albums de William Vance. Après, pour les nouveaux personnages, il fallait faire attention au début à ce que les visages se ressemblent bien d'une case à l'autre. Comme pour chaque BD que je réalise, il faut attendre que ces personnages qui existent bien dans mon esprit, existent dans ma main, pour que je puisse les dessiner sans aucune aide. Je n'y suis pas encore tout à fait.
Et puis de toute façon, lorsque l'on m'a proposé de reprendre le dessin de XIII, j'ai prévenu l'éditeur qu'il n'était pas question que je dessine comme William Vance. Déjà parce que c'est impossible et ensuite parce que j'ai passé l'âge. Du moment qu'on reconnait ces personnages existants, il n'y a pas de problème.
Vous préférez accorder plus de temps à dessiner les visages ou les décors ?
Les deux. William Vance a toujours dessiné XIII comme si le personnage était ancré dans la réalité. Si on fait un personnage réaliste, il faut que le reste suive, sinon il y aura un décalage de style. Donc les cases doivent être détaillées pour que le lecteur arrive à croire que l'histoire se déroule à notre époque. Pour moi, c'est un mal nécessaire. Je déteste quand on prend du temps pour dessiner un visage et qu'on bâcle l'arrière-plan après.
Les scènes d'actions sont-elles les plus dures à dessiner ?
Non, cela dépend. C'est presque un repos après avoir dessiné des scènes de discussions. Ces scènes peuvent être ennuyeuses, avec des têtes qui parlent et pas de mouvement. Malheureusement pour ce genre de série, ce sont des moments inévitables. Les scènes actions, elles, peuvent être parfois casse-tête à composer. Surtout quand je ne suis pas d'accord avec la vision du scénario. Mais quand je n'ai pas une solution à proposer au scénariste, il faut que je fasse avec.
Par exemple, pour cet album-ci, je n'étais pas très inspiré par la scène, au début du récit, où XIII et la fille hollandaise s'échappent de l'appartement. Je ne pouvais pas dessiner cette page. Il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Dès la première lecture du scénario, je savais que cette scène allait poser problème. Alors j'ai décidé de finir l'album pour traiter cette page. Et même arrivé à la fin, je n'arrivais toujours pas à réaliser cette scène. Et puis il y a eu un déclic et en quelques minutes c'était fait.
Yves Sente vous laisse parfois carte blanche pour une page ou une scène ?
Non, Yves est un scénariste responsable, je préfère que tout soit terminé et bien cadré dans le scénario. C'est son travail. Il le fait de A à Z, parfois de manière assez maniaque en ce qui concerne les fins de page, comme si on publiait encore les BD à suivre, 2 pages par semaine. Il aime bien ça, donc il faut toujours que je pense à ne pas toucher aux fins de pages, sinon j'aurais une scène de ménage.Lorsque vous avez terminé un album, vous avez une étape de relecture ?
Non. Une fois que j'ai terminé de dessiner l'album, je le déteste presque immédiatement. Quand je regarde la BD, je vois trop d'erreurs et elle me tombe des mains. Je suis toujours déçu du résultat final. Il me faut attendre quelques années pour oublier l'album et que je le redécouvre. Récemment, j'ai ouvert une de mes anciennes bandes dessinées, qui date d'une quinzaine d'années, et j'étais étonné. Je me suis dit : "Tiens je dessinais comme ça, c'était pas mal. Pourquoi je ne fais plus comme ça maintenant ?"
Vous recevez le scénario d'un seul bloc de la part du scénariste ou vous le recevez par morceau ?
D'habitude je reçois tout le scénario d'un bloc. J'ai besoin d'avoir une vision globale de l'album avant de me lancer au dessin. Si je comprends tout et que je ne trouve pas d'erreurs dans l'intrigue, alors je me lance. Je mets 8 à 10 mois pour dessiner un album de XIII. Yves Sente est vraiment mon coéquipier. Quand j'ai fini une planche, je la lui envoie directement. Il la regarde et me dit s'il y a des corrections à faire ou s'il n'est plus nécessaire d'avoir une bulle de dialogue car l'image parle d'elle-même. Moins il y a de texte, je trouve, mieux c'est. Il faut que le scénariste reconnaisse son histoire à travers les planches, c'est le plus important.
Yves Sente vous informe des grandes lignes de l'histoire de XIII ?
Non. On travaille épisode après épisode. Je ne veux pas savoir la suite de l'histoire tant que je n'ai pas achevé le dessin de la BD en cours. Il faut me motiver tous les jours pour clôturer l'album le plus vite possible. Si je connais déjà la suite, je sais que ça va me couper l'appétit pour les dernières images. Donc je préfère ne rien savoir de la suite. Je termine mon album, le scénario du suivant est déjà prêt et je demande alors à Yves Sente de me l'envoyer.Vous intervenez à certaines occasions dans le scénario d'Yves Sente ?
Pour des petits détails. C'est ce qui arrive à tous les couples scénariste-dessinateur. Lors de ma première lecture du scénario, si une scène n'est pas claire dans ma tête, même si elle est très bien décrite, je vais suggérer des changements. Cela concerne surtout les scènes d'actions, en termes de nombre d'images par page. Parfois je trouve qu'il y n'a pas assez de place pour décrire une action, donc il faut avoir plus de cases et moins d'espace pour le texte. Je demande à l'auteur de couper par-ci par-là des morceaux du texte, je lui présente une alternative dans la composition de la page. En tout, je ne suis intervenu que pour deux ou trois scènes d'action en cinq albums, ce qui n'est pas beaucoup.
Vous dessinez actuellement le prochain album ?
Non, pour l'instant je suis dans une période où le dessin me dégoûte. Je ne suis pas vraiment un artiste, j'aime seulement faire la BD. Prenez des dessinateurs comme Grzegorz Rosinski, il ne peut pas passer un jour sans dessiner. Moi, passer des mois sans toucher à un crayon, cela me va très bien ! Quand je peux me le permettre bien évidemment. Je me souviens qu'entre les tomes 10 et 11 d'Alpha, le scénario ne venait pas. C'était un été, il faisait chaud et je faisais mes cocktails. Pendant cinq mois, je n'ai rien fait et je me sentais très bien. Rien que de penser au dessin là aujourd'hui, cela me dégoûte. Mais cela va changer d'ici quelques jours peut-être et j'aurai alors besoin de dessiner.
J'ai remarqué aussi qu'après ces longues périodes à ne rien faire, mon dessin ne s'améliore peut-être pas pour le regard extérieur, mais j'ai plus de facilités. Je n'ai plus peur de la planche blanche. J'ai moins de doutes.
Vous n'avez pas dessiné depuis quand ?
Depuis mi-mars. J'avais une bonne excuse pour ne pas dessiner : le scénario du prochain album n'était pas encore prêt à 100%. Mais maintenant, je crois que j'ai la dernière version du scénario. Ce sera un album spécial dans la veine de "XIII L'enquête" qui fera office de conclusion, pour ceux qui veulent une explication concrète par rapport aux cinq précédents volumes. Il donnera aussi des détails importants pour la suite. Il sortira peut-être en même temps que l'album normal qui, lui, fera directement suite au tome 24.
Je devais attendre que le scénario d'Yves Sente soit prêt, ainsi que la maquette de l'album, créée par le graphiste, pour pouvoir me lancer. Je dois savoir exactement la place que j'ai pour tel dessin ou pour tel strip (NDLR, une série de case alignée à l'horizontale) sur les pages, parce qu'il y aura systématiquement un texte à côté. À partir de la semaine prochaine je vais tout doucement commencer à repenser au dessin et à me mettre au travail.
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