"Il était une fois en Jamaïque" : une enquête en BD sur les coulisses du fameux "One Love Peace Concert" de Bob Marley à Kingston

Si vous n'êtes pas encore rassasié de Bob Marley, dont le biopic a débarqué en salles mercredi 14 février, ou que vous souhaitez un éclairage sur le fameux "One Love Peace Concert" qui referme le film, vous pouvez lire cette enquête palpitante pour laquelle le scénariste est allé rencontrer plusieurs protagonistes de l'histoire.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Une scène-clé de la BD "Il était une fois en Jamaïque" de Loulou Dedola (scénario) et Luca Ferrara (dessin) montrant la fameuse poignée de mains historique de deux politiciens rivaux autour de Bob Marley. (FUTUROPOLIS)

C’est une bande dessinée, mais c’est aussi bien plus que cela : Il était une fois en Jamaïque (éditions Futuropolis) est d’abord une enquête. Celle qu’a menée le Français Loulou Dedola sur place pour comprendre ce qui conduisit au One Love Peace Concert historique du 22 avril 1978 à Kingston. Un concert pour lequel Bob Marley était rentré spécialement de Londres après deux ans d’exil, suite à une tentative d’assassinat sur sa personne en 1976.

Accueilli en héros en Jamaïque, le chanteur de Get Up, Stand Up parvint ce jour-là, au mépris du danger, à réunir sur scène pour une poignée de mains exceptionnelle les deux rivaux politiques de l’île, Michael Manley et Edward Seaga. À l’époque, le premier, socialiste du PNP (People’s National Party), est au pouvoir en tant que Premier ministre depuis 1972. Le second, conservateur aux couleurs du JPL (Jamaica Labour Party), soutenu par Washington, est alors le leader de l’opposition. Les deux se disputent âprement le pouvoir dans l’île des Caraïbes en proie à une guerre civile sanglante.

Caïds et politiciens en eaux troubles

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la couverture de l’ouvrage ornée d’un portrait de Bob Marley, l’auteur du scénario, Loulou Dedola, qui est aussi musicien et a appris à tenir la basse en écoutant les hits du roi du reggae, ne se penche pas sur l’ascension de ce dernier et de ses Wailers. Il s’intéresse en revanche de très près aux rapports qu’entretenaient les hommes politiques et les leaders des ghettos jamaïcains, ces gangsters qui tenaient fermement leurs territoires à coups d’intimidations meurtrières. Les politiciens lorgnaient en effet sur l’électorat des bidonvilles, crucial pour remporter les élections.

Pour démêler cet écheveau et reconstituer le déroulé de l’histoire, Loulou Dedola est allé sur place, à la source. Là, il a gagné la confiance de plusieurs protagonistes encore vivants du concert événement de 1978 et s’est longuement entretenu avec eux. Il a notamment parlé au politicien Edward Seaga (mort depuis), à un policier bien renseigné, à des musiciens comme Sly Dunbar et à des producteurs, mais aussi à l’épouse d’un des plus fameux chefs de gangs, Claudie Massop, qui était aussi un ami d’enfance de Bob Marley.

Deux gangs décident de faire la paix

Son récit montre comment l’idée du One Love Peace Concert germa en prison dans la tête de deux caïds, deux ennemis jurés : Claudie Massop, qui roulait alors pour le JLP et tenait le dangereux quartier de Tivoli Gardens, et Bucky Marshall, qui travaillait avec le PNP et tenait le bidonville d’Arnett Gardens. Leur alliance improbable n'avait qu'un but : cesser de verser en vain le sang de leur communauté. "Ce sont les politiciens qui se font la guerre par communautés interposées", résume un protagoniste dans la BD. "Le peuple n’a rien à gagner dans les affrontements".

Une planche de la bande dessinée "Il était une fois en Jamaïque" de Loulou Dedola (scénario) et Luca Ferrara (dessin). (FUTUROPOLIS)

Une fois le cessez-le-feu décrété par les deux leaders, restait à sceller ce pacte en musique. Et qui de mieux que Bob Marley pour donner ce concert pour la paix dont les bénéfices iraient aux déshérités ? Une fois Marley convaincu de rentrer, il fallut persuader et rallier à la cause tout ce que la Jamaïque comptait de producteurs, managers et musiciens en vue, de Peter Tosh à Dillinger, Jacob Miller & Inner Circle.

La suite, on la connaît : Bob Marley "venu prêcher la paix" fit monter sur scène les deux politiciens rivaux Manley et Seaga pour une poignée de mains historique. Et après ? Les affrontements reprirent quelques mois plus tard, plus sanglants que jamais : la campagne électorale donna lieu à 883 meurtres. Quant aux deux caïds, devenus gênants, ils furent éliminés rapidement. Un triste épilogue qui fit dire à Marley à propos des deux politiciens : "J’aurais dû les tuer tous les deux."

Avouons-le, on a parfois du mal à suivre en raison de la profusion de personnages (caïds, seconds couteaux, politiciens, musiciens), d’alliances, de trahisons et de coups bas. Mais la tension court tout du long de cette BD qui se dévore comme un thriller et dont on apprécie le graphisme élégant, les couleurs et le découpage très comics américains signés Luca Ferrara. Il y aurait en tout cas matière à porter cette histoire de réconciliation nationale sur grand écran. Elle serait sans doute autrement plus palpitante, mais bien moins imprégnée de bons sentiments, que le biopic consacré à Marley, en salles actuellement.

"Il était une fois en Jamaïque" de Loulou Dedola et Luca Ferrara (Futuropolis, 112 pages, 20 euros)

La couverture de la BD "Il était une fois en Jamaïque" de Loulou Dedola et Luca Ferrara. (FUTUROPOLIS)

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