"C'est effrayant de se lancer en BD, avec ce prix, je me sens validée" : Maurane Mazars, lauréate du Fauve d'Angoulême - Prix Révélation avec "Tanz"
Ce Fauve d'Angoulême Prix Révélation décerné vendredi 29 janvier 2021 à Maurane Mazars est une ode colorée à la danse et à la liberté.
Avec Tanz, publié aux éditions du Lombard le 28 août 2020, Maurane Mazars, 29 ans, remporte le Fauve Prix Révélation du Festival d'Angoulême 2021. Ce magnifique roman graphique, à l'origine son projet de diplôme à la Haute École des Arts du Rhin, avait déjà été récompensé par le prix Raymond Leblanc de la jeune création.
Sur la scène du Théâtre d'Angoulême, ou se déroulait vendredi soir la cérémonie de remise des Fauves, elle laisse exprimer sa joie. "Merci du fond du coeur", souffle-elle, la statuette serrée contre elle. "C'est effrayant parfois de se lancer dans une carrière en bande dessinée. Surtout en ce moment. j'ai beaucoup de chance, mais on sait à quel point c'est difficile pour les auteurs, et encore plus aujourd'hui, c'est une profession qui se paupérise", souligne-t-elle "Mais je suis vraiment contente. Merci".
Quelques heures avant de recevoir officiellement son prix, elle confie ressentir une forme de "soulagement". "C'est une nouvelle reposante, apaisante. On se demande toujours si on a fait le bon choix, si on a vraiment le talent pour faire ce métier. On a toujours un peu le syndrôme de l'imposteur" dit-elle. "Je me sens validée. Je me dis qu'il y a une chance pour que je puisse vraiment en faire mon métier et en vivre."
Son album raconte l'histoire d'Uli, jeune élève dans une école de danse prestigieuse en Allemagne, en 1957, passionné par la comédie musicale. Fred Astaire Gene Kelly sont ses idoles. Le jeune homme est moqué par ses congénères, qui méprisent ce genre venu d'outre-Atlantique, jugé trop technique et pas assez artistique.
Une rencontre à Berlin avec Anthony, un jeune noir américain, va bouleverser sa vie. Sur ses conseils, il part s'installer à New-York pour tenter sa chance. Uli y découvre toutes sortes de choses, sur la vie et sur lui-même, et notamment pourquoi la danse et le mouvement lui sont si nécessaires.
Un "passeport" pour une carrière artistique
"J'ai commencé à penser à cet album à un moment où j'allais mal. J'étais étudiante aux Arts Décos à Strasbourg, et j'avais du mal à trouver ma place, je doutais de mes capacités en dessin, je me posais des questions sur mon engagement artistique", raconte Maurane Mazars. "J'ai voulu transposer ce que je ressentais dans une autre discipline, à travers un personnage qui n'était pas moi", dit-elle.
Elle opte pour la danse et commence à faire des recherches "J'aimais bien la danse, je regardais des spectacles, mais je n'avais pas une grande culture dans ce domaine. J'aimais bien d'un côté la comédie musicale, et de l'autre Pina Bausch. Et je me suis rendue compte en faisant mes recherches que le Tanztheater et la comédie musicale s'étaient rejointes au cours de l'histoire, en Allemagne après la seconde guerre mondiale", raconte la Maurane Mazars.
Elle décide de faire de ce sujet son projet de diplôme, puis un professeur lui suggère de proposer sa candidature au Prix Raymond Leblanc de la Création. "Et j'ai gagné ! Il faut savoir que ce prix c'est une bourse, plus un contrat d'édition, et du coup j'ai pu arrêter les boulots alimentaires et me consacrer exclusivement à ce projet. J'ai même pu aller à New York pour faire des repérages !", dit-elle tout sourire, ajoutant que ce prix lui avait donné l'impression de décrocher un "passeport pour une carrière artistique".
"Une vision plurielle"
Véritable hymne au mouvement et à la danse, métaphores de la vie et de la liberté, Tanz charrie au passage de nombreux thèmes, comme les séquelles du nazisme dans l'Allemagne des années 50, le racisme aux Etats-Unis, en passant par le sexisme, mais aussi l'amitié, le désir et l'amour, faisant de ce roman graphique une variation subtile sur l'humanité, sur l'intimité d'un être et à sa construction, chargé de son histoire et confronté aux réalités sociales de son époque. Les villes, les lieux, les décors, New York, Berlin, sont des personnages à part entière de cette histoire.
La jeune autrice n'a pas cherché à aligner les "sujets", mais se dit soucieuse de faire entendre une "vision plurielle du monde". "Au départ, j'avais envie de travailler sur l'identité. J'ai beaucoup d'amis proches qui sont juifs, et j'ai toujours trouvé qu'ils avaient un rapport à l'identité très particulier. Cela peut paraître bizarre de dire ça en tant que Goy, mais c'est comme ça que je ressentais les choses !", s'exclame-t-elle. "Et je trouvais ça intéressant que ce personnage, dans une quête d'identité artistique, appartienne à une communauté".
En effectuant ses recherches, elle découvre aussi combien cette période, les années 50, "était traversée par les combats pour les droits civiques des Afro-américains, les luttes féministes, et par la mobilisation des associations pour la défense des homosexuels" Sensible aux voix de "ceux que l'on n'écoute pas suffisamment", la dessinatrice dit avoir cherché à travers cet album à faire entendre "cette pluralité de manière légère, un peu comme une conversation".
Trait en mouvement
Maurane Mazars déploie cette riche matière narrative dans une série de tableaux aquarellés très picturaux, avec un trait tantôt d'une liberté et d'une légèreté totale pour dire le mouvement et la danse, la joie et la liberté, tantôt dans une forme de rigidité aux apparences bancales, avec des contours plus marqués, pour dire les nœuds, la rigidité, les choses qui coincent.
La dessinatrice explique comment elle a voulu transposer son état d'esprit du moment dans les intentions graphiques. "J'étais moi-même dans une quête d'identité artistique, je m'interrogeais sur ce qui était ma propre expression, et j'ai décidé me faire confiance, de lâcher prise et de laisser ma main s'exprimer", confie-t-elle.
"Je savais que j'étais à l'aise avec les techniques acqueuses, et puis on m'a toujours dit aussi que je dessinais bien le mouvement", poursuit-elle. "J'ai donc fabriqué tout l'album avec des pastels aquarellés, c'est une technique qui sèche plus vite que l'aquarelle classique. C'est un mode de création qui me convient bien car ça va vite, et on ne peut pas revenir en arrière, donc ça évite de se poser trop de questions", ajoute cette jeune dessinatrice en permanence travaillée par le doute.
Maurane Mazars, passionnée de cinéma et de musique, laisse souvent les couleurs, le dessin, la composition parler, avec des pages sans paroles, qui rythment le récit. Comme des pauses, comme des silences ou des notes en suspens, comme des tableaux à contempler, à méditer, ils laissent toute sa place à l'imagination du lecteur.
"En bande dessinée, la gestion du temps peut être compliquée. Elle va dépendre de la vitesse de lecture et de toutes sortes de choses. Je m'interroge beaucoup sur la manière d'exprimer le temps qui passe", confie Maurane Mazars. "Mon histoire se déroule sur deux années, et donc les pages muettes me permettent de faire des ellipses, d'exprimer les silences, et le temps qui passe", conclut cette dessinatrice pleine de promesses.
Tanz, de Maurane Mazars (Le Lombard – 248 pages couleurs – 19,99 €)
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