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Dans "Catharsis", Luz soigne sa douleur par le dessin
Le 7 janvier, le dessinateur Luz est arrivé en retard à la conférence de rédaction de Charlie. C'était son anniversaire. Cela lui a sauvé la vie. Mais comment survivre à ça ? Dans l'attentat, il a perdu non seulement des amis chers mais aussi l'envie de dessiner. Seul le dessin est revenu d'entre les morts, pour le libérer de la douleur et de la sidération. Il le raconte dans "Catharsis".
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Retrouvailles avec le dessin
"Un jour le dessin m'a quitté, le même jour qu'une poignée d'amis chers. A la seule différence qu'il est revenu, lui. Petit à petit. A la fois plus sombre et plus léger", écrit Luz en ouverture de cet album très personnel, publié jeudi 21 mai chez Futuropolis.Dans des styles graphiques différents, il conte l'histoire de ces "retrouvailles" avec le dessin et recrée le kaléïdoscope de sa vie après l'assassinat de ses amis dans les locaux de l'hebdomadaire satirique.
Il y a "Ginette", le surnom de sa boule au ventre, le "vampire" qui le dévore avec ses bons sentiments, les cauchemars, l'escorte policière qu'il montre le suivant jusque dans sa chambre à coucher, et puis les scènes d'amour avec sa compagne, Camille, "éternellement aimée".
Tonalité intime
"Ce livre n'est pas un témoignage, encore moins un ouvrage de bande dessinée", écrit-il encore.Auteur de la couverture controversée du premier Charlie Hebdo paru après la tuerie, Luz fait peu d'allusions à l'islam ou aux intégristes dans cet album à la tonalité souvent intime. Dans le numéro des "survivants", il avait dessiné Mahomet, tenant une pancarte "Je suis Charlie", avec comme surtitre "Tout est pardonné". Depuis, il déclaré qu'il ne dessinerait plus le personnage du prophète.
Dans "Catharsis", Luz fait passer le test de Rorschach à un intégriste musulman qui lui demande: "Rorschach, c'est pas juif comme nom ?".
"Ginette" et "Le Vampire"
Il dialogue avec sa boule au ventre, qui est "là pour l'empêcher d'oublier", mais aussi avec son propre double sur la tombe de son ami Charb, directeur de Charlie, une des douze victimes de l'attentat.Quant au "vampire", il prend le dessinateur dans ses bras, dégoulinant d'empathie - "merci d'être là, je me rappellerai toute ma vie du 7 janvier" - et laisse Luz réduit à une brindille, liquéfié par cette avalanche de bons sentiments.
Après l'attentat, il n'arrive à dessiner que de petits êtres aux grands yeux sidérés, paralysés par l'horreur, le même qu'il a dessiné lorsque les policiers du 36 quai des Orfèvres lui ont demandé de dire ce qu'il avait vu. A la fin de "Catharsis", les bonshommes ont le même regard, mais ils ont retrouvé leur jambes.
Rien de va plus à Charlie Hebdo
La publication de "Catharsis" intervient en plein conflit au sein de la rédaction de Charlie Hebdo, divisée depuis l'attentat. Quinze salariés sur la vingtaine que compte le journal, parmi lesquels Luz et l'urgentiste Patrick Pelloux, ont réclamé en avril une nouvelle gouvernance et un statut d'"actionnaires salariés à part égale", disant "refuser qu'une poignée d'individus prenne le contrôle" de l'hebdomadaire.Une des contestataires, Zineb El Rhazoui, sociologue franco-marocaine militant contre l'islamisme, a été convoquée pour un entretien préalable à un licenciement. Selon Mediapart, Luz pourrait quitter le journal à la rentrée.
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