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Ce que les oiseaux ont à nous dire dans deux albums BD : "Les Oiseaux", de Troubs et "Le Goût des oiseaux", de Francisco Sousa Lobo

Dans "Les Oiseaux" du dessinateur français Troubs et "Le Goût des oiseaux" du Portugais de Francisco Sousa Lobo, les volatiles se font messagers des maux de notre monde.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Couvertures des albums BD  "Les Oiseaux", de Troubs et "Le Goût des oiseaux", de Francesco Sousa Lobo (FUTUROPOLIS / Editions RACKHAM)

Les Oiseaux de Troubs, aux éditions Futuropolis, et Le Goût des oiseaux, de Francisco Sousa Lobo (Rackham), deux albums BD parus en février, mettent en scène des volatiles. Dans les deux livres, ils apparaissent comme des messagers.  Dans le premier, ils nous parlent d'écologie et d'une nature en péril, dans l'autre d'un mal qui ronge, la pédophilie. Les personnages entrent en dialogue avec les oiseaux, fascinants bestiaux tutoyant le ciel, de bonne ou de mauvais augure, qui dans ces deux beaux albums nous invitent à faire meilleur usage du monde. 

"Les oiseaux" de Troubs : alerte sur la planète

Les oiseaux, dernier album de l'auteur de Mon voisin Raymond (Futuropolis, 2018) ou Chemins de pierres (Requins Marteaux, 2017), est un voyage en forme de dialogue entre ce "dessinateur voyageur" et les oiseaux qu'il rencontre dans les forêts du Périgord ou dans la ville de Beyrouth au Liban, en reconstruction, mangée par le béton.

L'histoire s'ouvre dans un sous-bois touffu du Périgord. Un homme, le dessinateur lui-même, cherche un arbre. "Un arbre à qui parler / un arbre qui ait de la feuille". Sur son chemin il croise un rouge-gorge, et son pas est accompagné du chant des corneilles.

"Les OIseaux", page 6 (TROUBS, FUTUROPOLIS)

"Les corneilles jamais on ne peut les surprendre / Les Corneilles savent toujours ce qui se passe / Toujours à deux / Toujours ensemble / Les corneilles on ne peut rien leur cacher". Le dessinateur cherche "un arbre à travers la forêt" mais il ne s'y prend manifestement pas de la bonne manière. "Tu fais trop de bruit / trop lourd", lui dit le rouge-gorge. Puis on retrouve le dessinateur à Beyrouth, à sa fenêtre, sur fond de béton. Ici les oiseaux se font rares, et c'est avec une tourterelle que s'engage le dialogue.

Ce dernier album de Troubs est un hymne à la nature. Le dessinateur nous invite dans la beauté sauvage de sa région, le Périgord, qu'il avait déjà racontée à travers le regard de son voisin paysan dans Mon voisin Raymond. Au cours de son voyage dialogué avec les oiseaux, et de ses balades dans le "Bois des Pins", dernier carré de nature épargné par la bétonisation de Beyrouth, le dessinateur retrace l'histoire de la ville. Beyrouth est ravagée par la guerre, ses ruines envahies par la végétation avant que les hommes ne se chargent de la reconstruction, qui ne laisse plus aucune place à la nature. 

"Les OIseaux", page 71 (TROUBS, FUTUROPOLIS)

Troubs poursuit son observation du monde et des hommes avec ce très bel album plein de poésie, servi par des dessins magnifiques de la forêt, des oiseaux, et de la ville, rythmés par les verticales des arbres, des buildings, des barreaux des cages. A travers ce voyage en compagnie des habitants du ciel, Troubs nous invite à réfléchir sur notre place d'humain dans le monde. "J'ai l'impression d'être sur une autre planète", constate le dessinateur, assis sur un tapis de feuilles dans sa forêt périgourdine. "Et pourtant c'est la même. Mais vous n'en faites pas bon usage", lui répond le rouge-gorge. "Asseyez-vous / Regardez autour de vous / Regardez vraiment", nous disent les tourterelles. 

"Le goût des oiseaux", de Francisco Sousa Lobo : alerte à la pédophilie

Au contraire du précédent, les oiseaux ne dévoilent pas ici la face lumineuse du monde, mais ses aspects les plus sombres. Peter Hickey, ornithologue retraité d'une soixantaine d'années aime Dieu, les oiseaux, qu'il observe et dessine, et qu'il tue aussi, parfois. Il aime aussi les enfants, un peu trop, et se débrouille pour que l'un ou l'autre l'accompagne dans ses séances d'observation.  

Peter, sa tête de vieux poupin, parle à Jésus, qui reste silencieux, et aux oiseaux qui lui répondent : "Va te faire foutre, enfoiré de fils de pute, laisse-moi partir, pédophile de merde." L'ornitologue a lui aussi accompagné un homme autrefois pour observer les volatiles, qui lui a appris le "goût des oiseaux", mais d'une façon qui a fait partir sa vie de travers. Il avait neuf ans. L'auteur entre dans le vif du sujet dès les premières cases.

"Ce salaud ne m'a jamais sodomisé, Dieu le bénisse, mais, chaque fois qu'on apercevait un oiseau rare, il me prenait la main… pour se tripoter, tandis que la nuit effleurait les champs irlandais et que même le chant du plus grossier des rouges-gorges sonnait comme celui d'un rossignol à ses énormes oreilles poilues."

"Le goût des oiseaux"

page 1

Francisco Sousa Lobo aborde sans détours mais dans la nuance le sujet sensible et tabou de la pédophilie, du point de vue de l'agresseur, lui-même victime, comme c'est souvent le cas. Sans porter de jugement, il expose à travers cette histoire les pulsions, et les sentiments de son personnage, le déni, la culpabilité, la confusion mentale.

Couverture "Le goût des oiseaux", Francisco Sousa Lobo (RACKAM)

Francisco Sousa Lobo, né au Mozambique en 1973, architecte et plasticien, auteur de bande dessinée depuis 2003, déploie d'un trait à l'encre rehaussé d'aplats vert d'eau Le goût des oiseaux, explorant un sujet d'actualité en interrogeant la représentation de l'enfant dans un esprit dérangé par une enfance violée. Le regard singulier de Francisco Sousa Lobo sur ce sujet complexe oblige le lecteur à regarder de front cette question répulsive, avec un récit qui mêle habilement crudité et expression métaphorique. Un album dérangeant, le premier de l'auteur traduit en France, dans lequel les oiseaux font figure de lanceurs d'alerte.  

"Les Oiseaux", de Troubs (Futuropolis, 88 pages en couleurs- 17 €)
"Le goût des oiseaux", de Francisco Sousa Lobo, traduit du portugais et de l'anglais par Sylvestre Zas (Editions Rackham - 76 pages en bichromie - 16 €)

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