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Bretécher à Beaubourg, indémodable

L'exposition consacrée à Claire Bretécher à la BPI sera inaugurée ce soir et ouvrira ses portes au public comme prévu mercredi. La Bibliothèque publique de Beaubourg consacre à cette grande dame de la BD une exposition monographique rétrospective. Visite en avant-première de cet hommage à une œuvre audacieuse, hilarante et indémodable. Un bonheur !

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Exposition Claire Bretécher à la BPI de Beaubourg
 (Laurence Houot avec Rita Scalia / Dargaud )

Exposition Bretécher, Agrippine à l'entrée
 (Laurence Houot / Culturebox)
Derrière les bâches qui protègent l'installation de l'exposition Bretécher, on est accueilli par Agrippine en pleine course, belle et juste manière d'introduire le sujet : l'œuvre de Claire Bretécher, comme la dessinatrice elle-même, est en mouvement, et l'a toujours été. Comme Alice derrière le lapin pressé, on se laisse entraîner par Agrippine, et là, nouvelle surprise : des tableaux sont sagement alignés derrière une vitrine. Classiques, presque tous sérieux (si l'on s'approche on peut néanmoins noter des petits détails qui signent l'humour de la dessinatrice). C'est le jardin intime de la Bretécher : sa peinture, qu'elle a rarement exposée (mais que l'on peut découvrir dans un beau livre aux éditions du Chêne), et qui a pour sujet ses proches, essentiellement des portraits, très doux, très beaux.
Les peintures de Claire Brétecher
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Pour préparer l'exposition, j'ai lu toutes ses planches. Absolument tout ce qu'elle a fait. Et puis je suis allée chez elle et j'ai découvert ses peintures, ses dessins, ses croquis, et j'ai été émerveillée", explique Isabelle Bastian-Dupleix, la commissaire de l'exposition, qui supervise les derniers détails de l'installation avant l'ouverture de l'exposition. "J'ai vraiment conçu l'exposition à partir des planches", ajoute la commissaire. Trois espaces composent cette rétrospective : une première partie consacrée à la vie de la dessinatrice, à son parcours.

De Nantes à Apostrophes

Claire Bretécher, née en 1940, grandit à Nantes, dans une famille bourgeoise et catholique, qu'elle quitte assez tôt pour monter à Paris gagner sa vie. De cette enfance on sait peu de choses, sinon qu'elle se met au crayon très tôt, avec sa grand-mère. Premières BD à 10 ans, inspirées de Tintin ou de Spirou, puis les beaux arts à Nantes avant de monter à Paris où elle s'inscrit aussi aux Beaux-Arts mais n'y reste pas. Elle fait des petits boulots : baby-sittings, cours d'histoire de l'art, puis elle commence à essayer de vendre ses dessins dans les rédactions. Elle fait affaire avec le journal catholique Le Pélerin, qui paie bien et tout de suite. Elle publie sa première BD "Le gnangnan" chez Spirou en 1968. Claire Bretécher devient vite une star : invitée sur les plateaux de télé, où elle affiche modestie et humour. On fait aussi appel à elle pour dessiner des campagnes de pub : des épiceries U en passant par les éditions Armand Colin ou la RATP.

Bretécher au cœur de "la joyeuse créativité de la BD de presse" des années 60-70

Le parcours de Bretécher est intimement lié à la BD dans la presse. C'est l'objet de la deuxième partie de l'exposition, très documentée. Claire Bretécher participe allègrement à cette période de joyeuse créativité pour la BD dans la presse : sa collaboration avec Pilote, à la demande de Goscinny, où sont publiées ses "Salades de saison", et les aventures de sa première grande héroïne : Cellulite, une princesse médiévale complètement déjantée. Puis elle se lance avec Gotlieb et Mandryka dans l'aventure de "L'écho des savanes". Elle invente en 1973 son hilarant personnage de chien libidineux "Le Bolot", pour "Le sauvage", premier mensuel écologiste. C'est la même année qu'elle commence sa collaboration avec le Nouvel Observateur, où elle croque chaque semaine les travers de la rédaction et des lecteurs. Naissance des Frustrés. Puis plus tard, quand elle en aura marre de dessiner des quarantenaires, elle donne naissance à Agrippine, l'insupportable et attachante adolescente.

Agrippine, exposition Bretécher, BPI de Beaubourg
 (Laurence Houot / Culturebox)

"Bretécher, sociologue de l'année" selon Roland Barthes en 1976

La troisième partie de l'exposition révèle tout le talent de la dessinatrice. On y découvre les planches originales, regroupées par thèmes. "Ce qui frappe dans l'œuvre de Bretécher, et que l'on voulait dès le départ donner à voir, c'est son talent pour montrer les rapports humains, les rapports sociaux", explique Isabelle Bastian-Dupleix, "c'est ce qui se dégage très tôt de son travail, dès 1969 dans ses dessins publiés dans Pilote, on voit cette tendance à croquer les rapports sociaux, et les normes sociales, à sa manière à elle, subtile. Pas la méthode Hara Kiri, pas la grosse cavalerie", ajoute la commissaire. Son ami Pétillon, qui la connait bien, confirme : "elle a fait des pages inoubliables sur les manifs, mais je ne la vois pas du tout manifester…".

"Les mères" Claire Bretécher, 1982
 (Claire Bretécher / Dargaud)
"Elle est d'une grande lucidité. Non seulement elle est drôle, mais derrière ce côté abrupt, direct, tranchant, (qu'elle s'applique aussi à elle-même d'ailleurs), elle transmet ce qu'elle comprend du monde et c'est pour ça qu'elle est actuelle", souligne Isabelle Bastian-Dupleix. "Elle touche chaque fois du doigt ce qui fait que l'on se sent concerné, nos ambiguïtés, nos contradictions, nos petits calculs", poursuit la commissaire.

Brétecher, une "artiste libre"

"Elle déteste être enfermée dans des cases et dit souvent 'je ne sais pas qui je suis. Je me cherche'. Elle met beaucoup d'elle-même dans ses histoires. Elle n'est pas tendre avec les gauchistes, mais elle reconnait qu'elle en fait partie elle-même". Claire Bretécher n'est pas une militante. Elle s'échappe dès qu'on cherche à l'enfermer. Quand Bernard Pivot, sur le plateau d'Apostrophes, lui demande pourquoi elle s'est mise à se moquer des féministes la dessinatrice lui répond "J'en avais marre du féminisme. C'est dogmatique et ennuyeux".

"C'est aussi une provocatrice", poursuit Isabelle Bastian-Dupleix. Claire Bretécher n'est pas une intellectuelle. Elle ne pense pas les choses à la manière des intellectuels. Mais elle les pense avec une grande intelligence. Elle met en scène les relations sociales, mais elle ne les théorise pas", souligne la commissaire.

Esquisse pour la couverture de l’album Les Frustrés, 1975
 (Claire Bretécher)

Un talent graphique en perpétuelle évolution

Le couple, la famille, l'éducation …Dans ce troisième et dernier espace, les planches sont exposées par thématique et si on les regarde ensemble, ce qui frappe aussi, c'est la richesse graphique de Bretécher. "Claire Bretécher est une excellente dessinatrice " poursuit Isabelle Bastian-Dupleix, qui nous invite à observer ici une composition dans la planche, là un contraste.

Agrippine et l’ancêtre, 1998
 (Claire Bretécher / Dargaud)
"Son travail s'est énormément renouvelé. Elle est audacieuse. Elle n'a peur de rien. Claire Bretécher est une grande artiste", conclut la commissaire. "Claire Bretécher est venue voir l'exposition vendredi. Elle m'a juste dit 'Je suis ébaudie'", ajoute Isabelle Bastian-Dupleix, souriante, avant de rejoindre les équipes encore affairées à régler les derniers détails avant l'ouverture de l'exposition.

Cette plongée dans le monde d'un esprit libre, plein de drôlerie, de fantaisie et d'intelligence, par les temps qui courent, c'est un réconfort. A voir à partir de mercredi à la BPI de Beaubourg.

Exposition Claire Bretécher
du 18 novembre 2015 au 8 février 2016
BPI de Beaubourg

A LIRE
Les frustrés - Intégrale

(Dargaud - 304 pages - 47 euros)
Morceaux choisis
(Dargaud -  128 pages - 19,99 euros)
Bretécher - Les années pilotes
(Dargaud - 224 pages - 29,00 euros)

Et aussi pour découvrir la peinture de Bretécher : Coffret Claire Bretécher Collector (Editions du Chêne - 2011)

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