Bologne : Hugo Pratt et son héros Corto Maltese en pleine lumiÚre
Nâa-t-on pas dĂ©jĂ le sentiment de tout savoir, dâavoir tout vu sur Hugo Pratt et son anti-hĂ©ros Corto Maltese ? Il fallait bien une exposition comme celle du musĂ©e d'Histoire de Bologne pour dĂ©montrer le contraire. Dans un des plus beaux palais mĂ©diĂ©val de la ville, le palazzo Pepoli, une collection impressionnante retrace les itinĂ©raires croisĂ©s dâHugo Pratt et de Corto Maltese. Des dĂ©buts du dessinateur dans la revue "lâas de pique" à ses derniĂšres aquarelles, on se perdrait presque Ă tenter de deviner quelle partie de son travail est issue de ce quâil a vu de ses yeux, ou de son imaginaire. Â
DĂšs lâentrĂ©e, la confusion est à lâhonneur. Sur un mur noir, deux portraits. Hugo et Corto, le mĂȘme regard, la mĂȘme expression, tous les deux Ă 27 ans. "Pratt disait que câest lâĂąge idĂ©al", glisse Perrine, notre guide. Corto ne vieillira plus jamais. Devant une photo du dessinateur Ă Venise, Perrine explique "Hugo a racontĂ© tellement de versions de sa propre vie, quâil est difficile de savoir ce qui est vrai, ou mis en scĂšne". Cela devient une Ă©vidence au fil du parcours de la rĂ©trospective. D'illustres personnages rĂ©els du 20e siĂšcle se baladent gaiement, croquĂ©s dans les fictions d'Hugo Pratt. On croise Rimbaud, Saint-ExupĂ©ry ou encore Jack London. Ces personnages historiques ont un point commun : ils Ă©taient admirĂ©s pour leur talent autant que pour leur vie dâaventure. Â
Toutes les pĂ©ripĂ©ties de Corto Maltese contiennent un morceau de son crĂ©ateur : l'album "les Ethiopiques" sâinspire de lâexpĂ©rience du jeune Hugo, qui y a vĂ©cu lorsque son pĂšre, militaire, fut envoyĂ© en Ethiopie servir dans les rangs de lâarmĂ©e mussolinienne. Lui-mĂȘme plus jeune soldat de la police coloniale, gardera une passion pour les uniformes, et une fine connaissance des chroniques de guerre. Avant de mourir, son pĂšre offre au jeune Hugo, alors Ugo, une Ă©dition de "lâĂźle au trĂ©sor" de Stevenson. "Un jour, toi aussi tu trouveras ton Ăźle", lui dit-il. Un trĂ©sor que Pratt finira par trouver dans son travail .
FidĂšle de Jorge Luis Borges, le cĂ©lĂšbre auteur et poĂšte argentin qui voulait vivre au milieu de livres, Pratt se crĂ©e sa bibliothĂšque virtuelle au fil de ses voyages. Ses rĂȘveries ont le goĂ»t de la rĂ©alitĂ©. MĂȘme quand il est certain que certains endroits dessinĂ©s sont le fruit de l'imagination de l'auteur. GrĂące aux livres qu'il dĂ©vore par centaines, il dessine ce quâil se reprĂ©sente des lieux oĂč Corto ira avant lui. Il y a cinquante ans, quand paraĂźt "La balade de la mer salĂ©e", Pratt nâa encore jamais visitĂ© le Pacifique oĂč se dĂ©roule l'intrigue.   Â
La pierre angulaire reste Venise, oĂč il finit toujours par revenir. Son crayon fera courir Corto dans les ruelles de la sĂ©rĂ©nissime, sur fond dâĂ©sotĂ©risme franc-maçon. ProfondĂ©ment vĂ©nitien, c'est sous d'autres traits que Pratt se reprĂ©sentera. Pour son unique autoportrait, il s'incarne en Simon Gilty. Un enfant de colons Ă©cossais adoptĂ© par une tribu dâindiens dâAmĂ©riques qui joua les intermĂ©diaires pendant la rĂ©volution amĂ©ricaine. Le choix n'a rien d'anodin : Pratt vouait un culte Ă la narration des lĂ©gendes indiennes. "On pourrait Ă©crire un livre rien qu'avec leurs prĂ©noms", peut-on lire Ă cĂŽtĂ© du dessin original de l'autoportrait. Â
Songe d'une  vie rĂȘvĂ©e
Pour faire naĂźtre une ambiance autour de cette vie si riche, le musĂ©e a vu les choses en grand. A l'Ă©tage infĂ©rieur, un salon est installĂ©, entourĂ© de plantes issues des pays oĂč Corto fait escale. Le mobilier est de la fin du 19e siĂšcle, Ă©poque du marin. A table, il est possible de dĂ©guster un repas inspirĂ© de ses destinations exotiques. Au sol, des vignettes de mouettes indiquent le chemin Ă suivre. Tout est fait pour embarquer les visiteurs dans le monde rĂȘvĂ© d'Hugo Pratt. Patrizia Zanotti, son ancienne assistante Ă l'origine de l'exposition, confie "L'idĂ©e de cette rĂ©trospective est nĂ©e lorsque nous nous sommes rendus compte qu'il Ă©tait essentiel de connaĂźtre l'auteur pour comprendre son oeuvre. La façon de vivre d'Hugo Pratt, qui incitait toujours Ă la curiositĂ©, est un message d'ouverture et de tolĂ©rance plus qu'important dans notre Ă©poque actuelle".50 ans et pas une ride, Corto? "C'est vrai que c'est un personnage trĂšs Ă la mode aujourd'hui." dit-elle d'une voix rieuse. Patrizia Ă©tait l'assistante de Pratt, "presque la totalitĂ© de ma vie d'adulte" constate-t-elle. "Je me souviens d'Hugo lorsqu'il racontait sa vie, c'Ă©tait toujours des moments joyeux.(...) Il parvenait Ă faire revivre un monde qui n'existe plus : l'Ăąge d'or de l'Ă©dition, et mĂȘme Venise. C'Ă©tait une ville de partage, de multiculturalisme qui n'a plus rien Ă voir avec sa version touristique". Une ambiance retrouvĂ©e au palazzo Pepoli : "Ce sont des passionnĂ©s d'Hugo Pratt qui ont travaillĂ© sur l'ambiance de l'exposition et ils ont fait un travail fabuleux", conclut Patrizia.Â
Dans la derniĂšre piĂšce du palais, les bustes des grandes femmes de la famille Pepoli font face aux planches originales de "La balade de la mer salĂ©e". Un couple de VĂ©rone est en train de lire l'histoire mythique Ă son bĂ©bĂ©. "On a grandi avec Corto, c'est le genre d'histoires qu'il faut transmettre. Car elles sont indĂ©modables", explique le pĂšre. En sortant, on a l'impression d'avoir naviguĂ© avec Corto, mais surtout sur les flots de l'existence de son crĂ©ateur. L'exposition nous fait voguer sur les pages de son univers, au rythme d'un tango, d'une vague de papier mouillĂ©. Pour reprendre les mots de "MĂ»", Ă©pilogue des aventures de Corto, "la sortie est dans les rĂȘves".
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