A Belleville, la rue Dénoyez voit partir ses graffeurs historiques
Devant le local de "Frichez-nous la paix", un drap blanc recouvre les pavés. On l'a posé là pour protéger le sol d'un chantier en cours : un mur de parpaing va recouvrir le local de l’association. "Frichez-nous la paix" est le lieu historique de la rue Dénoyez. Ce sont les membres de l’association qui, à force d’expositions, de performances et de concerts, ont commencé à déborder sur le mur d’en face, faisant petit à petit de cette rue la "rue des graffeurs".
"Quand on est arrivés là il y a 14 ans, se souvient SP38, membre de longue date de l'association, le quartier était mal famé, la rue était très neutre." Il porte à la main, en souvenir, un pan de mur taggé. Aujourd’hui, la rue Dénoyez est dans tous les guides touristiques, des "street art tours" y organisent des visites guidées et les graffeurs peuvent venir en journée sans prendre le risque d’être arrêtés.
Depuis qu’elles se sont installées, les associations savent qu’elles vont être délogées : elles ont signé un bail précaire, qui leur permet d’occuper les lieux dont les habitants sont partis en vue d'un chantier à venir. Une crèche, des logements sociaux et une résidence sociale pour femmes seules vont être construits.
"On savait qu’on devait partir, mais on ne s’attendait pas à ce que ça dure aussi longtemps, maintenant, on a construit un réseau avec les habitants", regrette Marie Decraene, de la Maison de la plage, résignée, mais visiblement émue.
Dans la rue, une cinquantaine de personnes sont venues dire au revoir aux lieux. On échange des larmes sous une pluie fine, on proteste contre une mairie de gauche "qui ne pense qu’à montrer un beau bilan, sans se soucier de ce qui a été construit avant", une dame à vélo s'étonne du peu de mobilisation. Une pétition a été lancée, avec plus de 9000 soutiens sur internet et un appel au rassemblement a été donné. Mais les quatre associations de la rue ne s’entendent pas sur la marche à suivre. La majorité a été relogée.
"C’est eux qui nous ont appris à graffer !", déplore Lotfi Hedfi, patron d’un bistrot en contrebas. Sa devanture est envahie par les tags. Sur ses murs, à l'intérieur, des toiles de sa composition égayent les murs gris argentés.
"On a grandi avec eux", se rappelle Yacine, qui travaille dans le bar de son père, le Café des délices. "Ils m’ont mis des plantes, on a organisé la fête de la musique ensemble, la fête des voisins." Sylvia, une commerçante d'une rue adjacente tempête : "Faire une crèche et une piscine ici [Le centre sportif Alfred Nakache date de 2009, ndlr], c'est faire que cette rue soit morte à 17 heures. Autant dire "venez les dealers !"".
Nathalie Maquoi, chargée de culture à la mairie du XXe, est venue assister au délogement des associations. "Elles ont eu le droit d'occuper les lieux justement parce que ce chantier était prévu", souligne-t-elle. Avant d'ajouter : "Il y a 2000 familles sur liste d'attente pour les crèches dans l'arrondissement."
Prise à partie par les membres des associations, elle explique que l'architecte du futur chantier a prévu des murs graffables. "L'art c'est pas faire des graffitis sur les vitres, rétorque SP38, ça doit être intégré à la société". Pour Thierry, graffeur de la Maison de la Plage, "ça fait partie du jeu, c'est normal pour un graffeur de voir son travail effacé". Dans la rue, il reste une odeur de bombe à tag.
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