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Samuel Fosso ou l'autoportrait à la Maison européenne de la photographie : de la mode au politique et à l'intime

Autoportraits mis en scène, photos traditionnelles de studio, séries plus intimes ou inédites en France, tout le travail de l'artiste franco-camerounais Samuel Fosso est exposé à la Maison européenne de la photographie (jusqu'au 13 mars 2022)

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Samuel Fosso : à gauche, Autoportrait, série "African Spirits", 2008 - au centre, Autoportrait, série "Tati", Le Chef (celui qui a vendu l'Afrique aux colons), 1997 - à droite, Autoportrait, série "70's Lifestyle", 1975-78 (A gauche © Samuel Fosso. Musée du quai Branly - Jacques Chirac - Au centre et à droite © Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

La Maison européenne de la photographie (MEP) offre sa première rétrospective majeure au photographe franco-camerounais Samuel Fosso, connu dans le monde entier pour ses autoportraits mis en scène, parfois ironiques, souvent graves, qui interrogent les normes identitaires africaines, occidentales, de genre, sans frontières. On peut y voir plus de 300 tirages, depuis ses premiers portraits de studio jusqu'à ses dernières séries.

Pour la première fois, sont exposées l'intégralité des séries de Samuel Fosso, une douzaine, ainsi que ses photos de studio. Tour à tour, il incarne des personnages historiques, de Mao à Malcolm X, il se met en scène dans des vêtements de créateurs, il s'imagine en pape noir, et enfin il se livre sans habits ni accessoires dans sa série magistrale 666.

Samuel Fosso est né en 1962 au Cameroun où il passe ses deux premières années. Il souffre d'une paralysie des jambes que la médecine occidentale ne parvient pas à soigner. Sa mère l'emmène au Nigéria, où vit son grand-père, chef de tribu Igbo, qui le sauve grâce à la médecine traditionnelle. Au Nigéria, il se trouve pris dans la guerre du Biafra, avant d'aller s'installer en Centrafrique. Il vit aujourd'hui entre Paris et Bangui. Voici un aperçu de ses plus belles séries.

Archives studio

Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Après le décès de sa mère et de son grand-père au Nigéria, Samuel Fosso rejoint son oncle à Bangui en 1972. Il travaille quelque temps avec celui-ci, qui est cordonnier. Et puis il découvre la photographie avec un voisin qui le forme. Samuel Fosso n'a que treize ans quand il ouvre en 1975 son premier studio.

Dans la tradition du studio photo en Afrique de l'Ouest, on s'y fait tirer le portrait en famille, entre amis, pour les grandes occasions ou au quotidien. Cet aspect de son travail, inédit, est exposé sous forme de grands papiers peints. Ses négatifs avaient disparu quand son studio de Bangui a été pillé en 2014, mais une ONG en a retrouvé une partie au bord d'une route et on peut découvrir quelques-unes de ces images après leur restauration par la Ville de Paris.

70's Lifestyle (1970-1990)

Samuel Fosso, Autoportrait, Série "70's Lifestyle", 1975-78 (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Dès son plus jeune âge, après sa journée de travail avec ses clients, Samuel Fosso utilise les dernières vues de ses films pour se prendre en photo dans son studio. Il se met en scène en costume, en pantalon à franges, en pattes d'éléphant, en slip, avec des lunettes de soleil, en chemise à fleurs, au téléphone. Pendant 20 ans, "il repense l'espace du studio comme un espace scénique, où il expérimente différentes facettes de sa personnalité. Très jeune, il a un goût pour la mode et les accessoires, pour la pop culture, et il défie les normes identitaires, il questionne sa sexualité et le genre, avec une grande liberté", souligne Clothilde Morette, la commissaire de l'exposition.

Tati (1997)

Samuel Fosso, Autoportrait, Série "Tati", "La Femme américainelibérée des années 70", 1997 (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Dans ses premiers autoportraits, Samuel Fosso explorait les différents aspects de sa propre personnalité. Quand le magasin Tati, qui fête ses 50 ans, lui demande, comme à Malick Sidibé et à Seidou Keita, de recréer son studio dans le magasin de Barbès pour photographier les clients, il refuse. Mais il propose de se mettre lui-même en scène. Et en utilisant vêtements et accessoires en vente chez Tati (il se sert aussi du motif rose de la célèbre enseigne), ce sont cette fois des personnages archétypaux de l'imaginaire occidental qu'il crée : Le rockeur, La bourgeoise, Le maître-nageur, Le businessman, Le pirate, et aussi Le chef qui a vendu l'Afrique aux colons, vêtu de peaux de bêtes sur fond de wax colorés.

African Spirits (2008)

Samuel Fosso, Autoportrait, Série "African Spirits", 2008 (© Samuel Fosso. Musée du quai Branly - Jacques Chirac)

Avec African Spririts, cette fois, il rend hommage à 14 grands personnalités noires qui ont marqué l'Histoire en se mettant dans leur peau. Des figures des luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis (Angela Davis, Malcolm X, Martin Luther King), des héros des indépendances africaines ( Léopold Sedar Senghor, Patrice Lumumba…) ou bien simplement des figures mythiques de son panthéon personnel ou du panthéon noir (Miles Davis, Mohamed Ali, Seydou Keita…). Il est extraordinaire dans ces incarnations. Il ne légende pas les images, laissant à chacun le soin d'identifier ces personnages qu'on reconnaîtra ou non, selon qu'elles nous parlent ou pas.

Samuel Fosso a envie que le public "s'interroge sur ces gens qui ont fait l'Histoire, qui font partie de notre histoire et qu'on n'arrive pas forcément à reconnaitre. Soit parce que l'image est assez éloignée de la représentation qu'on s'en fait, soit qu'elles ne font pas partie de notre mémoire collective. C'est justement cette mémoire collective qui est interrogée ici", explique Clothilde Morette.

Emperor of Africa (2013)

Samuel Fosso, Autoportrait, "Emperor of Africa", 2013 (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Samuel Fosso a travaillé sur un autre personnage historique, celui de Mao Ze-Dong. Il incarne le Grand Timonier chinois, entre 1936 et 1966, dans une série de six images monumentales. "Il s'est intéressé à la question de l'image comme fait politique, avec son pouvoir facteur de mythe : quelle est la part fictionnelle et quelle est la part documentaire", se demande-t-il. Le continent africain apparaît sur un drapeau et sur un brassard, car il s'interroge aussi sur les relations sino-africaines et sur une forme de néo-colonialisme. D'ailleurs, la série s'intitule Emperor of Africa.

Black Pope (2017)

Samuel Fosso, Autoportrait, Série "Black Pope", 2017 (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Dans cette série de dix images monumentales, c'est un personnage qui n'existe pas que Samuel Fosso invente : un pape noir. Il est allé jusqu'à se faire habiller par le tailleur officiel du Vatican pour être au plus près de ce que pourrait être un pape noir. Un rôle qu'il semble prendre très au sérieux quand il prie, bénit, salue, se recueille. "La question de l'existence par l'image est pour lui quelque chose de très profond", commente Clothilde Morette. "Il interroge le fait qu'il n'y ait pas de pape noir et se demande à quoi il pourrait ressembler."

Mémoire d'un ami (2000)

Samuel Fosso, Autoportrait, Série "Mémoire d'un ami", 2000 (© Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris)

Cette série, sans doute la plus intime, est très à part dans la production de Samuel Fosso. Elle n'avait jamais été montrée en France. Alors qu'il a l'habitude d'endosser des rôles, avec vêtements et accessoires, là il se met littéralement à nu. Il a imaginé ces images après l'assassinat d'un voisin et ami par une milice à Bangui. Dans un décor minimal de chambre (un lit, une moustiquaire), il imagine ce qu'a pu être la dernière nuit de son ami. Avec son corps nu, il exprime la fragilité, la vulnérabilité de l'être humain. Son visage exprime l'effroi, la peur.

666 (2015)

Samuel Fosso, Autoportrait, de la série "SIXSIXSIX", 2015 (© Samuel Fosso. Musée du quai Branly - Jacques Chirac)

666 clôt l'exposition. On avait pu voir cette série extraordinaire en 2020 au musée du Quai Branly, dans son intégralité. Elle est composée de 666 autoportraits dépouillés en polaroid grand format, en plan serré sur le visage. Faute de place, c'est une sélection de 164 images qui est montrée ici. 666 été réalisée en quelques semaines après le pillage à Bangui du studio et du domicile de Samuel Fosso, en 2014. Cet événement l'a laissé dans un état de dépression profonde et ce travail marque son retour à la vie artistique.

Dans ces images, il exprime toutes les émotions humaines imaginables. "C'est une forme de bilan de toute sa vie, explique la commissaire. Samuel Fosso est quelqu'un qui a eu une vie complexe et difficile. Il a vécu la guerre du Biafra enfant, il a vu les gens qu'il aimait disparaître, il a vécu l'exil. 666 c'est le chiffre du diable mais pour lui c'est à la fois tout ce qu'il peut y avoir de pire et de meilleur, les grands bonheurs et les grandes tristesses, avec toutes les nuances d'émotion."

Samuel Fosso
Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, Paris 4e
Tous les jours sauf lundi et mardi. Mercredi et vendredi 11h-20h. Jeudi 11h-22h. Samedi et dimanche 10h-20h.
Tarifs : 10 € / 6 €
Du 10 novembre 2021 au 13 mars 2022

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