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Sabine Weiss, dernière figure de la photographie humaniste française, est morte à 97 ans

L'artiste était connue pour ses photographies du Paris d'après-guerre, de ses gamins des terrains vagues et ses clochards. Restent huit décennies d'images. 

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Sabine Weiss, lors d'une exposition qui lui était consacrée aux Transphotographiques de Lille, le 16 mai 2002 (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

La photographe suisse Sabine Weiss, naturalisée française en 1995, est morte à 97 ans, ont annoncé sa famille et son équipe dans un communiqué, mercredi 29 décembre. Dernière représentante du courant de la photographie humaniste français, l'artiste a gagné sa vie comme photographe de mode et de publicité, mais c'est pour son travail personnel en noir et blanc, poétique et empathique, réalisé dans la rue, à Paris surtout, que Sabine Weiss, est connue. Elle l'est pourtant moins que Robert Doisneau, Willy Ronis ou d'autres figures de la photographie humaniste, un courant qui s'intéressait à la condition, au quotidien des hommes et des femmes, portant sur eux un regard empathique et bienveillant.

Dans ses photographies, généralement des instantanés, elle témoignait de la rue populaire, des clochards, des amoureux. Elle aimait particulièrement travailler avec les enfants, dont elle a si bien capté les jeux et les rires ou la gravité, à ses moments perdus. Ce qui l'intéressait, disait-elle, c'est l'humain. Mais une exposition au Centre Pompidou en 2018 avait révélé un autre aspect plus formel de son travail, insistant sur ses qualités plastiques, sur le jeu avec la composition, la netteté et le flou, la lumière et le contraste.

Sabine Weiss en reportage dans un café (LILY FRANEY / GAMMA-RAPHO)

Cette petite femme discrète et modeste aimait dire qu'elle se considérait comme un artisan plutôt que comme une artiste et, pendant longtemps, elle n'avait pas senti le besoin d'être exposée.

Artisan plutôt qu'artiste, disait-elle

Sabine Weber nait à Saint-Gingolph en Suisse, le 23 juillet 1924. Son père, chimiste, fabrique des perles artificielles. Quand elle a une douzaine d'années, elle s'achète un petit appareil photo avec son argent de poche. "Je n'aimais pas trop les études, je n'ai pas fini le lycée", racontait-elle dans un entretien avec Karolina Lewandowska, conservatrice au Cabinet de la photographie au Centre Pompidou, dans le catalogue de l'exposition suscitée. C'est à 17 ans qu'elle décide de devenir photographe.

Pendant trois ans elle fait son apprentissage technique dans le studio de la famille Boissonnas à Genève : elle y effectue des tirages, des lavages, des glaçages, des retouches. Ce n'est pas là qu'elle forme son œil, mais elle a grandi dans une famille d'amateurs d'art et sa mère l'a souvent emmenée voir des expositions.

Portraits d'artistes

En 1945 elle décide d'ouvrir son propre atelier et, un an plus tard, pour des raisons "personnelles", elle s'installe à Paris. Pendant quatre ans, elle est l'assistante de Willy Maywald, un photographe de mode et de portrait. En même temps, dès qu'elle arrive, elle photographie dans la rue, au fil de ses promenades dans la ville, souvent la nuit.

En 1950, elle se met à son compte, faisant des photos des vitrines des magasins (pendant des années, elle travaille pour le Printemps, à chaque changement de décor). Elle fait beaucoup de publicité, de mode, souvent en couleur. Elle se met à photographier les enfants dans un terrain vague près de chez elle, à la porte de Saint-Cloud.

Elle ne fréquente pas le milieu de la photographie. "Je n'avais pas beaucoup d'occasions, je travaillais trop", dit-elle. Mais avec son mari, le peintre américain Hugh Weiss, elle fréquente les milieux artistiques, des peintres et des musiciens. Elle a fait de nombreux portraits d'artistes, de Georges Braque à Alberto Giacometti ou Niki de Saint Phalle. Et aussi d'écrivains, de musiciens, de comédiens comme Françoise Sagan, Romy Schneider, Jeanne Moreau, Brigitte Bardo, Charlie Parker...

Une photographie de Sabine Weiss, dans l'exposition "Sabine Weiss, Les villes, la rue, l'autre" au Centre Pompidou, le 18 juin 2018 (GINIES / SIPA)

Sélectionnée pour "The Family of Man"

Par hasard, un jour de 1952 où elle montre ses photographies personnelles chez Vogue, elle rencontre Robert Doisneau qui remarque son travail et la fait entrer à l'agence Rapho, qui réunissait les grands noms de la photographie humaniste comme Willy Ronis ou Edouard Boubat. Une photographie dont elle se sent proche : "Ce qui m'intéresse vraiment, ce qui me touche, c'est un petit vieux qui vient chercher sa petite vieille, une image où on sent la confiance. C'est la sensibilité : on voit l'indécision de l'un ou la joie de l'autre. C'est la seule chose qui me plaît vraiment", confiait-elle à la presse en 2018 au Centre Pompidou.

Sabine Weiss parcourt aussi le monde pour des reportages. C'est à l'occasion d'un travail sur les coptes en 1983 près de Louxor qu'elle a photographié la Petite Egyptienne, devenue une icône.

Le fondateur de Rapho, Charles Rado, lui ouvre des portes aux Etats-Unis. Elle va travailler pour de nombreux magazines américains, Holiday, Newsweek, Time, Life… Et c'est aux Etats-Unis qu'elle est exposée pour la première fois, au milieu des années 1950 : à l'Art Institute de Chicago en 1954 et au Walker Art Center de Minneapolis. Et puis sept de ses photos sont montrées dans l'exposition collective Post War European Photography au Museum of Modern Art de New York, en 1953, et trois de ses images sont sélectionnées par Edward Steichen, le responsable de la photographie au MoMA, pour la mythique exposition The Family of Man.

"Une vie très heureuse"

Pourtant à l'époque, ça ne l'intéressait pas d'être exposée : "J'avais mes photographies publiées dans des revues et cela me suffisait", racontait Sabine Weiss à Karolina Lewandowska. Jusqu'en 1978 et une exposition personnelle à Arras, organisée à l'intiative du peintre Kijno au Centre culturel Noroît, une "révélation" : "Cela m'a permis de voir vraiment ce que je faisais", dit-elle. Sur l'insistance de Robert Doisneau, elle entreprend alors un premier travail de relecture de ses photographies personnelles. Cette rétrospective ouvre une longue série d'expositions.

Ces dernières années, avec l'apparition du numérique, elle avait lâché ses appareils photos : "Je n'aimais plus les appareils, je n'y comprends rien", disait-elle dans un podcast réalisé à l'occasion du prix Women in Motion, qui la récompense en 2020. "Du numérique, j'en ai fait pas mal pendant quelques années, c'est tellement pratique", ajoutait-elle. Mais les photos sont restées dans des boites : "Je ne m'en suis pas servie." Elle s'était alors consacrée à la mise en valeur de son œuvre. "J'ai eu une vie très très heureuse, j'étais comblée. J'ai eu pendant 58 ans un mari adorable [Hugh Weiss est décédé en 2007, ndlr], et un métier que j'ai aimé, c'est merveilleux", disait-elle à cette occasion.

C'est au Musée de l'Elysée à Lausanne (Suisse) que Sabine Weiss avait décidé de donner son fonds d'archives, soit 200 000 négatifs, 7 000 planches contact, 2 700 vintage, 2 000 tirages modernes et 2 000 diapositives.

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