Photographie: Paul Graham au Bal
Ses images, Paul Graham les tire en grand format, et elles ont besoin d’espace pour être montrées. Ce n’est donc pas une rétrospective que présente la salle parisienne dédiée à la photographie, qui fête ses deux ans. Mais ces deux séries sont une bonne introduction à son travail.
« Beyond Caring » est une des premières séries de Paul Graham, « monstre sacré de la photographie contemporaine » dont les photos « constituent un tournant », selon les mots de Diane Dufour, directrice du Bal.
« J’étais moi-même au chômage. Je voulais devenir photographe, alors j’ai commencé à photographier les bureaux de chômage », raconte Paul Graham. On est en 1984, il y a 3 millions de chômeurs au Royaume-Uni et 10 millions de Britanniques vivent des allocations. « Alors que mère Thatcher tentait de briser les syndicats, le chômage était utilisé comme un instrument », poursuit-il.
Les services sociaux sont débordés, alors on utilise des locaux qui ne sont pas destinés à accueillir les chômeurs. Les regards sont perdus, les corps courbés sur leur siège, les vêtements, les cannes, indiquent la misère. Parfois on a mis des bancs rouges pour tenter d’égayer le lieu. Un bébé debout au milieu d’une grande pièce, semble incongru dans le décor.
Il est interdit de photographier, alors Paul Graham shoote sans viser, l’appareil, un moyen-format, posé par terre ou à côté de lui. D’où des cadrages au hasard, au ras du sol ou en contre-plongée. L’accrochage est serré, renforçant l’impression pesante de l’atmosphère des lieux.
Aujourd’hui, ces images peuvent paraître anodines. Mais, « à l’époque, elles étaient très polémiques », raconte le photographe. « Pour deux raisons : elles sont en couleur et elles sont grandes. Alors que les photographes qui travaillaient sur des sujets sérieux le faisaient en noir et blanc, et produisaient de petits tirages. »
On lui a reproché « cette femme en rouge, cette enfant en rose », couleurs qui évoquent le bonheur, alors qu’en noir et blanc les photos auraient été plus en accord avec la nature « dramatique » du sujet.
Dans ce travail, Paul Graham dit avoir mêlé la préoccupation sociale des photographes britanniques et le travail novateur en couleur d’Américains comme William Eggleston ou Stephen Shore. Naturellement, sans y penser.
Après avoir travaillé en Angleterre, en Irlande du Nord, Paul Graham est passé de l’autre côté de l’Atlantique (il vit depuis dix ans à New York).
Dans la grande salle du sous-sol du Bal, il expose « The Present », des images prises dans les rues de New York. En même temps qu’un hommage aux grands de la « street photography » américaine (photographie de rue), Paul Graham se veut en rupture avec le genre. Dans ses diptyques ou triptyques, il met en cause l’instant décisif de Cartier-Bresson, le dédoublant : sur le même lieu, deux photos ont été prises successivement, à un court moment d’intervalle, à main levée. Les grands formats ont été accrochés bas sur le mur, ou dans un coin, donnant l’impression qu’on est dans la scène. Le regard passe d’une image à l’autre, on se demande ce qui s’est passé entre les deux, où est parti ce personnage qu’on ne voit plus…
« Il s’agit de dire que le temps n’existe pas dans un instant absolu, qu’il y a un flux constant. Ici, il n’y a pas d’instant dramatique, ça ressemble à 99,9% de notre vie. »
Ces vues voient défiler les personnages à un passage piéton, ou au contraire rester sous un panneau interdisant de stationner. Un taxi jaune traverse le champ. Dans son dernier travail, Paul Graham s’est concentré sur le « focus », le point, qui pour lui représente la conscience des autres. Il a travaillé avec des profondeurs de champ limitées. Tous les plans ne sont pas nets. Une zone qui était floue dans la première image devient nette dans la deuxième, il attire ainsi l’attention sur une figure ou une autre. En vrai, c’est comme ça qu’on voit, on ne voit pas net partout, souligne-t-il.
Faisant le lien entre « Beyond Caring » et « The Present », Le Bal présente six livres de Paul Graham, trois d’images faites au Royaume-Uni, trois autres aux Etats-Unis. On peut les feuilleter sur des tablettes numériques. L’artiste souligne l’importance des livres pour un photographe : « C’est un moyen important pour présenter son travail, dans le monde entier et à un prix raisonnable, pour mettre en avant ses idées. Les livres ont été mon école, je n’avais pas accès aux expositions », explique-t-il.
Paul Graham, Le Bal, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris
Tous les jours sauf lundi et mardi
mercredi-vendredi : 12h-20h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h
samedi : 11h-20h
dimanche : 11h-19h
tarifs : 5€ / 4€
Jusqu'au 9 décembre 2012
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