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Mort d'Elliott Erwitt : 5 bonnes raisons de redécouvrir cet immense photographe

Il a su saisir comme peu d'autres le petit théâtre de la vie, les instants cocasses et les moments intimes, avec un regard plein d'humour et d'humanité : le photographe Elliott Erwitt est mort jeudi à l'âge de 95 ans. Redécouvrons cet artiste de l'image dont le parcours est une fête.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une visiteuse devant un cliché  du photographe Elliot Erwitt en mars 2023 lors de de la dernière rétrospective au Musée Maillol (NICOLAS LIPONNE / HANS LUCAS)

Elliott Erwitt, mort jeudi 30 novembre 2023 à l'âge de 95 ans, était ce qu’on appelle un photographe total. Il a tout fait : de la photographie intime, du grand reportage, de la mode, de la publicité. Son regard singulier, à la fois moqueur et plein d’humanité, illumine tout son travail.

Pilier de la prestigieuse agence Magnum où il était entré en 1954 sous la houlette de Robert Capa, Elliott Erwitt était à cheval sur les deux rives de l'Atlantique : né en France de parents immigrés russes en 1928, il a ensuite grandi en Italie avant de faire carrière aux Etats-Unis et de parcourir le monde en tant que reporter. Ses thèmes de prédilection : les couples, les enfants, les chiens, les villes. Quel que soit l’angle abordé, on retrouvait son regard amusé, ironique mais affectueux. Un régal.

Signalons deux actualités du photographe : Pour l'édition 2023 de sa série annuelle "100 photos pour la liberté de la presse", RSF l'a choisi et il est actuellement exposé jusqu'au 17 mars 2024 à La Sucrière à Lyon.

Au Musée Maillol, un visiteur devant une photo d'Elliott Erwitt prise lors d'un concours de "Monsieur nudiste" en Californie en 1983, alors qu'un candidat tente d'influencer le jury... (GINIES MICHEL / SIPA / SIPA)

1 Pour son humour

L’humour est sans aucun doute le trait le plus saillant du travail d’Elliott Erwitt. " Si mes photos permettent aux gens de voir le monde d’une certaine façon, c’est certainement d’y voir les choses sérieuses de manière non sérieuse", reconnaîssait-il.

Qu’il observe les vacanciers à la plage ou des nudistes sous toutes les latitudes, qu’il immortalise des scènes de rue, des animaux, ou qu’il traite des immeubles comme des personnes, son regard amusé, doucement ironique, sur ses semblables et sur le monde, est sa marque de fabrique. Il parvient même à conserver ce sourire pour des travaux de commande austères – une entreprise de chimie – ou dans ce qu’il appelle ses "abstractions", des clichés dénués de personnages.

Modeste, il assurait que ce n’était pas lui qui était drôle, mais les situations et la réalité. "Il suffit de savoir les saisir", disait-il. Mais s’il avait l’œil pour repérer le comique de situation, il savait également provoquer la drôlerie. L’exposition que lui a consacré le Musée Maillol début 2023 était ainsi jalonnée de ses autoportraits, tous plus désopilants les uns que les autres – avec perruques ou dans des situations loufoques -, confirmant que l’homme avait aussi le goût de l’auto-dérision chevillée au corps.

L'un des autoportraits pleins d'humour du photographe Elliott Erwitt qui ponctuent le parcours de la rétrospective au Musée Maillol. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

2 Pour ses clichés de chiens

De toutes les thématiques qu'il a abordées, celle qui titille le plus les zygomatiques est celle consacrée aux chiens. Le meilleur ami de l’homme y est saisi avec un naturel et une drôlerie inégalées. Le musée Maillol avait d’ailleurs choisi une de ses célébrissimes photos de chien pour illustrer la rétrospective en mars 2023 : un petit toutou coiffé d’un bonnet de mémère, oreilles dressées, tenu en laisse par une femme dont on ne voit que le bas du manteau et les élégantes bottes hautes, moins hautes que la paire de pattes incongrues de ce qu’on devine comme étant celles d’un grand Danois, qui pose à ses côtés.

Elliott Erwitt aimait nos amis à poils et il leur a consacré plusieurs ouvrages. Pourtant, il n’avait pas pensé particulièrement à photographier des chiens. Ce n’est qu’en regardant ses négatifs après des années d’activité qu’il s’était rendu compte qu’il en avait photographié énormément, comme il le racontait dans Dog Dogs. Il s’était mis alors à les remarquer et les photographier avec plus d’attention. Dans ses clichés, soit il fait des chiens l’égal des humains – un chien dressé sur ses pattes arrière, comme accoudé au bar avec ses maîtres – soit il cadre à hauteur de canidé, au ras du sol, offrant un point de vue décalé sur l’humanité.

Pour photographier ces charmantes créatures, Elliott Erwitt avait une botte secrète : il aboyait, créant un effet de surprise. Souvent, l’animal sursautait et cela lui valait une bonne photo. Autre ruse : les klaxons, dont il possèdait plusieurs exemplaires, qui fonctionnent aussi pour attirer l’attention des humains et détendre l’atmosphère, sont imparables pour faire dresser les oreilles des cabots. Ces derniers étaient à ses yeux des modèles remarquables. " Les chiens sont des personnes incroyables. Ils sont charmants et surtout ils ne réclament pas de tirages", disait-il.

Birmingham, Angleterre, 1991. (ELLIOTT ERWITT / MAGNUM PHOTOS)

3 Pour la formidable diversité de son travail

Elliott Erwitt a tout fait. Photographe de l’instantané et de l’intime, photojournaliste accompli, photographe de publicité renommé, photographe d’architecture, photographe de mode, il était aussi réalisateur indépendant. S’il avait beaucoup d’humour, Elliott Erwitt savait aussi aborder l’intimité avec grâce. La photo qu'il décrivait comme celle de " mon premier chat, ma première femme et mon premier enfant", prise sur un lit chez lui à New York en 1953, dans un clair-obscur magnifique, porte un regard doux et tendre sur cette trinité. Ce cliché, repéré très tôt par Edward Steichen, directeur du département photo du MOMA, a lancé sa carrière. Son cliché de Robert Frank et Mary Frank dansant enlacés dans un pas de deux vibrant d’une infinie douceur, saisis dans leur petite cuisine en 1952, en atteste également.

On doit à Elliot Erwitt le cliché poignant de Jackie Kennedy, très digne alors que quelques larmes s’écrasent discrètement sur sa voilette, aux obsèques de son mari John F. Kennedy, ou bien la mère de Robert Capa effondrée sur la tombe de son fils en 1954. Ces photographies témoignent encore de sa capacité à saisir les sujets graves avec sensibilité. Il savait aussi jeter le trouble et interroger, comme sur cette photo d’un petit garçon noir de Pittsburg qui retourne un revolver jouet sur sa propre tempe. Enfin, il était un portraitiste célébré pour ses clichés de personnalités, de Nixon et Khrouchtchev au Che, sans oublier Marilyn ou Obama.

De l'humour toujours, dans les photos de mode d'Elliott Erwitt exposées dans l'espace couleur de la rétrospective au Musée Maillol. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

4 Pour en prendre plein les yeux en noir et blanc et en couleur

Pour son travail personnel, Elliott Erwitt favorisait depuis toujours le noir et blanc, n’utilisant la couleur que pour les travaux de commande, si elle était requise. " l considère que le noir et blanc est l’essence véritable de la photo, qui est la composition, la lumière et le cadrage", nous avait confié en mars 2023 son assistant Mio Nakamura. "Le noir et blanc fait la synthèse de ce qu’il voit. La couleur est plus descriptive, elle ajoute de la distraction."

Pourtant, ses images en couleur, un aspect de son travail moins connu, sont aussi puissantes et malicieuses, admirablement cadrées et composées, que celles en noir et blanc. Erwitt avait d’ailleurs toujours sur lui deux appareils photographiques, un Leica pour l’aspect professionnel, et un Rolleiflex pour l’artiste à l'affût. 

Berkeley, Californie, États-Unis, 1956. (ELLIOTT ERWITT / MAGNUM PHOTOS)

5 Pour son esprit farceur

Elliott Erwitt avait une autre particularité : il refusait d’expliquer son travail. Il regrettatit que les visiteurs d'expositions s'intéressent plus aux cartels explicatifs qu'aux œuvres, ce qui expliquait que les cartels  étaient si peu bavards lors de sa rétrospective au musée Maillol. "Je veux que les gens réagissent émotionnellement à mes photos, pas avec le cerveau", disait-il. Certes, ses photos parlent d'elles-mêmes. Cependant, dans l'album de ce farceur, le flou règne souvent entre instantanés et mises en scène.

Ainsi, l’une de ses photos les plus iconiques, celle du baiser romantique dans le rétroviseur en Californie, semble extrêmement travaillée. Pourtant c’est une photo saisie au vol d’un couple de sa connaissance qui s’embrassait dans une voiture. À l’inverse, cette image d’un père et son fils, coiffés de bérets, saisis à vélo sur une route de Provence, avec deux baguettes de pain attachées à l'horizontale à l’arrière, qu’on jurerait sortie d’une pellicule de Cartier-Bresson ou Willy Ronis, est en réalité le fruit d’une mise en scène soignée censée attirer les touristes américains en France.

Pour lui, la fabrication gagnait à conserver ses mystères : "Les planches contact doivent rester aussi confidentielles que les paroles échangées chez le psychanalyste ou au confessionnal", disait-il.

Elliott Erwitt, c'était ce regard à la fois tendre et moqueur , son exceptionnelle attention aux détails, cette vision singulière, fraîche et neuve, sur nos semblables et sur tout ce qui nous entoure.

Le travail d'Elliot Erwitt est exposé depuis le 21 octobre à La Sucrière à Lyon. Le site du lieu rappelle qu'il a été entre autres "portraitiste de personnalités comme Marilyn Monroe ou encore Jackie Kennedy, Charles de Gaulle, Ernesto “Che” Guevara, Alfred Hitchcock, Nikita Khrouchtchev". L'exposition se tient jusqu'au 17 mars 2024.

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