Le destin incroyable de Xyza Cruz, une domestique philippine devenue photographe
Xyza Cruz a débarqué il y a neuf ans à Hong Kong pour s'employer au service d'une famille, comme 300.000 autres femmes venues des provinces pauvres des Philippines ou d'Indonésie.
Mais la photographie va transformer sa vie, briser la trajectoire invariable de ces "maids" mal nées dont le sacrifice est payé de solitude et d'indifférence.
Ses instantanés de l'ordinaire, des rayons de supermarché au métro, lui ont apporté une reconnaissance internationale, des expositions, et surtout une bourse de la prestigieuse Magnum Foundation pour étudier pendant six semaines à New York.
Fascinée par les lumières de la ville
Consciente de son talent et de son privilège, Xyza Cruz a décidé de tenter sa chance et elle a littéralement rendu son tablier. A 28 ans, elle goûte pour la première fois l'ivresse de la liberté, sans rien oublier des leçons apprises.
"L'urgence de la survie est plus vive que l'urgence de l'art", explique-t-elle dans un entretien à l'AFP à l'occasion d'une exposition de son travail à Macao.
Quand elle arrive à Hong Kong de son village natal philippin, à des heures de route de la capitale Manille, ce sont les lumières de la ville, les tours de verre et d'acier, le mouvement et le vacarme qui la saisissent. "C'était un tel contraste, j'étais fascinée parce que tout allait vite, les lumières étaient incroyables, c'était si vivant par rapport à mon village", raconte-t-elle.
Remarquée par le site du New York Times
Sa passion pour la photo, elle la doit pour partie à son employeur, "une femme formidable" qui, il y quatre ans, lui prête la somme nécessaire à l'achat de son premier appareil, un Nikon D90, l'équivalent d'un mois de salaire à l'époque.
"Je prenais des paysages, des fleurs, des (portraits) de ma mère, puis j'ai commencé à faire de la photographie de rue".
Elle partage ses clichés avec ses amis sur Facebook. Jusqu'à ce qu'un photographe philippin basé à San Francisco, Rick Rocamora, les découvre sur la Toile, intrigué par leur qualité et leur originalité. Il la compare même à une "Vivian Maier d'aujourd'hui". Mais si les deux femmes étaient toutes deux employées de maison, la comparaison s'arrête là. Xyza Cruz a bien l'intention de montrer ses photos.
Son nom commence à circuler. Le site spécialisé du New York Times, le grand Sebastiao Salgado lui rendent hommage. Un miracle, de ceux qui rendent si pieux les catholiques philippins. "Ma vie à complètement changé", reconnaît-elle.
Aider les gens avec la photo
Pas celle des autres domestiques, condamnées à user leur vie au service d'autres vies, dans l'anonymat des beaux quartiers, loin des leurs, pour aider des parents vieillissants, financer les études d'un cousin, bâtir une masure qu'un typhon finira par mettre à bas.
"Ce que je veux faire avec la photo, c'est aider les gens (...). La photographie est un instrument très puissant pour changer les regards." L'été 2014, Xyza Cruz documente le quotidien d'un refuge pour travailleurs migrants victimes de maltraitance psychique ou physique de la part de leurs employeurs. "J'étais là pour être la voix de ces employés domestiques que l'on n'entend jamais, dont les voix sont étouffées".
Le mois dernier à Hong Kong, une femme a été condamnée à six ans de prison pour avoir battu et affamé son employée indonésienne. Une affaire sordide qui a résonné bien au-delà de l'ancienne colonie britannique.
Xyza Cruz Bacani sait la bonne fortune qui fut la sienne en tombant sur un employeur compréhensif. "Elle me disait que les tâches domestiques (...) m'empêchaient de me construire en tant qu'individu, que c'était une chaîne à mes pieds", souligne la jeune femme affranchie dont l'extraordinaire destin est devenu un chemin d'espérance pour les autres domestiques.
"Le travail ne dit rien de ce que tu es. Mes rêves de petite fille, je les vis maintenant."
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