Avec "Corps à corps", le Centre Pompidou présente ses histoires de la photographie

En plus de 500 photographies provenant de la collection de Marin Karmitz et de celle du Centre Pompidou, cette exposition propose un panorama original et surprenant de cet art né en 1826.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le collectionneur Marin Karmitz devant "Le mineur " de Gotthard Schuh une des oeuvres de sa collection lors de l'inauguration de "Corps à Corps" au Centre Pompidou (Paris) (@Christophe Airaud)

Ils sont tous là ou presque, les photographes qui ont marqué l'histoire de l'image. Les stars, Henri Cartier-Bresson, Willliam Klein ou Christian Boltanski chez les Français. Weegee, Robert Frank ou Walker Evans chez les Américains. Des chefs-d’œuvre mais aussi des clichés d'artistes moins connus, voire anonymes. Chez tous, ce sens du cadre, du récit, du documentaire ou de la poésie. "Une photographie c'est un espace qui me fait rêver", nous confie Marin Karmitz. "Je me raconte des histoires en la regardant, qui est ce personnage, que fait-il dans la vie, pourquoi il est habillé ainsi, il a peut-être eu un problème avec sa petite amie, je me fais des récits et comme je vis avec ces photographies, je leur dis bonjour tous les matins", poursuit-il. Visite de l'exposition en compagnie de Marin Karmitz.

Le face-à-face de deux collections

Le Centre Pompidou possède dans ses collections près de 100 000 photographies (60 000 négatifs et 40 000 tirages). La collection de photographies de Marin Karmitz, dont des acquisitions avaient été montrées à la Maison Rouge en 2018 et aux Rencontres de la photographie d'Arles en 2010, compte plus de 1500 œuvres. La confrontation des deux collections crée une nouvelle histoire de la photographie, à travers la représentation de la figure humaine, du portrait et des corps. Il n'y a aucune distinction entre la photographie d'art ou la photo documentaire : cette liberté permet de formidables face-à-face pour le visiteur.

Dans la première section, Les premiers visages, une photographie saute aux yeux. Le Mineur de Gotthard Schuh de 1937. Un gamin noirci de charbon au regard espiègle, le torse taché de suie. Message humaniste, mais aussi social. Marin Karmitz nous raconte cette photographie. "La fierté, le regard : l'attitude est celle d'une incroyable joyeuse arrogance. Cette photo a un rapport avec la politique et elle m’a rappelé la photo de Daniel Cohn Bendit face aux deux policiers. Tiens c'est Dany en 1936." C'est son premier coup de foudre photographique. Il y a 40 ans. "La photo ne doit pas être un slogan, elle doit nous ouvrir vers les champs des rêves, provoquer mille commentaires et déclencher l'univers de l'imagination. C'est pour moi le début d’un scenario", enchaîne cet homme de cinéma, réalisateur et producteur. Gotthard Schuh n'est pas très connu, pourtant admiré par Robert Frank : ce portrait, aux côtés de ceux d'Eugene Smith ou de Lewis Hine, le hausse à la hauteur des plus grands portraitistes.

"La photo, c'est l'instinct de chasse sans l'envie de tuer"

Chris Marker, réalisateur et photographe

Passagers dans le métro new yorkais en 1938 Photographie de Walker Evans (Walker Evans)

Les passagers du métro

Le parcours de l’exposition se poursuit avec cohérence, rapprochant les clichés issus des deux collections. La section "Fulgurances" montre le photographe qui isole son sujet ou ses sujets, qui transforme le monde en scène. Pour cela il faut un mode opératoire. Dans le métro new-yorkais à la fin des années 30, avec un appareil 35 millimètres dissimulé sous le manteau, Walker Evans capture, dérobe ces visages aux traits tirés, voire somnolents. C'est un voleur, mais il raconte la solitude, les retours tardifs d’un travail éreintant, la fatigue des travailleurs dans une société américaine au bord du KO. Plus loin sur d'autres cimaises, voici les passagers du métro parisien vus par Chris Marker. C'est 80 ans plus tard et à 5 836 kilomètres de distance, mais l'atmosphère attrapée à la dérobée par le photographe est la même.

Les images de Lukas Hoffman sont la version moderne et inversée de ce dispositif. Des grands formats faits à la chambre, sans regarder dans le viseur. Il faut imaginer ce quadra helvetico-australien réaliser de la street photography avec cet encombrant et volumineux outil. Le résultat : des tirages au grain qui donnent envie de toucher le tissu des vêtements des passants, la chevelure de cette ado ou la peau de cet inconnu. Des photos volées comme des flashs urbains. La photographie comme outil documentaire du monde des anonymes.

Narcisse, les amies de la place Blanche 1968 de Christer Strömholm (Christer Strömholm)

Le corps morcelé

Depuis sa création, la photographie découpe, morcelle les corps. Man Ray, Brancusi, Annette Messager ou Hans Bellmer ont regardé les femmes et les hommes comme "des objets anonymes, des morceaux de corps (qui) se transforment en paysages incertains, voire inhospitaliers", écrit Julie Jones, la commissaire de l'exposition dans le catalogue paru aux éditions Centre Pompidou.

Même le célébrissime et indétrônable Henri Cartier-Bresson avec sa célèbre Araignée d’amour où deux jeunes lesbiennes mexicaines enlacées font l'amour dans un appartement de Mexico en 1934, ne laisse apparaître que les cuisses et les ventres de ces deux femmes. Deux versions sont ici exposées, fait assez rare pour être signalé. Érotisme et fétichisme. Mais cette vision de la femme objet est détrônée avec vivacité par les œuvres d'artistes contemporains où les questions de genre, de transition et de violence explosent sur le papier photo. SMITH en est l'exemple le plus délicat et fragile. Né.e en 1985, SMITH est photographe, cinéaste, plasticien.ne et doctorant.e en esthétique. "Des portraits de ses amis à l'identité trouble émane une forme de spleen adolescent", écrit Julie Jones.

"27 possiblités d'autoportraits". Oeuvre de Christian Boltanski présentée à l'exposition "Corps à corps" au centre Pompidou (@Christophe Airaud)

Des visages et des hommes

Dans le catalogue de la Maison Rouge qui présentait la collection de Karmitz en 2018, l’auteur italien Erri De Luca écrit : "En hébreu ancien, le singulier du mot visage n’existe pas, chacun en a de nombreux." Cette phrase résonne avec justesse en parcourant les salles du Centre Pompidou. Surtout, devant l'œuvre de Christian Boltanski décédé à 76 ans le 14 juillet 2021. " 27 possibilités d'autoportraits" est un montage qui défie le temps, le visage de l'artiste passant en 27 autoportraits, regard fixe face à l'objectif, de l'enfance à la vieillesse mais dans un désordre mixé et fondu. Fasciné par le visage de l'artiste, le visiteur cherche à mettre de l'ordre dans ce que Boltanski a bouleversé.

"C'est une des permanences de cette exposition et de ma collection, une photo fige la vie, le personnage est vivant et il ne bouge plus, puis la photo redonne vie sinon il serait complètement effacé, c'est cet aller-retour entre la mort et la vie que je trouve passionnant. Les photos, les autoportraits de Christian Boltanski qui était mon meilleur ami me touchent pour cette raison", résume en fin de visite Marin Karmitz avant de repartir vivre avec ces photographies et les saluer chaque matin.

Affiche de l'exposition "Corps à corps" au centre Pompidou (DR)

Exposition « Corps à corps », du 6 septembre 2023 au 25 mars 2024 au Musée national d’art moderne Centre Pompidou.

11h - 21h, tous les lundis, mercredis, vendredis, samedis, dimanches
11h - 23h, tous les jeudis

Fermé le mardi

Réservation fortement recommandée

17 Euros, tarif réduit 14 euros

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