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Rosa Bonheur, peintre oubliée, revient sur le devant de la scène au musée d'Orsay à Paris

Après une éclipse d'un siècle, la peintre d'animaux Rosa Bonheur, connue des deux côtés de l'Atlantique à son époque, est à redécouvrir au musée d'Orsay, qui présente la rétrospective exposée à Bordeaux au printemps dernier (jusqu'au 15 janvier 2023).

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Rosa Bonheur et Nathalie Micas (1824-1889), "Le Marché aux chevaux", 1855, Londres, The National Gallery, don de Jacob Bell, 1859 (Photo: © The National Gallery, London)

Après le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, la grande exposition consacrée à Rosa Bonheur est à Paris, au musée d'Orsay. L'occasion de découvrir cette femme à la personnalité exceptionnelle, qui a cherché à saisir les émotions des animaux, son sujet de prédilection.

Rosa Bonheur (1822-1899) est née il y a 200 ans à Bordeaux. C'est à cette occasion qu'est organisée la rétrospective d'une artiste prolifique qui avait su se faire reconnaître des deux côtés de l'Atlantique, avant de tomber dans l'oubli au XXe siècle qui la jugeait trop académique.

Deux lapins semblent frémir sur la toile. L'un renifle une carotte tandis que l'autre, déjà, nous regarde du coin de l'œil. Ce tableau, accroché au début de l'exposition, Rosa Bonheur l'a peint à 18 ans à peine. Il est remarqué en 1841 au Salon où elle participe pour la première fois. C'est déjà le début de la reconnaissance. Non loin, un portrait d'elle par son frère Auguste en 1848, la représente en jeune femme à la fière allure, avec sa palette et des sculptures.

Rosa Bonheur, "Deux lapins", 1840, Bordeaux, musée des Beaux-Arts, legs de François Auguste Hippolyte Peyrol, 1930 (© Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts, photo F.Deval)

Dans l'air du temps

Car Rosa Bonheur est née dans une famille d'artistes. Son père Raymond Bonheur lui a appris à dessiner et elle parfait cette formation des plus académiques en copiant les maîtres au Louvre. Très vite elle s'oriente vers la peinture d'animaux. Elle est doublement dans l'air du temps. D'abord pour son attention aux animaux. Et puis pour son indépendance. Elle n'est pas une militante mais elle a su, toute sa vie, mener sa barque toute seule et elle est devenue une icône du féminisme.

Orpheline de mère à 11 ans, Rosa Bonheur a reçu de son père, adepte de Saint-Simon, une éducation émancipatrice. Elle ne se mariera jamais, saura mener sa vie en femme libre dans un monde où les femmes sont vouées à la vie familiale, obtenant des autorisations de port du pantalon pour son travail sur le terrain. Elle vit avec une femme, Nathalie Micas, pendant près de 40 ans, dans le château qu'elle a pu acquérir à Thomery (Seine-et-Marne) grâce à son succès commercial. Puis à la fin de sa vie avec une jeune peintre américaine, Anna Klumpke.

Dans la vingtaine, Rosa Bonheur peint des scènes agricoles où elle montre les travailleurs de la terre, mais ce sont les animaux qui sont au centre de son attention. Elle réalise des quantités d'études qui révèlent sa maîtrise du dessin. Elle y était très attachée et les a gardées toute sa vie.

Rosa Bonheur, "Labourage nivernais", dit aussi "Le sombrage", 1849, Paris, musée d’Orsay (Photo © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

Les bêtes sur le devant de la scène

On remarquera à Orsay son monumental Labourage nivernais, œuvre qui fait véritablement décoller sa carrière. Elle a été commandée par l'Etat à la suite de la médaille d'or qu'elle a reçue au Salon en 1848. Une peinture monumentale où deux attelages de trois paires de bœufs montent en oblique, les pieds enfoncés dans la terre, sous la baguette de paysans. Pour la réaliser, elle est allée sur le terrain pour observer les différentes races de bovins. On sent le mouvement lent et l'effort des bêtes. On sent aussi la souffrance dans l'œil effaré que nous jette le bœuf au centre de la scène. Et si les animaux sont peints en détail, les hommes qui les emmènent sont plus flous. Avec ce tableau, l'artiste fait un triomphe au Salon de 1853.

Rosa Bonheur se lance ensuite dans le projet d'un tableau sur un marché aux chevaux qui aura un succès phénoménal. Pour cette peinture, elle va deux fois par semaine pendant un an et demi au marché aux chevaux du boulevard de l'Hôpital pour être au plus près de son sujet et réalise des centaines d'études dessinées et peintes où on sent la fragilité de l'homme face à la puissance de l'animal en rébellion.

La version finale de 1853, qui mesure 5 m sur 2,4 m, conservée au Metropolitan Museum of Art de New York, n'a pas fait le voyage. Mais on peut voir dans l'exposition une réduction qu'elle a réalisée pour une gravure. Et puis une rareté, découverte récemment, roulée serré, dans le grenier du château de By où l'artiste a vécu 50 ans. C'est le dessin réalisé à la grandeur de l'œuvre, sur la toile, et qui devait disparaître sous la peinture (l'artiste a modifié son projet et donc changé de toile). Le succès de cette œuvre lui vaudra de nombreuses commandes pour l'étranger.

Rosa Bonheur (1822-1899), "Barbaro après la chasse", ca. 1858, huile sur toile  (© Philadelphia Museum of Art, États-Unis)

Des portraits d'animaux

Si Rosa Bonheur est restée dans les mémoires comme une peintre de vaches, elle s'est aussi intéressée à toutes sortes d'animaux. La plupart de ceux qu'elle a représentés, elle les a côtoyés au quotidien. C'est une véritable ménagerie qu'elle accueille sur le terrain du château de By, acheté en 1860. Elle y vit avec des chiens, des chevaux, des moutons, des cerfs, des sangliers et aussi quatre lions. De ses animaux, elle fait de véritables portraits où ce qui frappe toujours, c'est l'œil qui nous regarde.

Elle multiplie les études et ses portraits sont souvent d'un réalisme quasi photographique. On croirait voir palpiter les muscles de son magnifique chat sauvage. Elle capte toutes les attitudes d'un chien dans une belle série de pastels. En même temps, sa famille de lions, le mâle couché à côté de la femelle et des petits est complètement idéalisée. Un étonnant aigle, figé en vol, réalisé en 1870 en pleine guerre franco-prussienne, semble évoquer la blessure française.

Rosa Bonheur a également pratiqué la photographie : on voit dans l'exposition des cyanotypes (tirages bleus) rehaussés au crayon, à l'aquarelle ou à la gouache blanche.

Rosa Bonheur (1822-1899), Sans titre, ca. 1892, dessin sur cyanotype  (© Château de Rosa Bonheur, By, Thomery)

Des recherches lancées

L'exposition évoque encore ses voyages dans les Pyrénées ou en Ecosse, et sa passion pour les chevaux, les bisons et les indigènes de l'Ouest américain, qu'elle a pu rencontrer au moment du passage de Buffalo Bill avec son Wild West Show à l'exposition universelle de Paris en 1898.

"Contrairement à beaucoup d'expositions, celle-ci n'est pas un aboutissement d'années de recherches, c'est plutôt un lancement", confiait à Bordeaux Leïla Jarbouai, conservatrice en chef arts graphiques et peintures au musée d'Orsay et co-commissaire de l'exposition. "Quand on a débuté notre travail, il n'y avait quasiment rien en France sur Rosa Bonheur. Il y a des études outre-Atlantique, le château de By travaille sur ses archives, on essaie de donner envie à des étudiants de faire des thèses sur l'artiste. Il y a encore énormément de choses à creuser," promettait-elle, évoquant les sujets de la photographie, et du travail que Rosa Bonheur a pu partager avec d'autres comme son frère ou Nathalie Micas.

Rosa Bonheur
Musée d'Orsay
Esplanade Valéry Giscard d'Estain, 75007 Paris
Tous les jours sauf le lundi, 9h30-18h, le jeudi jusqu'à 21h45
16 € / 13 €
Du 18 octobre 2022 au 15 janvier 2023

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