Matisse sculpte la couleur avec des ciseaux : les découpages à la Tate Modern
Opéré avec succès d'un cancer en 1941, Matisse retrouve toute son énergie créatrice, entamant ce qu'il a appelé lui-même "une seconde vie" qui va durer quatorze ans alors que les médecins ne lui donnaient que quelques mois à vivre. Mais il est diminué et travaille en chaise roulante, remplaçant le pinceau par des ciseaux : on lui prépare de grandes feuilles de papier colorées avec de la gouache, qu'il découpe directement, comme s'il sculptait la couleur, résolvant, dit-on, le traditionnel conflit entre le dessin et la couleur.
Du mur de l'atelier au tableau
De ses ciseaux surgissent des feuilles, des palmes, des algues, des fleurs, des étoiles, des oiseaux, des coraux qu'il assemble, les épinglant sur les murs de son atelier jusqu'à trouver l'agencement parfait. Il les colle alors sur un support de papier, de toile.
La technique paraît simple mais l'exposition veut la révéler comme "radicale et révolutionnaire". Elle veut aussi montrer la "double vie" des découpages, une première, fragile, dans l'atelier où ils flottent au mur, puis une seconde, définitive, comme œuvre permanente
Quatre nus bleus réunis
"Tout ici ramène à la liberté", souligne Nicholas Serota, le directeur de la Tate, en parcourant ce qu'il aime appeler "l'exposition d'une vie", tellement le projet se veut ambitieux avec plus d'une centaine d'oeuvres rapportées du monde entier. Elle sera "pour beaucoup la plus belle que Londres ait jamais vue", ose-t-il.
Commissaire de l'exposition, Nicholas Cullinan a mis cinq ans à rassembler les découpages. Dont les emblématiques quatre nus bleus, jamais montrés ensemble au Royaume-Uni et "clou de la visite" qui se termine devant "Nuit de Noël" la maquette en vitrail pour la Chapelle du Rosaire de Vence.
"Matisse Live" sur les écrans britanniques
"Beaucoup d'artistes ont développé ce qu'ils appellent un style tardif. Le travail de peintres comme Titien, Rembrandt ou Monet est par exemple devenu plus gestuel. Mais Matisse, lui, a carrément développé un média complètement différent", explique Nicholas Cullinan.
La Tate a produit un film de l'exposition, "Matisse Live", qui sera dans les salles du Royaume-Uni le 3 juin. Il montre l'artiste dans son atelier, découpant sans hésitation des papiers colorés à la gouache. Avant de composer ses oeuvres, parfois immenses, avec l'aide d'assistantes.
Picasso jaloux du travail de Matisse
Le parcours de Matisse impressionna Picasso, son voisin dans le sud de la France, "plus que jaloux de son travail" et de cet art de se réinventer au crépuscule de sa vie, selon Nicholas Cullinan. "Au fil des quinze dernières années de sa vie, ajoute le commissaire, les oeuvres de Matisse ont grandi, devenant plus ambitieuses, plus gaies, plus jeunes et plus fortes. Je pense qu'il était très conscient d'être engagé dans une course contre la montre pour achever son oeuvre", avant sa mort en 1954, à l'âge de 84 ans.
La Tate expose notamment les maquettes de "Jazz", à côté du livre en édition limitée écrit par Matisse et composé de vingt planches conçues comme des "improvisations chromatiques et rythmées", selon les mots de l'artiste. Elle réunit pour la première fois depuis cinquante ans "L'escargot" de la Tate, "Souvenir d'Océanie" (Memory of Oceania) du MoMA de New York et la "Grande composition aux masques" de la National Gallery of Art de Washington, trois œuvres de grandes dimensions créées en 1953 et dont une photo de l'atelier de Matisse montre qu'elles ont initialement été conçues comme un ensemble.
Henri Matisse: The Cut-Outs, Tate Modern, Londres,
du dimanche au jeudi, 10h-18h, 16 £ / 18 £ (19,2 € / 21,60 €)
vendredi et samedi, 10h-22h
du 17 avril au 7 septembre 2014
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