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"L’origine du monde" de Courbet a un visage et un nom

C’est un scoop qu'a soulevé Paris Match dans son édition de jeudi. Le célèbre tableau de Gustave Courbet, "L’Origine du monde", serait le détail d’une toile plus grande, dont un passionné d’art à déniché par hasard une autre partie : le portrait du modèle.
Article rédigé par franceinfo - Jacky Bornet avec Paris Match
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La reproduction dans Paris Match, par le photographe Philippe Petit,  du tableau de Gustave Courbet révélant le visage de "L'Origine du monde"
 (Culturebox )
Reportage : M.H.Bonnot, A.Sauval-Dunoi, C.Cormery
Sherlock Holmes de l'art
L’histoire est digne d’une aventure de Sherlock Holmes, une enquête de deux années. En janvier 2010, un amateur d’art entre par hasard chez un antiquaire parisien. Au milieu du bric-à-braque, son œil est attiré par une toile représentant un portrait de femme à la renverse. Connaisseur avisé, il reconnait dans la touche, les frottis, la matière carnée et le traitement des couleurs, un style qui ne peut être que celui d’un maître du XIXe siècle français.

Il acquiert le tableautin pour 1400 euros. Enchanté de sa trouvaille, il étudie sous tous les bords la toile et constate qu’elle a été découpée et repliée sur les côtés du châssis, où apparaît l’ébauche d’un drapé. Mais aucune signature. Seul indice : un cachet en partie effacé, « …eforg… Carpen… ». Se plongeant dans les archives du musée du Louvre, il décode cet indice comme étant la marque d’un marchand de couleurs établi à Paris entre 1858 et 1869 : Deforge-Carpentier. S’adressant à un membre de la Compagnie nationale des experts spécialisés en œuvres d’art (CNE), celui-ci lui confirme la datation et pense reconnaître le style d’un certain Carolus-Duran. Voulant confirmation, il s’adresse à la spécialiste du peintre qui dément formellement en lui glissant le nom de Courbet dans l’oreille.

Abasourdi, notre amateur se plonge dans tout Courbet. S’attardant sur une reproduction de « L’Origine du monde », il identifie les couleurs de la scandaleuse toile à celle de son portrait, puis en tire une copie grandeur nature. Superposé à son tableau avec un léger décrochage, les proportions anatomiques s’avèrent correspondre parfaitement.
"L'Origine du monde" de Courbet
 (PASCAL GUYOT / AFP)
La Femme au perroquet
Creusant l’enquête, il découvre que l’acquéreur de « L’origine du monde », un diplomate ottoman, Khalil-Bey, érotomane patenté, a acheté en même temps à Courbet d’autres tableautins. Notre Sherlock Holmes a alors une intuition digne du plus grand des détectives : ne s’agissait-il pas d’une seule et même toile découpée en plusieurs morceaux ? Parmi les confirmations décisives de cette intuition géniale figurent les analyses chimiques et radiographiques des deux toiles. Leurs tissages correspondent parfaitement, ainsi que la pigmentation des couleurs. Bingo !
 
L’énigme de l’auteur résolue, et la nature parcellaire de l’œuvre établie, reste à identifier le modèle. Dans un premier temps, l’amateur d’art reconnaît une ressemblance troublante entre son portrait et le visage du modèle d’une autre toile de Courbet,  « La Femme au perroquet » (1866). Là, l’identité est connue. Il s’agit de son sujet préféré et maîtresse, Joanna Hifferman, une plantureuse irlandaise « piquée » à son ami James Whistler. Lui-même l’a peinte dans son célèbre tableau « Symphonie en blanc n°2 ».

Bien d’autres éléments concourent à la résolution de l’énigme. Non seulement celle du portrait, mais également celle de « L’Origine du monde ». Acheté 1400 euros en 2010, la toile est aujourd'hui estimée à 40 millions d'euros ! L’article de Paris Match, signé Anne-Cécile Beaudoin, est très détaillé, passionnant, richement et astucieusement illustré. Plongez-y, c’est du Conan Doyle.

Scepticisme de certains experts
Frédérique Thomas-Morin, conservatrice du Musée Courbet à Ornans (Doubs),  ville natale du peintre, est sceptique : "'L'Origine du monde' a  toujours été décrite par les critiques de l'époque de Courbet comme une femme sans tête, ni jambes", dit-elle. Le musée, qui prépare justement une exposition
sur "L'Origine du monde" à l'été 2014, est "très surpris". "Courbet a  fait plusieurs portraits connus de Jo Hifferman, qui était rousse, et je trouve  qu'il y a peu de ressemblance avec le visage de la brune du tableau de Paris-Match", ajoute-t-elle.
 
Hubert Duchemin, expert en tableaux à Paris, se dit "effrayé par l'ampleur prise par cette affaire compte tenu des différences de facture entre les  oeuvres. "Les deux tableaux ne viennent pas du même pinceau", assure-t-il. "Il y a chez Courbet une sauvagerie, un travail avec des brosses larges.  Ici le visage de la femme est réalisé de façon plus fine, plus méticuleuse,  plus académique. C'est un travail de belle qualité, contemporain de Courbet  mais ce n'est pas un Courbet", affirme M. Duchemin.

Une autre spécialiste, qui ne reconnaît pas non plus "la touche de Courbet dans ce visage", ajoute que ce n'était pas dans la pratique du peintre de  couper des tableaux contrairement à Manet. "C'est un non sens d'imaginer un visage associé à 'L'Origine du monde'. Ce qui fait la force, l'inventivité de ce tableau, c'est d'avoir été conçu comme ça", selon cette spécialiste.

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