"La nef des fous" de Jérôme Bosch faisait partie d'un triptyque
"Le tableau n'était pratiquement plus visible, en raison d'un jaunissement prononcé du vernis", explique Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du Louvre. "En outre, il avait fait l'objet d'un grand nombre de repeints."
Cette petite huile sur bois de chêne (58 x 33 cm) représente une embarcation avec plusieurs personnages en train de s'empiffrer et d'où s'élève un mât de cocagne. La présence d'un homme en habit de fou a conduit, sans doute à la fin du 19e ou au début du 20e, à faire l'analogie avec un ouvrage de Sébastien Brant paru en 1494 et contant un voyage pour la "Narragonie", le pays des fous.
Une partie d'un triptyque démembré et dispersé à Yale, Washington et Rotterdam
L'intervention conduite au Centre de recherche et de restauration des musées de France a permis de valider une autre hypothèse : celle de la parenté de l'oeuvre avec trois autres panneaux de Bosch figurant dans des collections à Yale, Washington et Rotterdam. Ils appartiendraient à un triptyque sur les sept pêchés capitaux.Ils seront réunis lors d'une grande exposition organisée (du 13 février au 8 mai) à Den Bosch (Bois-le-Duc en français), la ville natale de Jheronimus Van Aken, à l'occasion des 500 ans de sa mort.
Grâce au travail écaille par écaille de la restauratrice Agnès Malpel, plusieurs repeints ont été retirés du tableau du Louvre : des feuillages supplémentaires en haut du mât de cocagne, une montagne sur la droite du paysage qui dissimulait une lointaine cité, à peine esquissée. Des interventions datant du 19e siècle comme le prouve la présence de manganèse, un pigment inconnu au 16e, à l'époque où a vécu le peintre.
La palette du peintre retrouvée
La restauration a permis de retrouver la palette du peintre et les détails du paysage. Le retrait du vernis noirci a révélé tout en bas du tableau des détails jusque là invisibles : un verre, une pointe de métal, des branches. Des indices le rapprochant d'un autre tableau conservé à la Yale University Art Gallery, l'"Allégorie de la débauche et du plaisir".Tous les détails coïncident : la pointe de métal est celle d'un entonnoir servant de couvre-chef à un des personnages. Même coïncidence entre les veines du bois au dos du tableau.
Si l'on rapproche ces deux éléments, l'ensemble a les mêmes dimensions qu'une autre oeuvre au sujet comparable, "La Mort de l'avare", détenue par la National Gallery of Art de Washington.
Selon les spécialistes du peintre, il s'agirait des deux volets mobiles d'un triptyque dont la partie centrale est perdue. Quant au dos des volets, ils se trouveraient au musée Boynans-van Beuningen de Rotterdam : refermés, ils représentent un colporteur en haillons, symbole de la condition humaine.
Les trois quarts de la production de Bosch réunis pour les 500 ans de l'artiste
Le sciage subi par le triptyque, notamment dans l'épaisseur des panneaux (7 cm à l'origine), a sans doute fragilisé le tableau du Louvre dont la couche picturale du fond est "plus transparente, plus fluide", contrairement à celle des personnages "plus empâtés, beaucoup mieux conservés", explique Cécile Scaillérez, chargé de la peinture néerlandaise des XVe et XVIe siècles.La restauration a été conduite en concertation avec le Bosch Research and Conservation Project, un programme financé par la ville de Bois-le-Duc, avec l'aide de sponsors, et visant à faire le point sur l'oeuvre du peintre néerlandais dont on sait peu de choses.
L'exposition réunira les trois quarts de sa production, dont le célèbre "Chariot de foin" du Prado, mais le musée madrilène n'enverra pas une autre oeuvre exceptionnelle, "Le Jardin des délices". L'ancienne "Nef des fous" est visible au Louvre jusqu'à fin janvier.
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