Des images aux mots : Marguerite Yourcenar et la peinture flamande
Marguerite Yourcenar a grandi entre Mont Noir et Lille. De ce pays de Flandre, elle a gardé un attachement constant, qui a trouvé son expression notamment dans l'intérêt qu'elle a porté sa vie durant aux peintres flamands. Elle se sent un lien très fort avec eux, à tel point qu'elle se rêve de lointains liens de parenté avec Rubens…
Une exposition étonnante au musée de Flandre à Cassel propose un dialogue entre toiles et romans et montre comment cet immense écrivain, première femme à entrer à l'Académie française, a su déceler ce qui constitue la singularité de la peinture flamande et en extraire l'essence, aussi bien qu'elle a nourri son œuvre, incessant va-et-vient informel entre les images et les mots.
Musée imaginaire : les albums de Marguerite Yourcenar
Au cours de ses voyages, Marguerite Yourcenar ne manquait jamais l'occasion de visiter les musées. Elle achetait des cartes postales et les collait dans des albums. Dans les années 60, Internet n'existait pas, la carte postale était le support de diffusion de l'art. "L'écrivain compile les cartes postales, comme les historiens d'art qui se constituent des iconothèques", explique Sandrine Vézilier, directrice du musée départemental de Flandre et commissaire de l'exposition. Mais elle n'est pas historienne de l'art. "On ne note pas une rigueur dans l'organisation de ses albums où les cartes sont plutôt collées au fur et à mesure de ses récoltes. Les tableaux, des détails... Ce qui l'intéresse, ce n'est pas une œuvre. Elle utilise les différents visuels pour recomposer son propre univers", ajoute Sandrine Vézilier.
La peinture flamande nourrit l'œuvre de Marguerite Yourcenar
"Dans les œuvres elle vient chercher une substance plus qu'une image ou des détails d'une image. Et inversement, ses mots viennent donner de la matière à la peinture. Avec ses albums, en plus de ce qu'elle a dans sa tête, dans son inconscient, elle fait des recoupements qui lui permettent de révéler ce qu'est la peinture flamande. A force de contempler ces tableaux, de travailler son regard, elle réussit à pénétrer la singularité d'une œuvre", poursuit la commissaire de l'exposition.
Ne pas se laisser enfermer dans le pouvoir attractif d'une image
La fascination de Marguerite Yourcenar pour Bruegel tient au fait que Bruegel, comme elle, ne veut pas se laisser enfermer dans la puissance d'une seule image. Yourcenar puise dans la peinture flamande pour nourrir ses romans. Dans les œuvres elle vient chercher une substance plus qu'une image ou des détails d'une image. Dans "L'œuvre au noir", qui se déroule à Bruges, l'écrivain ne fait pas de description détaillée de la ville, mais on sent Bruges. "En cela elle est proche de Bruegel, adepte du double sens et du paradoxe dans ses peintures", explique Sandrine Vézilier. Pour Zénon, personnage de "L'Oeuvre au Noir", Marguerite Yourcenar s'est inspirée entre autres du médecin Paracelse.
"Ses mots viennent donner de la matière à la peinture."
Pour préparer l'exposition, Achmy Halley, directeur de la Villa départementale Marguerite Yourcenar a relu les livres de la romancière. Fasciné par la richesse de l'imaginaire visuel de l'auteure des "Mémoires d'Hadrien", il remarque que le lien écriture/peinture est "très profond" et qu'elle en fait une méthode d'écriture, quand elle parle de "regarder les images jusqu'à les faire bouger".
"C'est par la boulimie de la matière que Rubens échappe à la rhétorique creuse des peintres de cour. Tout se passe comme si les empâtementset les giclées de la couleur avaient peu à peu entraîné le virtuose, loin des pompes mytologoco-chrétiennes de son siècle, dans un monde où ne compte plus que la substance pure... Les fesses des Trois Grâces sont des sphères." (Marguerite Yourcenar, Archives du Nord, Gallimard, Paris 1977, page 83).
"La viande, le sang, les entrailles, tout ce qui a palpité et vécu lui répugnait à cette époque de son existence, car la bête meurt à douleur comme l'homme et il lui déplaisait de digérer des agonies." (Marguerite Yourcenar, L'oeuvre au noir, Gallimard, collection Folio, p.240)
Le "labyrinthe du monde"
L'exposition est construite en forme de labyrinthe, et reflète ainsi "parfaitement l'esprit Yourcenarien et son obsession du labyrinthe, invitant le visiteur à parcourir entre mots, formes et couleurs le "labyrinthe du monde" (titre de son autobiographie en trois volumes)" explique Achmy Halley. "Nous levons un peu du secret. Nous donnons des clés de lecture, mais reste le mystère." conclut Sandrine Vézilier.
Marguerite Yourcenar et la peinture flamande, jusqu'au 27 janvier 2013 au Musée de Flandre
A voir aussi La villa départementale Marguerite Yourcenar
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