Bohémiens et artistes bohèmes au Grand Palais
« La figure du bohémien a fasciné les artistes », souligne Sylvain Amic, le commissaire de l’exposition. Celle-ci est une « longue route » à travers cinq siècles d’imaginaire. L’exposition commence avec un dessin de Léonard de Vinci de 1493, où un homme se fait délester de sa bourse par des « tsiganes » au visage grimaçant. Elle se termine en 1937, avec l’exposition d’ "art dégénéré " des nazis, représentée ici par le portfolio du peintre allemand Otto Mueller, membre du mouvement Die Brücke, sur les bohémiens des Balkans.
Le bohémien, une figure qui attire et fait peur
La première partie de l’exposition, au premier niveau, s’intéresse à l’image du bohémien dans la peinture, depuis la fin du XVe siècle. Image grimaçante chez Léonard de Vinci. Ou idéalisée dans un paysage de Gainsborough qui représente un campement sous un arbre. On est toujours, en effet, entre attirance, fascination, peur ou répulsion.
« Le bohémien est réputé sans patrimoine, sans cesse en mouvement, sensuel, profondément connecté à la nature, porteur d’un mystère qui échappe à la majorité de la population », résume Sylvain Amic.
« Il y a un divorce entre le mythe et la réalité », fait-il remarquer, ajoutant que, de tous les temps, « on aime beaucoup les bohémiens en peinture, beaucoup moins au fond de son jardin ».
Le divorce ira jusqu’à la « schizophrénie » quand, en 1942, Leni Riefenstahl, la réalisatrice préférée de Hitler, fait sortir 150 Roms des camps pour figurer dans un de ses films. Après le tournage, ils sont enfermés de nouveau. Un demi-million d’entre eux seront exterminés.
Une génération d'artistes va s'identifier aux bohémiens
Georges de La Tour reprend le thème du bohémien voleur dans « La Diseuse de bonne aventure » (1630). A l’inverse, la Vierge prend parfois les traits d’une gitane, comme chez Georges Lallemant (« La Sainte Famille », début du XVIIe).
Au début du XIXe siècle, un changement s’opère avec Gustave Courbet qui, le premier, s’identifie aux bohémiens. Ceux-ci ne sont plus alors seulement une figure de fascination. « Dans notre société si bien civilisée, il faut que je mène une vie de sauvage. (…) Pour cela je viens donc de débuter dans la grande vie vagabonde et indépendante du bohémien », dit Courbet.
Il représente, dans « La Rencontre » (1854) deux bourgeois qui croisent un vagabond sur un chemin et le saluent comme un prince. « La Bohémienne et ses enfants » (1853-54), un grand tableau découvert récemment les montre en chemin, lourdement chargés. Sa très belle « Rêverie tsigane », est le pendant de l’identification de l’artiste aux bohémiens. Les cheveux noirs de la fille dégringolent sur une chemise blanche ouverte sur sa poitrine.
Renoir peint le même genre de figure quand il représente sa compagne en bohémienne, tandis que Corot peint une gitane plus sage, la « Zingara au tambour de basque ».
L'artiste bohème, de la misère à la gloire
C’est à cette époque que naît l’artiste « bohème », libre mais pauvre, vivant dans une mansarde glaciale. La deuxième partie de l’exposition est consacrée à ces artistes.
A partir de 1830, le mot « bohémien » « est employé pour qualifier ces jeunes artistes qui tentent d’entrer dans la carrière par les marges, sans passer sous les fourches caudines de l’Ecole des beaux-arts, du prix de Rome et de la villa Médicis (…) Ils se placent en dehors de la société, comme des bohémiens », raconte Sylvain Amic. Baudelaire invente même le terme « bohémianisme ». L'artiste n'est plus sous la protection d'un prince, il est devenu un génie solitaire, misérable et incompris.
C’est l’époque où Montmartre est le refuge des artistes, qui se retrouvent au Moulin de la Galette, au Chat noir ou au Lapin agile et côtoient serveuses, danseuses, acrobates et prostituées. Degas peint « L’absinthe » et Toulouse-Lautrec « La Gitane ».
La bohème, ce n’est pas drôle tous les jours. « Il y a des gens qui meurent », remarque Sylvain Amic.
La bohème de Verlaine et Rimbaud
Les peintres se représentent ou représentent leurs copains dans des chambres misérables, entre un poêle et une fenêtre qui laisse passer l’air froid. « Art, misère, désespoir, folie » de Jules Blin résume la situation : l’artiste a jeté ses pinceaux et ses couleurs par terre et piétine une de ses toiles. Alexandre Gabriel Decamps « suicide » l’artiste dans une mansarde. Nicolas François Octave Tassaert le montre, assis par terre épluchant des patates.
Verlaine et Rimbaud incarnent bien l’esprit de l’époque. Les deux poètes vivront « la bohème » jusqu’au bout, le premier dans les cafés et les hôpitaux parisiens, le second à Aden et en Ethiopie. A côté de leurs portraits, on peut voir le manuscrit original de « Ma Bohème » de Rimbaud, prêté par la British Library.
Bohèmes, Grand Palais, entrée Clémenceau
tous les jours sauf le mardi, 10h-20h, nocturne le mercredi jusqu'à 22h (fermeture à 18h le 24 et le 31 décembre)
tarifs : 12 € / 8 €
jusqu'au 14 janvier 2013
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