Cet article date de plus de huit ans.

Peintres : les obsédés du motif

L'histoire de l'art, contemporaine ou pas, est peuplée de nombreux artistes qui n'ont fait que répéter inlassablement le même motif. Pourquoi tant d'obsédés du motif ? Et si ce motif omniprésent qui veut s'imposer, c'était tout simplement eux-même.
Article rédigé par franceinfo - Thierry Hay
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Publié
Temps de lecture : 6min
Les fameux "haricots" de Claude Viallat.
 (DR)

Pourquoi a-t-on peint autant de pommes à l’époque moderne à commencer par Cézanne qui disait fréquemment à ses visiteurs qu’il était heureux "d’aller au motif" ? Pourquoi trouve-t-on autant de chapeaux melons dans l’œuvre de Magritte ? Pourquoi autant de boîtes de soupe chez Andy Wahrol ? Pourquoi des artistes répètent-ils sans cesse le même motif, au point que celui-ci dévore leur parcours artistique et suffise à le résumer ? Si une personne dessine un haricot légèrement rectangulaire, beaucoup penseront immédiatement à Viallat. Pourquoi les pois ont-ils envahi les travaux de Yoyoi Kusama au point de la pousser vers la folie ? A travers leur obsession du motif, les peintres se cachent-ils ou se révèlent-ils ? Et si ce motif était comme une lettre que l’on répète sans cesse avec l’espoir de créer un jour un véritable alphabet ? Pour tenter de comprendre, observons quelques exemples.

Les haricots de Viallat
Claude Viallat, un des fondateurs du groupe Support/Surface dans les années 70, veut, comme tous les membres de ce mouvement, réduire la peinture à sa seule matérialité. La répétition du même motif libère le peintre car il ne lui reste plus qu’à se préoccuper des problèmes formels. Le motif du haricot - ou si l’on préfère de l’osselet - naît en 1966 dans l’ œuvre de Viallat et ne la quittera plus.

Les fameux "haricots" de Viallat, pochoirs sur tissu,à noter la partie manquante en bas....
 (DR)
 
Il s’agit en fait de l’empreinte d’une éponge mais qu’est-ce qu’un artiste si ce n’est une éponge... Viallat voulant limiter son travail à des recherches sur la couleur et les textures ne serait-il pas aussi en train de se peindre lui-même ?

Kusama : on a toujours besoin d’un petit pois
Yayoi Kusama n’ en finit pas de peindre des pois partout dans des espaces clos.

Un monde de champignons venimeux .
 (DR)

...Et, petit à petit, ces pois sont devenus un poids dans sa tête à tel point qu'aujourd’hui elle vit dans un hôpital psychiatrique. Enfant, elle a une vision : des fleurs rouges envahissent la cuisine familiale. Avec le temps, les fleurs seraient devenus pois. Des pois qui colonisent et envahissent toute son œuvre ; des champignons rouges façon amamites phalloïdes par milliers. Mais tout s’éclaire avec cette citation de l’artiste : « ma vie est un pois perdu parmi des millions d’autres pois ». Le motif c’est l’artiste, sa solitude, sa difficulté à communiquer et son rapport aux autres. Le motif n’est donc pas un simple motif, ces pois ont plus de poids qu’il n’y paraît.

Andy Warohl : l’ Amérique mise en bôite
Il a été l’un des premier à pratiquer la répétition du motif avec ses célèbres boîtes de « Campbell’s soup ». Il a ainsi élevé un objet banal au rang d’œuvre d’art. Ces boîtes de soupe sont devenues le symbole d’une Amérique consumériste qui pratiquait la fuite en avant. Chez Wahrol, la répétition du motif est systématique, jusqu’à l’exténuation et certains experts y voient une allusion à la mort et au temps qui passe, un thème qui obsédait Andy Wahrol, désireux de brûler sa vie et d’échapper à un destin de petit bourgeois américain. La soupe a donc un petit goût amer…

Des boîtes qui symbolise à la fois l' Amérique et le tempsqui passe.
 (DR)

Jim Dine : au cœur des choses
Depuis plus de cinquante ans, le cœur est la signature et la marque de fabrique de l’artiste. Il n’en dérogera pas : des cœurs sur lesquels il jette des tâches de couleurs ou dans lesquels il plante des clous. Mais il souligne « le coeur est vivant, c’est un vagin, un cul, quelque chose d’assez basique  finalement ». C’est donc la vie sous toutes ces formes, y compris dans sa fragilité, que dépeint Jime Dine.

Au fil du temps le coeur coloré deviendra la signature de Jim Dine
 (DR)

Tarashi Murakami : Dites le avec des fleurs

Des fleurs partout dans un paysage faussement enfantin : Murakami peint et fait peindre par ses nombreux associés des fleurs de couleurs arc en ciel qui arborent un sourire figé, de quoi les rendre inquiétantes parfois...

Des fleurs qui symbolisent à la fois l' envie d' un autre monde et le japon.
 (DR)
 
Elles sont pourtant une allusion à la culture des mangas et leurs petits personnages très souriants dits «Kawaii ». Mais la fleur est aussi le symbole d’une tradition recherchée car elle est le sujet principal de toute la peinture nippone. A travers ces fleurs, Murakami s’arroge donc le droit d’incarner un pont entre le passé et le présent.

Buren : la vie rayée
Depuis l’érection des colonnes du Palais Royal à Paris, les rayures de Buren sont devenus célèbres.

Les fameuses rayures que Buren imposera partout et tout le temps .
 (DR)
Comme un code barre, elles donnent une identité et un prix à l’œuvre de Buren. Parfois elles se colorent mais c’est la seule fantaisie que se permet l’artiste car leur utilisation première est de renforcer le caractère impersonnel de l’oeuvre.
Tout commence en1965, Buren achète du lin à rayures, sa vie d’artiste en est bouleversée. Désormais ces rayures envahissent son parcours créatif et l’artiste précise : «  je n’expose pas des bandes rayées mais des bandes rayées dans un certain contexte ». La colonne rayée n’est donc pas un motif décoratif mais un véritable signe en direction des autres…

Le motif : un révélateur ?
On pourrait évoquer Matisse et la fréquence des poissons rouges dans ses œuvres, Damien Hirst et ses nombreux crânes ou la grande prêtresse du design André Putman et son damier noir et blanc.

Le damier est omniprésent dand les objets et éléments décoratifs de la célébre décoratrice.
 (DR)
Tous ces obsédés du motifs ne font souvent, à travers leurs motifs répétés jusque à la convulsion, que de nous parler d’eux même. Paradoxalement, le motif qui permet de mécaniser le geste et de repousser la subjectivité sert donc aussi de révélateur.

 

     

 

 

 

 

 

 

 

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