Ordre, désordre et chamanisme au Quai Branly
Le désordre, ce sont la maladie, les catastrophes naturelles, les mauvaises récoltes, la mort. Les sociétés les attribuent généralement à la manifestation de divinités ou autres forces surnaturelles. Elles aspirent à les maîtriser et utilisent pour cela les « maîtres du désordre ».
Le Quai Branly explore la figure universelle du chaman dans ses divers aspects et à travers le monde. Il y joint des œuvres d’art contemporain qui peuvent être associées à ces phénomènes : Picasso, Ben, Annette Messager…
Un autel vaudou pour protéger l'exposition
L’exposition, ambitieuse, part du constat que l’ordre est partout imparfait et que les sociétés doivent faire avec un certain tumulte. Qu’il n’y a pas d’ordre sans ambivalence, que dieux et démons se livrent une lutte constante.
D'ailleurs, pour veiller sur l'exposition, un prêtre togolais, "sorcier du fou-rire", Azé Kokovivina, a activé un véritable autel éphémère de bois, de boue, de fer rouillé, d'os, de sang. Il est là pour de "protéger le musée, son personnel et les visiteurs des esprits malfaisants, en leur donnant la chasse", a expliqué le prêtre vaudou et artiste.
Des divinités ambiguës
Les forces de l’obscur sont représentées par des masques effrayants, comme un masque de « celui qui est laid » venant de l’Alaska, ou par un tambour Pawnee sur lequel est représenté l’Oiseau Tonnerre. L’oiseau magique incarne la foudre qui à la fois détruit et purifie, la pluie qui donne la vie ou ravage tout sur son passage.
Parmi les divinités ambiguës, on peut citer Exu/Eshu, dieu rusé des Fons du Bénin qui a été repris dans le panthéon syncrétique d’Haïti ou du Brésil. Ce dieu vagabond qui n’en fait qu’à sa tête et nargue les humains fait l’objet de fines statues des deux côtés de l’Atlantique et a été peint par Jean Michel Basquiat, en hommage à ses origines haïtiennes.
Un masque Kashina des Indiens hopi incarne un clown, fruit d’un inceste, qui brise les tabous.
Plus près d’ici, le Dionysos des Grecs est lui aussi un dieu vagabond, incarnant l’ivresse et la divine intoxication.
Le chamane, un intercesseur entre deux mondes
Le chamane est un « intercesseur » entre les hommes et les forces occultes. Il subit une initiation longue et dangereuse pour pouvoir entrer en contact avec les esprits. Il effectue des voyages, utilisant parfois des psychotropes ou la transe, endossant des costumes fantastiques de plumes (Ndungu du Congo), de paille (Awanta du Haut Xingu, Brésil), en peau (Sibérie) ou en tissus colorés (Mudang de Corée). Une statuette Kwakiutl du nord-ouest des Etats-Unis représente un chamane en train de se transformer en ours.
L’exposition fait voir costumes, masques, objets rituels, statuettes. Comme ces sculptures qui servent aux cultes et finissent par être recouvertes d’une couche de matières variées. Les statuettes du Congo renferment des matières magiques qui en font un réceptacle de forces.
La maladie est un des grands domaines des chamans. D’étonnants petits torses en argile de Smyrne de l’époque hellénistique montrent des difformités. Ce type de figures pathologiques, sans doute dotées d’un pouvoir protecteur, s’est largement diffusé dans le bassin méditerranéen.
Face à face avec les "maîtres du désordre"
Du côté de l’art contemporain, la chorégraphe Anna Halperin a exorcisé son cancer en dansant. Une vidéo la montre en train de danser et crier sa douleur face à une image de sa maladie qu’elle a représentée en peinture (1975).
Au cœur de l’exposition, une quinzaine de petits films nous font rencontrer des « maîtres du désordre » du monde entier. Une mère de saints du candomblé brésilien explique les différents dons que peuvent avoir les initiés. On assiste à la transe d’un chaman Sikkim indien. On voit un sorcier guérir un patient en faisant fuir les djinns et autres esprits qui l’habitent.
La scénographie de l’exposition, qui se veut ambitieuse, se déroule comme un labyrinthe blanc : des structures tubulaires couvertes de plaques de plâtre délimitent des cellules abritant les différentes thématiques. Ce n’est pas forcément très réussi, ce qui n’enlève rien à l’intérêt de l’exposition.
Elle se termine sur une vidéo des Brésiliens Rivane Neuenschwander et Cao Guimarães, « Quarta-feira de Cinzas » (mercredi des Cendres) : le carnaval, moment de toutes les transgressions, est terminé, et des cohortes de fourmis transportent d’énormes confettis de couleur, derniers débris de la fête.
Les Maîtres du désordre, Musée du Quai Branly, Paris 7e
tous les jours sauf lundi
mardi, mercredi et dimanche : 11h-19h
jeudi, vendredi et samedi : 11h-21h
tarifs : 7 € / 5 € (billet jumelé avec les collections permanentes : 10 € / 7 €)
jusqu’au 29 juillet 2012
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.