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"Objets Sensuels" : une exposition à sentir, entendre, toucher... à l'hôtel Le Meurice à Paris

S’étant donné comme mission de “faire grandir l’appétit pour les métiers d’art", Raphaëlle Le Baud a imaginé l'exposition "Objets Sensuels" en mettant en scène, au travers des cinq sens, la sensualité d'œuvres d’artisans de toutes matières et de tout savoir-faire
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Exposition "Objets sensuels" à l'hôtel Le Meurice à Paris, janvier 2023 : la chambre Toucher avec le maillot de bain en cuir de Robert Mercier (Géronimo)

Objets Sensuels rassemble des métiers d’art français, dans cinq chambres en rénovation de l'hôtel parisien Le Meurice, du 24 au 27 janvier 2023 de 9h30 à 18h. Cette exposition "clandestine" se tient pendant la semaine de la haute couture parisienne printemps-été 2023. 

Un parcours sensoriel déroutant

"Il n’est plus question ici de petites mains mais de montrer l’expertise technique et la puissance créative dont peuvent être capables les artisans d’art. Une seule chose importe et rassemble ces virtuoses : l’amour obsessionnel, transcendant et sensuel de leur matière" explique Raphaëlle Le Baud, la curatrice qui a imaginé des chambres dédiées aux cinq sens : l'odorat, l'ouïe, le toucher, la vue et le goût.

La visite débute dans le noir. Direction la chambre Sentir où des odeurs, capturées dans des ateliers, ont été encapsulées dans des cloches de verre soufflé. Variété des effluves, de la térébenthine à la colle de poissons. Dans la chambre suivante, Entendre, la performeuse Lélé O récite des mots se référant aux métiers - varlope, molette, quenouille...- tandis que l'on découvre à la lumière de bougies des outils datant du 16e/17e siècle, eux aussi, aux noms évocateurs : lime, quenouille... Poésie des intonations. Dans la chambre Toucher, on peut caresser des objets en bois, en soie et en verre soufflé, dont un maillot de bain en cuir signé Robert Mercier. Très sensuel. Les deux pièces suivantes sont dévolues à la vue : des éventails Duvelleroy réalisés avec le plisseur Lognon, une œuvre textile en marqueterie de fils de Solenne Jolivet, une console de Pierre Bonnefille. La visite se termine dans la chambre Goûter avec une dégustation signée du pâtissier Cédric Grolet. 

Exposition "Objets sensuels" à l'hôtel Le Meurice à Paris, janvier 2023 : la chambre Voir avec ls éventails Duvelleroy réalisés avec le plisseur Lognon (Geronimo)

Raphaëlle Le Baud nous explique la génèse de cette exposition qui lui tient particulièrement à cœur. 

Franceinfo Culture : Vous êtes à l'origine de cette exposition consacrée aux métiers d'art, qui est une passion de longue date : en 2010, avec Eloïse Gilles et l'héritier de la maison Duvelleroy, vous aviez redonné vie à l'éventail qui requiert un savoir-faire minutieux. 

Raphaelle Le Baud : J'ai repris Duvelleroy en 2010 mais depuis j'ai quitté l'opérationnel de la maison - tout en restant associée à l'aventure - pour créer Métiers Rares, mon cabinet qui accompagne les marques dans leur projet avec les artisans. Je suis conseil en stratégie autour des métiers d'art pour les maisons de luxe mais aussi les industries et les fondations. 

Outre Métiers Rares, vous avez aussi initié The Craft Project
Métiers Rares, c'est ma troisième entreprise dans les métiers d'art que je développe et qui grandit. Depuis le départ, les bénéfices que j'en retire m'ont permis de financer une activité philanthropique et associative The Craft Project. Ce podcast, disponible sur les plateformes d'écoute, a pour vocation de faire entendre l'esprit des artisans. Quand j'ai débuté dans les métiers d'art, on parlait beaucoup des petites mains et des gestes des artisans. J'ai voulu parler de leur esprit, de leur discours sur le monde car je pense qu'il est très éclairant. Il me nourrit depuis 15 ans et j'ai voulu le partager. The Craft Project, c'est un podcast, un compte Instagram et des actions concrètes pour financer, par exemple, la transmission des métiers qui disparaissent. On a, ainsi, créé la bourse des métiers orphelins, ainsi qu'un programme d'insertion des mineurs isolés pour les initier au savoir-faire.

Comment trouvez-vous les artisans avec lesquels vous travaillez ? 
C'est mon métier d'aller dans les ateliers où je source de nouveaux artisans pour mes projets. Lors de ces rencontres, je choisis les artisans à l'intuition, par leur discours, leur parcours. C'est d'abord la personne et l'humain qui me touche plus que son métier ou la matière qu'il travaille. Ce secteur allie technique et poésie. C'est ainsi que les Grecs définissent l'artisanat d'art, comme l'alliance de trois éléments : la technique, la créativité et l'innovation. Un artisan d'art doit réunir ses trois éléments. 

Quel a été le point de départ de l'exposition "Objets sensuels" ?
Depuis la création du podcast, je cherche à montrer que c'est un secteur sexy, pas folklorique, pas poussiéreux, pas en sépia. Ce terme, je l'utilise peu à l'écrit mais tout le temps à l'oral : je me suis rendue compte que c'est l'angle que j'ai envie de prendre pour faire grandir l'appétit pour ces métiers d'art. En fait, cette exposition me permet de matérialiser cette démarche. La sensualité est une façon fédératrice de parler des savoir-faire et d'initier les gens à ces métiers.  

C'est parti l'été dernier d'une story Instagram dans laquelle je demandais à la communauté d'artisans de partager avec moi les mots sensuels et ambigus de leurs métiers. En fait, ces métiers sont truffés de mots à double sens ou sexuels utilisés pour désigner les outils, les gestes, les matières. Ça a fait un buzz. Avec ces mots, j'ai écrit un texte et j'ai demandé à la performeuse érotique Lélé O du studio VOXXX de l'enregistrer. Cela m'a donné le point de départ de l'exposition, pour parler des métiers d'art, pour susciter l'intérêt auprès d'un public qui ne les connait qu'au travers du côté besogneux, exécutant.

Ce que je trouve sexy dans ces métiers, c'est que ce sont des personnes passionnées, habitées par leur métier. Sexy, cela veut dire attirant : il y a beaucoup de joie dans ce rapport à la matière. J'ai fait 75 podcasts et il n'y a pas un artisan qui ne m'ait parlé de son rapport charnel à la matière avec laquelle il passe sa vie, de l'engagement de son corps, de la façon dont il regarde son travail du bout des doigts et des odeurs dans les ateliers qui ont souvent suscité des vocations. La sensualité est un thème transversal chez les artisans que j'écoute depuis quatre ans. 

Comment avez-vous sélectionné les 25 artisans participant à l'exposition ? 
Faire ce commissariat d'exposition a été un travail qui m'a passionné, que j'ai adoré et que j'aimerais refaire. C'est une première et après 15 ans d'expérience, cela me permet de réunir des artisans que j'aime et qui, d'une façon ou d'une autre, avaient déjà abordé cette thématique de la sensualité dans leur travail. J'ai, en effet, podcasté la moitié des artisans présentés pendant l'exposition ou j'ai travaillé avec eux dans le cadre de projets. 

Comment les cinq sens sont-ils mis en avant ? 
La transversalité de l'espace, c'est le sens de cette exposition : il y a plusieurs créateurs par chambre. C'est un parcours initiatique à travers les cinq sens. Cette exposition est clandestine : on ne peut y venir que par le bouche à oreille. Nous sommes quatre médiatrices proposant des visites toutes les demi-heure.  

Exposition "Objets sensuels" à l'hôtel Le Meurice à Paris, janvier 2023 : la chambre Sentir avec les odeurs d'ateliers encapsulées dans des cloches en verre soufflé (CORINNE JEAMMET)

Pour la chambre Sentir, je suis allée chez Laverdure, fournisseur des artisans d'art depuis 1911 - boutique très ancienne de colles, laques, vernis, feuilles d'or.... - pour sentir les pots et sélectionner les odeurs avec Mathilde Laurent, nez des parfums Cartier. Mathieu Bassée (atelier MTX), lui, a imaginé un dialogue avec les sens via une œuvre sculpturale autour de la broderie avec des cordes en coton revêtues de tubes de métal.  

Dans la chambre Entendre, Lélé O récite les mots de métiers. Le musée de l'outil et de la pensée ouvrière - musée des compagnons du devoir à Troyes - a, lui aussi, participé en mettant des mots en parallèle d'outils datant du 16e/17e siècle. Dans la chambre Toucher, on découvre des œuvres à caresser en cuir, en bois, en soie et en verre soufflé tandis que la chambre Goûter est supervisée par le pâtissier Cédric Grolet. 

Exposition "Objets sensuels" à l'hôtel Le Meurice à Paris, janvier 2023 : la chambre Goûter avec les créations du pâtissier Cédric Grolet, janvier 2023 (Geronimo)

Il y a des noms très connus et des artisans de la jeune génération - Pierre Bonnefille, Mathias Kiss, Steven Leprizé, Lauren Collin, Nadège Mouyssinat... - ainsi que des artisans de la haute couture comme Robert Mercier et Aurélia Leblanc, complètement invisibles car considérés comme des secrets de fabrication par les marques pendant des années. 

Pourquoi exposer dans l'hôtel Meurice ? 
Le Meurice s’est imposé comme une évidence car l'hôtel a une histoire d'amour avec les métiers d'art depuis de nombreuses années. Ainsi quand ils rénovent leurs chambres, ils font appel à des artisans car ils sont sensibles à leur savoir-faire ! La direction de l’hôtel nous a donné carte blanche en mettant à disposition les chambres du quatrième étage pendant leur chantier de rénovation. L'exposition se tient dans des espaces démolis dont il ne reste que les structures des murs ! La scénographie de cet espace brut, dans un écrin précieux, a été confiée à Pierre-Yves Guenec, scénographe et designer, qui vit et travaille à New York. C'est un ancien élève des Ateliers de Sèvres puis des Beaux Arts de Nantes et un Compagnon du devoir en ferronnerie d’art. 

Pierre-Yves Guenec et Raphaelle Le Baud, dans l'hôtel Le Meurice, le 23 janvier 2023 (Geronimo)

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