Les animaux sauvages du peintre suédois Bruno Liljefors s'invitent au Petit Palais
Si vous n'avez pas eu la chance de voyager en Scandinavie, ne manquez pas cette exposition consacrée au peintre suédois Bruno Liljefors (1860-1939) jusqu'au 16 février 2025. Le Petit Palais ouvre grand ses portes à une cohorte d'animaux plus vrais que natures : des renards, des hiboux, des cygnes, des chats, des pies, des courlis, des canards, des coqs de bruyère, des lièvres et bien d'autres espèces.
Pour présenter cet artiste méconnu en France, mais célébré dans son pays, Sandra Buratti-Hasan, commissaire de l'exposition, nous guide vers une toile intitulée Une famille de renards, peinte en 1886, qu'elle trouve particulièrement emblématique de son travail. "C'est une sorte de résumé, de manifeste", dit-elle. Il s'agit d'"un sujet étonnant qu'on ne présentait pas à l'époque, celui du sevrage des renardeaux. Une renarde apporte du gibier à ses petits. Au printemps, les renardeaux vont cesser d'être allaités par leur mère pour manger du solide".
Cette experte en peinture animalière, venue du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, insiste sur le "travail de coloriste très japonisant" du peintre, caractérisé par "une absence de profondeur" et par des traits de pinceaux "proches de la calligraphie".
Mais elle souligne dans le même temps le travail presque documentaire de cet homme, grand observateur de la faune sauvage. Elle résume son art ainsi : "Bruno Liljefors est un peintre de paradoxe. Il va travailler à la fois le côté décoratif et, en même temps, le côté très naturaliste, qui vous enseigne quelque chose du monde vivant."
Un extrait du film Le peintre animalier Bruno Liljefors datant de 1917 est présenté dans l'exposition. Il a été réalisé alors qu'il était déjà célèbre et vivait dans son manoir d'Österbybruck. Le maître est entouré de toutes sortes d'animaux dont certains vivent dans des enclos.
On le voit nourrir un hibou grand-duc. On aperçoit également deux renards et un crapaud. Un autre extrait nous offre un aperçu sur son processus créatif. On le découvre alors qu'il s'installe sur une barque au milieu des roseaux. Il fixe ensuite sa toile devant lui, et peint ainsi, avec sa palette, directement "sur le motif", d'après nature.
Il s'est formé en France
Né en 1860, cet enfant chétif, de santé fragile, a grandi à Uppsala, une ville située au nord de Stockholm, entourée de vastes étendues sauvages. Dès son plus jeune âge, il est fasciné par la faune et s'entraîne à dessiner sur le vif. À l'Académie royale de peinture, il rencontre Anders Zorn qui deviendra son ami et l'aidera financièrement au début de sa carrière.
Après des voyages en Allemagne et en Italie, il a parfait son apprentissage à Paris. Il vivra quelques années à Grez-sur-Loing (Seine-et-Marne) où résidait une colonie d'artistes scandinaves, mais rejoindra définitivement son pays natal en 1884 pour se consacrer à la représentation de la nature suédoise. L'exposition réunit une centaine d'œuvres venues presque exclusivement de Suède. Elles nous sont présentées comme "le meilleur du travail de l'artiste" durant la première moitié de sa carrière, c'est-à-dire jusqu'à la Première Guerre mondiale. La commissaire explique vouloir proposer "une parenthèse pour vous immerger dans la nature".
Le peintre grimpeur
À partir des années 1880, Bruno Liljefors s'intéresse particulièrement aux relations que les animaux entretiennent avec leur habitat. Il s'attache à les représenter dans leur environnement et montre leur parfaite adaptation au monde qui les entoure. Il met au point plusieurs dispositifs ingénieux pour voir sans être vu. Le peintre se camoufle et fabrique des affûts pour se cacher.
L'enfant chétif est, avec le temps, devenu un homme athlétique et un excellent gymnaste. Alors, il grimpe aux arbres, parfois à des hauteurs vertigineuses. Par exemple, pour surplomber le nid des balbuzards pêcheurs. Grâce au dessin, il capte ainsi l'attitude des oiseaux dans leur vie quotidienne. Il utilisera aussi beaucoup la photographie, une autre de ses passions.
Sandra Buratti-Hasan s'arrête devant un tableau étonnant : Nid d'autour des palombes, aussi dit Nid de faucon. Il date de 1886. On y voit deux rapaces venus nourrir leurs petits restés au nid. L'un d'eux crochète avec sa serre un lièvre qu'il vient de capturer.
"Ce qui est très intéressant", explique la commissaire, c'est qu'au centre de la toile, "on a un rapport très détaillé à l'animal, extrêmement précis et dessiné, et puis, au contraire, quand on part vers l'extérieur, on a un traitement un peu flou (…) Il y a la volonté de Liljefors de montrer le travail de l'œil humain qui s'attarde sur certains détails et qui voit moins bien ce qui est autour".
Pas de sensiblerie chez le Suédois qui chasse depuis l'enfance. Il montre les animaux tels qu'ils sont : des prédateurs qui tuent pour se nourrir. Un chat croque un oisillon. Un chien mord un renard ensanglanté à la gorge. Une attaque d'autour des palombes surprend des tétras-lyres. Son art s'inscrit dans le sillage des découvertes de Darwin. Comme les plantes, les oiseaux, les insectes, tous les animaux font partie d'un grand tout et du cycle de la vie. Les espèces sont le fruit d'une évolution et d'une adaptation permanente. Certaines ont, comme le peintre, acquis l'art du camouflage.
Elles se protègent en se fondant dans les couleurs de leur environnement. À ce titre, le tableau Lièvre variable, représenté sur l'affiche de l'exposition, fait figure de chef-d'œuvre. L'animal marche sur un manteau de neige. En arrière-plan, quelques buissons marquent les contrastes et donnent de la profondeur à la toile. Le pelage du lièvre est velouté et on jurerait entendre le crissement délicat de ses pattes sur la neige. Une pure merveille.
Le choix du roi
L'exposition présente également des tableaux comme on n'a pas l'habitude d'en voir, composés d'un grand cadre rassemblant plusieurs toiles de différentes tailles, un peu à la manière d'une planche de bande dessinée. La commissaire parle de "compositions narratives", une technique que l'on retrouve dans l'art japonais qui réunit plusieurs estampes et des cadrages très spéciaux. Elle explique que le sujet est parfois coupé "comme une invitation à entrer à l'intérieur de la composition pour mieux l'observer" et met l'accent sur un "traitement stylistique très empâté et expérimental au niveau des couleurs" en pointant par exemple la queue d'une pie faite d'un mélange de mauves et de verts qui "rendent tout à fait le caractère irisé du plumage".
Carl-Johan Olsson, conservateur des peintures du XIXe siècle au musée national de Stokholm et co-commissaire de l'exposition parisienne, semble lui-même surpris de voir tant de compositions réunies. Ce grand connaisseur de l'œuvre de Liljefors explique qu'il en reste peu car "il était tentant pour les propriétaires de les découper en morceaux" pour mieux les vendre à la pièce.
Il désigne du doigt l'un de ces tableaux composites qui réunit un renard et des oiseaux et nous explique qu'il fait partie de la collection personnelle du roi de Suède, le plus ancien souverain d'Europe. "Elle ne figure pas parmi les œuvres exposées dans les parties publiques du palais royal de Stockholm alors moi-même, je la vois pour la première fois. C'est vraiment étonnant !", s'exclame-t-il, totalement émerveillé.
Bruno Liljefors, "La Suède sauvage" du 1er octobre au 16 février 2025 - Petit Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris - petitpalais.paris.fr - Du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturnes les vendredis et samedis jusqu'à 20h. - Plein tarif à 12 euros et tarif réduit à 10 euros
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