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Le Caravage et sa bande sortent de l'ombre

A l'occasion d'une collaboration inédite, le musée Fabre, à Montpellier, et le musée des Augustins de Toulouse font toute la lumière sur le mauvais garçon de l'art italie qui séduisit des générations d'artistes.

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
"La Flagellation du Christ", Michelangelo Merisi dit Le Caravage (1571-1610). Vers 1606-1607, 1,34 x 1,75 m. (MUSÉES DE LA VILLE DE ROUEN)

C'est un peintre dont le palmarès artistique est aussi chargé que le casier judiciaire. Convaincu de vandalisme et de meurtre, condamné à l'exil, Le Caravage (1571-1610) meurt à 38 ans de la malaria. Mais ce débauché, amateur de vin, de femmes, d'un tempérament solitaire et qui n'a jamais voulu faire école a pourtant influencé des générations de peintres à Naples, en Espagne, aux Pays-Bas…

Les deux expositions présentées du 23 juin au 14 octobre à Montpellier ("Caravage et les caravagesques du Sud") et à Toulouse ("Le caravagisme du Nord") rendent compte de la formidable influence du mauvais garçon de la peinture italienne. Sur les 140 œuvres présentées, une dizaine de toiles seulement sont du Caravage. Mais qu'importe : ses suiveurs souvent brillants (Zurbaran, Georges de La Tour, Rembrandt) nous apprennent beaucoup sur ce qui fait la singularité du maître italien et rend sa peinture exceptionnelle.

"Jeune garçon mordu par un lézard", Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Vers 1594, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi, Florence. (FONDAZIONE ROBERTO LONGHI)

Dans cette petite œuvre de jeunesse, par exemple, Le Caravage emploie déjà les techniques qui deviendront ses marques de fabrique. Il y a d'abord le violent contraste entre l'ombre et la lumière, comme si le personnage était éclairé par un projecteur. Regardons mieux cette étrange figure à bouclettes… Un éphèbe aux traits délicats, à la bouche rouge et pulpeuse comme un fruit, une petite fleur dans les cheveux. Qui est donc cet androgyne des plus coquets ? L'artiste lui-même qui se met en scène en s’érotisant à l'extrême ! Cette toile est une allégorie : une image à portée philosophique. Ici, ce sont les pièges de la séduction qui sont représentés. Le garçon, attiré par la beauté des fleurs, a approché ses doigts pour les toucher… et s'est fait mordre par le lézard qu'elles cachaient. Le Caravage mélange donc les genres : allégorie et autoportrait, ce qui est peu courant.

Des contrastes brutaux

Ce qui frappe le plus dans le style du Caravage, c'est l'art du clair-obscur, c'est-à-dire la création d'un effet dramatique via un contraste fort entre des ombres très sombres et des parties claires lumineuses. Chez le peintre lombard, la lumière jaillit littéralement des ténèbres. Malin. Car souvent ses personnages se détachent parfaitement du fond monochrome : le décor ne vient plus divertir le regard et la lumière "sculpte" les corps.

Comment Le Caravage s'y prenait-il pour obtenir ces effets ? L'historien d'art Giovanni Pietro Bellori (1613-1696) expliquait que le peintre n'exposait pas ses modèles au grand jour : "Selon un système spécial qu’il avait mis au point, il les plaçait dans une pièce sombre et les exposait à une lumière haut placée." En d'autres termes, l'artiste peignait dans une cave éclairée par un soupirail !

Cette science du clair-obscur évoque au moins deux autres "princes de la nuit", également présentés dans les expositions. D'abord Rembrandt : le Néerlandais a pu s'inspirer du Caravage notamment grâce aux gravures des œuvres de l'Italien qui circulaient en Europe. Rembrandt, lui, ne travaille pas dans une cave, mais joue sur l'ouverture des volets de son atelier pour rendre les atmosphères de pénombre. En ressort une ambiance propice à la fantasmagorie, qui recouvre d'un voile mystérieux cet épisode biblique durant lequel Joseph, Marie et l'enfant Jésus fuient vers l'Egypte.

"La Fuite en Egypte", Rembrandt Van Rijn (Leyde, 1606–Amsterdam, 1669). Huile sur toile, 0,26 x 0,24 m, musée des Beaux-Arts de Tours. (MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE TOURS. PHOTO PATRICK BOYER)

Autre peintre sous influence : Georges de La Tour. Mais chez lui, pas d'effet dramatique. Dans la peinture du Lorrain, la lumière sert à la mise en scène du surnaturel ou du sacré. Observez comme ici les personnages semblent rayonner, être éclairés de l'intérieur… alors que c'est une bougie cachée derrière la main de la nourrice qui éclaire la scène.

"Le Nouveau-né", Georges de la Tour (1593-1652). Vers 1645, huile sur toile, 0,76 x 0,92 m, musée des Beaux-Arts de Rennes. (MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE RENNES / LOUIS DESCHAMPS)

Du sang et du sexe

Autre trait distinctif du bad boy italien : un goût pour la gaudriole et la violence… même et surtout s'il doit représenter des scènes sacrées ! Le Caravage n’a jamais caché son attrait pour les jeunes garçons. Dans cette toile religieuse, saint François ne tombe pas à genoux, mais dans les bras d’un angelot adorable. L’extase mystique se change en extase sexuelle. Il compte ainsi parmi les rares artistes de son siècle à confondre transport divin et jouissance terrestre.

 

"L'Extase de Saint-François", Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Vers 1595, 0,92 x 1,27 m, Wadsworth Atheneum Museum of Art d'Hartford. (PHOTO WADSWORTH ATHENEUM MUSEUM OF ART, HARTFORD, CT.)

Et quand il s’agit de violence, là encore, Le Caravage ne fait pas dans la demi-mesure. La toile ci-dessous aborde un thème maintes fois représenté : Dieu met la foi d’Abraham à l’épreuve en lui demandant de sacrifier son fils Isaac ; au dernier moment, un ange intervient pour le retenir. Le Caravage innove d’abord en traduisant de manière très réaliste la terreur d’Isaac. On pourrait presque entendre le pauvre garçon (le même modèle que celui d’un autre tableau) crier !

Autre nouveauté : l’ange n’intervient pas depuis le ciel, mais sur Terre. S’il n’y avait ses ailes, qu’on devine seulement en bout de tableau, il pourrait s’agir d’un simple passant torse nu. Observez la belle diagonale que forment les mains, presque alignées. Dans un ballet mouvementé d’un bel effet dramatique, l’une retient directement le couteau, tandis qu’une autre, celle du patriarche, soumet le fils d’un mouvement de pression particulièrement brutal.

 

"Le Sacrifice d’Isaac", Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Vers 1603, huile sur toile, Galerie des Offices de Florence. (SCALA, FLORENCE - COURTESY OF THE MINISTERO PER I BENI E LE ATTIVITÀ CULTURALI)

Des ivrognes changés en saints

Rien ne vous choque dans le tableau ci-dessous ? Le Christ est quasi nu (quelques centimètres de tissu en moins et Le Caravage frôlait le blasphème). Mais surtout, son corps n’est pas idéalisé. Ses muscles tendus, son visage grave sont très vraisemblables. C’est que le peintre s’inspirait d’êtres de chair et de sang pour réaliser ses toiles. Et où trouvait-il ses modèles pour peindre saints et saintes ? Dans les tavernes et les bordels ! Un ivrogne aux ongles noirs pose pour un saint Matthieu. Une courtisane prête ses traits à la Vierge.

 

"La Flagellation du Christ", Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Vers 1606-1607, 1,34 x 1,75 m, musée des Beaux-Arts de Rouen. (MUSÉES DE LA VILLE DE ROUEN)

Cette manière de réintégrer les "vrais gens" dans la peinture sacrée sera reprise à de nombreuses occasions. L’Espagnol Diego Vélasquez imaginera par exemple un apôtre… à moustache.

 

"L'Apôtre saint Thomas", Diego Vélasquez. Vers 1619, huile sur toile, 1,05 x 0,85 m. Musée des Beaux-Arts d'Orléans. (RMN / DROITS RÉSERVÉS)

 

Pratique :

"Corps et ombres. Caravage et le caravagisme européen"

du 23 juin au 14 octobre 2012 à Montpellier et Toulouse

• "Caravage et les caravagesques du Sud"

Musée Fabre

39, boulevard Bonne-Nouvelle 34000 Montpellier

9 euros / 7 euros (tarif réduit)

10 heures à 20 heures sauf les lundis en juin, juillet et août.
Exceptionnellement ouvert les lundis de 10 heures à 20 heures à partir de septembre.
Tél. : 04 67 14 83 00.

• "Le caravagisme du Nord"

Musée des Augustins

21, rue de Metz 31000 Toulouse

9 euros / 5 euros (tarif réduit)

Ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures. Nocturne jusqu’à 21 heures le mercredi.

Tél. : 05 61 22 21 82.

A noter : les visiteurs d'une des expositions bénéficient du tarif réduit pour l'autre exposition.

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