La Maison Rouge fait visiter Buenos Aires à travers ses artistes
A l'entrée, la vidéo des méandres d'une route qui pénètre dans la ville sans but précis, fait l'effet d'une annonce : on connaît le nom de la ville mais on ne sait pas où on va, on pourrait se perdre. Ce n'est pas la première ville que La Maison Rouge tente de saisir à travers ses artistes. Après Winnipeg au Canada en 2011, Johannesburg, capitale de l'Afrique du Sud en 2013, vient Buenos Aires.
Depuis Paris, c'est surtout le cliché du tango et du football qui nous parvient. Il n'en sera que très peu question. La capitale argentine a vécu plusieurs crises économiques et politiques, le religieux y est extrêmement présent, l'exposition le rappelle.
Les maisons dans la ville
Les soixante-cinq artistes exposés sont argentins, ils ont habité dans cette métropole que l'exposition célèbre. C'est peut-être ce qui rend le thème de la maison si fort, un pan entier de l'exposition y est consacré, mais il en déborde.Il y a des maisons où l'on habite en tâchant d'en dissimuler l'intimité : Tomás Espina et Martín Cordiano ont littéralement recomposé une pièce. On s'y introduit comme on entre chez quelqu'un, il reste un peu de bazar. Tout semble normal mais à y regarder de plus près, les meubles, la vaisselle, les affiches ont été brisés, déchirés et minutieusement reconstruits, comme pour effacer les traces d'une tragédie.
Il y aussi les maisons où, voyeur malgré nous, on s'immisce. Ainsi Marisa Rubio qui surprend à la dérobée l'intimité de personnes qu'elle filme sans qu'ils le sachent. Ou les images d'Ernesto Ballesteros sur les intérieurs d'un immeuble aperçu par ses fenêtres.
Maisons suggérées
Restent les maisons qui n'existent pas, que les artistes suggèrent. Pour en montrer la précarité, chez Ana Gallardo, qui à force de déménagements a construit une caravane pour ses meubles qu'elle tracte à vélo. Son équipage rappelle celui des "cartoneros", emblèmes visibles des inégalités en Argentine, qui trimballent des cartons trouvés dans des poubelles pour les faire recycler contre quelques pesos.Un ventilateur seul peut aussi suggérer l'inconfort d'un intérieur. Celui de Jorge Macchi, habilement mal construit, se heurte au plâtre des parois et les détruit. Sans livrer vraiment les clés de sa lecture, il laisse une image forte, un peu violente, d'une organisation chaotique.
Derrière une vitrine, des objets de cuisine installés par Léon Ferrari, sont envahis d'un catholicisme kitsch : figurines en plastique du christ crucifié jaillissant d'un grille-pain ou personnages de saints prêts à fricasser dans une poêle (cette dernière œuvre étant intitulée "l'enfer"). Leur geste de prières semblent implorer le pardon qu'on leur réclame si souvent. Dans un pays où des crimes ont été commis par une junte militaire étroitement liée à l'Eglise, cette installation dégage une ironie particulièrement sombre. Les séquelles de la dictature sont bien présentes.
On avance dans un aspect de la ville de plus en plus sombre, inquiétant. Cette flamme en néon –où est-ce un oiseau ? – qui transporte une "momie noire" de l'artiste Nicanor Araoz, va-t-elle le jeter au sol, comme le faisaient les militaires des années 70 qui lâchaient par avion les opposants vivants dans le Rio de la Plata ? A moins qu'elle ne le sauve, qu'elle ne l'emmène vers le ciel.
Il reste de la visite un goût étrange, tant les œuvres diffèrent. Ce sont les hasards d'une ville qui veulent cela, peut-être plus encore Buenos Aires, dont on découvre en une heure environ, ce qui la tiraille, ce qu'elle a de tumultueux, d'amusant et de sombre. Quand on connaît la ville, on ne peut s'empêcher des rapprochements avec des situations connues. Quand on ne la connaît pas, on la devine.
My Buenos Aires, portrait d'une ville à La Maison Rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris.
Du mercredi au dimanche de 11h à 19h. Nocturne le jeudi jusqu'à 21h. Jusqu'au 20 septembre 2015
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