"De nouvelles pratiques virtuelles menacent notre profession" : trois questions à Pascale Nicolas, modèle vivant
Depuis 400 ans, les modèles vivants évoluent dans l'ombre des écoles d'art, indispensables dans l'enseignement de l'anatomie artistique. Pourtant, ils ne bénéficient toujours d'aucun statut propre et dépendent entièrement d'employeurs pas toujours scrupuleux.
Pendant le confinement et au-delà, plusieurs écoles d'art privées ont instauré des cours de nu académique à distance via des captations vidéo. Pourtant, nu académique et visioconférence seraient antinomiques : le métier, impossible à remplacer par une image en 2D, requerrait la présence des modèles devant les étudiants. Par ailleurs, la digitalisation et la diffusion des poses sur le web présenteraient un risque important pour les professionnels. Certains d'entre eux ont ainsi déjà été victimes de piratages et les vidéos détournées ont été postées sur des sites pornographiques.
La branche des personnels de la formation privée du syndicat CGT a organisé une conférence de presse ce 22 octobre pour dénoncer les abus commis en temps de crise sanitaire et réclamer la création d'un statut propre à ce métier souvent précaire. Modèle vivant, Pascale Nicolas accompagne l'enseignement artistique depuis de nombreuses années. Elle aussi préconise un encadrement législatif plus strict du métier et s'insurge de cette nouvelle pratique virtuelle, aussi dangereuse qu'incompatible avec les exigences de la profession.
Publiée par SNPEFP-CGT sur Mardi 20 octobre 2020
Franceinfo Culture : Vous êtes modèle vivant. Que s'est-il passé pour votre profession pendant le confinement ?
Pascale Nicolas : Les séances de pose ont bien évidemment été suspendues et nous devions bénéficier du chômage partiel, comme tous les salariés. La plupart des écoles ont fait le nécessaire, mais d'autres ont proposé aux modèles des séances vidéos en ligne, de façon à ce qu'ils continuent de percevoir une rémunération. La plupart des modèles ont refusé - d'autant que les modèles vivants posent souvent nus. Mais certains, dans une grande précarité financière, ont accepté. A partir du moment où les écoles concernées garantissaient que les prises de vue ne seraient pas piratées. Sauf que l'employeur ne peut pas en être garant. Des captations ont de fait été détournées et mises en ligne sur des sites à caractère pornographique. Certains modèles ne l'ont découvert que récemment.
Après le confinement, certaines écoles d'art ont continué les séances de pose en distanciel. Elles sont allées jusqu'à faire chanter les modèles : s'ils refusaient, ils n'étaient tout simplement pas repris. Ces écoles ont mis en place une forme de discrimination à l'embauche. Nous avons même en notre possession une lettre du directeur d'un établissement, dans laquelle il s'engage à cesser la mise en place de séances de vidéo à distance par respect pour les modèles. Visiblement, il a menti. Le grand danger, c'est que ces établissements peu scrupuleux abusent de leur autorité et continuent à se faire de l'argent sur le dos des modèles. Toute une profession est prise en otage. Modèle, c'est une discipline, mais c'est aussi et surtout une personne qui pose. Elle a le droit au respect de son intégrité.
Toute une profession est prise en otage.
Pascale Nicolasà franceinfo Culture
En quoi la captation vidéo des séances de pose constitue-t-elle un danger pour la profession ?
C'est de la tromperie : c'est du virtuel, de la 2D, pas du modèle vivant en 3D, qui ne peut se faire qu'en présentiel. Je m'étonne que des étudiants soient prêts à payer des frais de scolarité allant de 8 000 à 10 000 euros par an, sur cinq ans, pour une matière qui ne sera pas enseignée. Les écoles concernées ont pour certaines plus d'un siècle d'existence et ont revendiqué l'utilisation de modèles vivants. Pourtant, elles salissent aujourd'hui notre métier. Je refuse de cautionner ce simulacre d'enseignement, qui tire vers le bas une matière de qualité. D'autre part, les vidéos peuvent être retransmises dans le monde entier et les modèles restent payés sur le principe du dessin, non de la vidéo ou de la photo. Souvent à l'heure, sans prise en compte de leur ancienneté. Leur salaire ne correspond donc pas à cette nouvelle forme d'activité.
Une conférence de presse du SNPEFP-CGT (syndicat des personnels de l’enseignement et de la formation privés) a eu lieu pour revenir sur votre statut. Quelles sont vos revendications ?
Nous réclamons, et cela me paraît légitime, un encadrement législatif de ce métier auquel les pouvoirs politiques n'accordent aucune valeur. C'est en 1648, à l'Académie royale de peinture et de sculpture (ancien nom de l'Académie des Beaux-Arts, ndlr) que les premiers modèles vivants ont été utilisés dans l'enseignement morphologique. Le métier n'est toujours pas encadré par la loi après quatre siècles d'existence. Les modèles ont bien une classification dans l’enseignement supérieur privé : techniciens de pose. Mais ils n'ont pas de statut propre. Et ils sont aujourd'hui mis en pâture au sein d'écoles qui ne les respectent pas, qui les utilisent comme des objets et qui détournent leur fonction. Cette surexposition du nu et la digitalisation des poses est un non-respect total de la déontologie du métier.
Les modèles vivants sont mis en pâture au sein d'écoles qui ne les respectent pas.
Pascale Nicolasà franceinfo Culture
Nous ne sommes ni des objets, ni des mannequins. Nous sommes rattachés à l'enseignement et souhaitons qu'un statut spécifique à la profession soit mis en place. Le modèle vivant est enseigné, au 21e siècle, dans tous les métiers liés au design, au numérique et à l'art : cinéma d'animation, jeux vidéo, arts plastiques, etc. Il reste la base de l'enseignement par le corps, de l'anatomie artistique et de la morphologie dans de nombreux domaines. Si ce métier disparaît, c'est la fin de beaucoup de disciplines... Il serait temps que les modèles soient reconnus à leur juste valeur.
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