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Avez vous vu "les parents d’Einstein juste après la conception du génie" ?

Venise vit actuellement sa 55e Biennale d'art contemporain. Un rendez-vous exceptionnel, peu avare de surprises et de provocations, qu'Hervé Brusini nous fait découvrir.
Article rédigé par franceinfo - Hervé Brusini
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Publié Mis à jour
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  (Ottavia Da Re/Sintesi/SIPA)

C’est juste un crachin d’automne. Rien de grave. A Venise, les vendeurs de parapluie sont à votre entière disposition dès la première goutte. Alors, pas d’inquiétude, prenez la file d’attente. Vous êtes au bon endroit, devant les caisses installées dans des préfabriqués peints en rouge. Le billet spécial 2 jours pour la biennale est à 35 euros. Bravo, vous venez de vous offrir un tour de ce que le monde de la création comporte de plus stupéfiant, incongru, waouh, WTF, accablant… bref, de l’art moderne.

Vous faites vos premiers pas dans les « Giardini » situés à l’extrémité de la cité des doges, le quartier Castello . C’est le lieu le plus important de cette expo-recherche comme l’intitulent eux mêmes les concepteurs de la 55e édition de la biennale, baptisée « il palazzo enciclopedico ». Tiens, vous êtes entrés par hasard dans une petite maison sur la gauche, et vous voilà tout surpris d’être accueillis par quelques monticules de matériaux dans un décor blanc: un tas de verre pillé, un autre de cailloux, un troisième de sable. L‘œuvre de Lara Almercegui. Une artiste espagnole qui travaille sur la régénération et la décadence, dit la brochure de la manifestation.

 
Quelque peu déconvenus, vous quittez la maison « Espagne ». Car il est ainsi à la biennale, dans les jardins vous allez déambuler à travers de multiples petits édifices nationaux construits par quelques dizaines de pays depuis les années 1900. À l’exception du pavillon central, où justement, vous pénétrez. Le bâtiment est considérable, près d’une trentaine d’artistes y sont exposés. Vidéos, photos, peintures, performances, tout un monde créatif là sous vos yeux. En fait pas vraiment, disons plutôt « des » mondes de créateurs aux fortunes diverses. Ainsi les poupées de l’américain Morton Bartlett. C’est à sa mort que l’on découvrit son étrange collection. Des figurines à la troublante précision anatomique et vestimentaire. Un univers intime, longtemps resté inconnu de tous les proches de l’artiste. « Était-ce une famille imaginaire inventée par cet homme traumatisé dès son enfance par un vide familial ? » se hasarde le guide de l’expo.

Et James Castle, le fabriquant génial d’animaux en papier ? Même précision obsessionnelle d’un créateur né sourd, à la vie recluse, fils d’un couple de postiers. Et pourtant inventeur d’un naturalisme pliable. Et regardez. Les bois sculptés du japonais Shinichi Sawada - bestiaire, démons, totems - sont l’œuvre d’un autiste qui ne s’exprime que par la fabrication méthodique de cette mythologie personnelle.
 
Venise a décidé d’ouvrir ses galeries à ceux qui ne portent pas l’estampille officielle de l’art. Venise organise une confrontation entre vous et eux. Jusqu’à en rire aux éclats parfois. Vous souriez devant cette sculpture en argile censée représenter « les parents d’Einstein en repos postcoïtal juste après avoir conçu le génie ». Et vous avez raison. Peter Fischli et David Weiss ont disposé là 150 scènes hilarantes qui vont d’un sympathique hippopotame à la « promenade de Mick Jagger avec Brian Eno après l’enregistrement de I can’t get now », ou encore à ce « Chez le dentiste » qui fait mal aux dents rien qu’en le voyant.
 
Au gré de vos pas et des averses, vous parcourez les productions artistiques égyptiennes (forme épurée d’un derviche tourneur), russes (avec ce jeune homme juché sur une poutre et mangeur de cacahuètes), ou… françaises.
 
En fait, c’est dans le pavillon allemand que la France a trouvé refuge. Elle y affiche un travail vidéo sur le concerto pour la main gauche de Ravel. Décidément vous êtes en forme.

A quelques centaines de mètres vous gagnez « l’arsenale ». Une ville dans la ville. 3000 personnes travaillaient ici à l’époque flamboyante de la sérénissime. On pouvait y construire un bateau par jour, de quoi assurer la prépondérance de la flotte vénitienne. Aujourd’hui, l’art s’y donne en spectacle. On reste stupéfait devant la sculpture d’un nu réalisé par John DeAndrea. L’hyper-réalisme de cet américain est poussé à son paroxysme. Comme tout le monde, vous tournez autour de ce corps avec la secrète envie de toucher pour vérifier si c’est humain ou pas. 
 
Même trouble un peu plus loin avec cette œuvre d’un autre américain, Duane Hanson. Cette fois la femme est habillée – blouse, pantalon et chapeau -, avec une certaine surcharge pondérale. Effet garanti d’une vision de l’Amérique moyenne à travers ce personnage de résine.
 
La fatigue se fait sentir, voilà des heures que vous marchez, le souffle court, trop d’angoisses, d’élans et de fulgurances. Jusqu’à cette rencontre avec des habitants du lieu. C’est un polonais Pawel Althamer qui représente en plastique les gens d’ici, l’œuvre date de 2013 et s’intitule précisément les « Vénitiens ».
 
Ces sortes de momies modernes aux yeux clos, interrogent le visiteur fourbu que vous êtes. Pour un peu vous aussi vous seriez tenté de vous arrêter pour ne plus faire qu’un avec les piliers de cet endroit magique, pour vous fondre avec Venise et son encyclopédie (vous avez jusqu'au 24 novembre date de la fermeture pour vous décider !).

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