L'artiste Carmen Mariscal nous parle de la deuxième vie de son oeuvre "Chez nous", devenue un symbole du confinement
Symbole des contradictions du foyer, l'oeuvre de Carmen Mariscal est devenue celle du confinement.
"Chez nous", ces deux mots résument bien la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est aussi le titre d'une maison couverte de cadenas qui a été posée place du Palais-Royal juste avant le confinement et qui pourrait en être devenue la métaphore. Nous avions rencontré (en vrai) la créatrice de l'oeuvre, Carmen Mariscal au temps d'avant. Nous lui avons reparlé (au téléphone). Elle évoque pour nous la deuxième vie de son installation.
Le jeudi 12 mars, son œuvre était installée place du Palais-Royal à Paris. Une maison de trois mètres de haut, complètement fermée et couverte de morceaux des grilles du pont de l'Archevêché sur lesquelles des touristes avaient accroché, serré, des cadenas pour sceller leur amour. Avec cette sculpture dressée dans l'espace public, Carmen Mariscal entendait au départ interroger les contradictions de l'amour et du foyer, à la fois lieu sûr et lieu d'enfermement, ainsi que le charme et la violence que peut symboliser cet objet accroché sur les ponts.
Cinq jours plus tard, la population entière, en France comme à l'étranger, était mise en confinement pour tenter de stopper la pandémie de coronavirus. Et cette œuvre, qui s'appelle Chez nous, prend une dimension symbolique inattendue alors qu'on est tous bloqués à la maison depuis un mois et demi.
"La lecture de l'oeuvre ne nous appartient pas"
"Il y a des gens qui me disent : 'Ah c'est bien, vous avez fait ça pour commémorer le confinement'", raconte Carmen Mariscal. "Mais non, l'oeuvre m'a pris six ans à réaliser", s'amuse l'artiste, qui n'a plus vu son installation depuis le 16 mars.
Confinée chez elles, elle est confrontée à la dimension nouvelle qu'a pris sa petite maison d'acier couverte de cadenas, elle admet que ça lui échappe complètement : "C'est comme ça, l'art. On crée quelque chose et puis c'est lu d'une façon différente. La lecture de l'oeuvre ne nous appartient pas. On la crée avec une intention et sa perception change selon le contexte historique."
Chez nous a été installée en plein cœur de Paris, sur une place où des foules de gens auraient dû la voir. Carmen Mariscal se réjouissait qu'elle soit découverte par des centaines de milliers de touristes qui vont au Louvre, par les milliers de travailleurs et de promeneurs parisiens. L'oeuvre se tient aujourd'hui isolée dans une ville déserte, et seuls peuvent l'admirer les habitants (peu nombreux) du quartier qui vont faire leurs courses ou leur promenade autorisée d'une heure.
L'oeuvre s'est mise à vivre d'une autre façon
Pourtant l'oeuvre s'est mise à vivre d'un autre façon, constate-t-elle, se posant la question sur ce qu'il advient de l'espace public, devenu virtuel : "C'est fantastique ce qui se passe avec Instagram et les réseaux sociaux : les gens qui habitent à côté postent, je leur écris, ils me répondent et ainsi des dialogues se sont créés." L'adresse de son site web était inscrite sur la colonne d'information posée à côté de l'oeuvre. Sur ce site, les passants ont trouvé son adresse mail, et ils lui écrivent. C'est ainsi qu'elle a vu à quel point la petite maison hermétiquement fermée était devenue un symbole du confinement.
Une des questions que posait Chez nous reste pourtant d'une triste actualité, renforcée par l'enfermement général. C'est celle des violences domestiques. "Quand ils ont annoncé le confinement, je me suis dit que ça allait être encore plus catastrophique pour toutes ces femmes et ces enfants qui sont enfermés avec leurs bourreaux", dit Carmen Mariscal. Deux associations avec lesquelles elle travaille, une au Mexique et l'autre en France, lui confirment qu'elles n'auront pas la place pour accueillir toutes les victimes à la levée du confinement.
"Cette 'maison' me permet de parler de cette question, d'en faire prendre conscience et de donner une visibilité à ces associations. Pour moi c'était très important dès le début et ça a encore plus d'importance aujourd'hui." Elle lance une campagne d'appel aux dons pour soutenir ces deux associations, Aurore et Espacio Mujeres.
La création au temps du confinement
Et la création, au temps du confinement, c'est comment ? "Je vais bien", confie Carmen Mariscal : "J'ai l'habitude de travailler seule à la maison. Pour un artiste c'est comme un cadeau d'avoir une sorte de retraite pour pouvoir créer sans distraction, mais je le vis plutôt comme une période de gestation de futures œuvres. Au début je me disais je vais faire ça, ça, ça, des dessins, de nouvelles photos, des petites pièces. Et puis j'ai pensé qu'il ne fallait pas forcer, que c'était une période plutôt de réflexion, pour nourrir la création des œuvres qui verraient le jour un autre jour. Je lis beaucoup, je dessine, j'écris."
Carmen Mariscal veut avoir espoir en l'humanité, surtout pour les jeunes : "C'est intéressant de voir ce que les autres font : au début j'étais très inquiète comme tout le monde, et puis j'ai décidé de me concentrer sur ce que les gens font de bien. Je vois qu'il y en a qui donnent tout leur temps, les soignants, les employés des supermarchés, ce sont de beaux exemples de courage et de solidarité."
Chez nous devait être retirée de la place du Palais-Royal le 28 avril. Sa créatrice a obtenu qu'elle reste jusqu'à début juin et espère qu'elle pourra y être encore quelques semaines de plus. On pourra la voir à la levée du confinement. "J'ai beaucoup de chance parce que c'est une pièce qui est dans l'espace public. La place est tellement grande qu'il n'y a pas de risque qu'on dise que les gens sont côte à côte." Les grilles avec les cadenas appartiennent à la Ville de Paris et l'oeuvre pourrait être détruite. Mais l'artiste aimerait qu'elle soit conservée. Pas pour devenir un monument du confinement mais en hommage à tous les gens qui travaillent, les bénévoles des associations et les personnels soignants.
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