A Marseille, le Mucem collecte les objets du confinement pour témoigner du quotidien en ce temps de pandémie
Il n'y a pas que des chefs-d'oeuvre au Mucem. Le musée marseillais construit aussi ses collections à partir du terrain. Il a réuni 171 objets du confinement, pour analyser la vie quotidienne de cette période particulière.
"Je dois rester à la maison... Je dois rester à la maison..." : les lignes défilent, sur une cinquantaine de copies doubles d'écolier conservées à Marseille, où le Mucem a lancé une collecte autour de la mémoire du confinement dû au Covid-19.
Comme cette quinquagénaire parisienne, plus de 600 personnes ont répondu à l'enquête lancée par le musée marseillais en avril, en France surtout, mais aussi en Espagne et jusqu'en Amérique du Sud et en Chine : "Quel objet incarne votre quotidien confiné ?"
Prototype de machine à désinfecter les masques, jeu de backgammon fait maison, à partir d'une planche à pain, journal intime construit avec des coupures de journaux, oeuvres d'art inspirées du quotidien : au total, 171 objets "physiques" ont été récupérés par Aude Fanlo, la responsable du département recherche du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, et l'ensemble de l'équipe scientifique.
Les collections du Mucem se construisent aussi à partir du terrain
"Nous sommes un espace du quotidien, du populaire", explique-t-elle à l'AFP, en rappelant que le Mucem est l'héritier du Musée des arts et traditions populaires de Paris, dont il a pris la succession à son ouverture en 2013 : "Nos collections se construisent aussi à partir du terrain, il n'y a pas que des chefs-d'oeuvre. Nous poursuivons cette méthode ADN qui est celle des musées de société."
Pour l'instant stockée dans les réserves du musée, à la Belle de Mai, cette mémoire du confinement n'a pas encore le statut de collection. Pour acquérir ce label, ces objets vont devoir passer devant le comité des collections, puis la commission d'acquisition. Ce n'est qu'ensuite, après avoir franchi ces étapes, que certains d'entre eux feront officiellement partie du Mucem : "Ils seront inaliénables, de façon imprescriptible, comme la Joconde", sourit Aude Fanlo.
En attendant, tout ce matériau collecté va être "interrogé" par Simon Leroulley, docteur en sociologie de l'université de Caen, recruté pour deux ans par le Mucem dans le cadre d'un contrat post-doctorat : "L'objectif final, à partir de ces objets, est de produire une analyse socio-anthropologique de la vie quotidienne en temps de confinement."
Des photographies de la société française
Chez certains confinés, ces moments de solitude forcée ont donné naissance à des "amis imaginaires", comme cet "homme au cigare" qui a accompagné Cathy et Christian : le cigare est un tube en carton, glissé sous la lunette des WC qui fait office de bouche, et les yeux sont deux rouleaux de papiers toilette...
Système de drapeaux de couleur pour communiquer avec ses voisins, actes d'autopunition, comme ces lignes d'écriture dignes d'un écolier puni par son professeur, ritualisation du quotidien, avec des calendriers barrés "comme des journaux de chimiothérapie" : "Avec ces enquêtes-collectes, nous cherchons à prendre des photographies de la société française", explique Aude Fanlo.
"Tags et grafs", "histoire sociale du sida", "écritures murales en espace carcéral", "économie du recyclage et des déchets" : régulièrement le Mucem cherche à ausculter l'époque contemporaine. Avec ces recherches autour du confinement, une éventuelle exposition reste encore un horizon lointain. Il va d'abord falloir "élargir la sociologie de cette collecte, vers les catégories populaires et vulnérables", insiste Simon Leroulley, spécialiste des mouvements sociaux urbains.
Dans les quartiers nord, "pour certains on touchait à la survie"
Lancée par le musée via ses divers comptes sur les réseaux sociaux, cette enquête-collecte a pour l'instant touché un public plutôt privilégié et cultivé. D'où le choix du sociologue de faire appel aux militants du "McDo" de Saint-Barthélémy, cet ancien fast-food aujourd'hui reconverti en plateforme alimentaire, dans les quartiers déshérités du nord de Marseille.
Grâce à ces "experts improvisés", Simon Leroulley veut montrer combien le confinement est vécu différemment dans ces quartiers : "Là, les objets qui incarnaient le confinement, c'étaient plutôt les couches pour enfants, ou les produits d'hygiène féminine de base. Pour certains, on touchait à la survie."
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