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Portrait Coupe du monde 2022 : Stéphanie Frappart, la pionnière de l'arbitrage féminin

A 38 ans, la Française va devenir la première femme à arbitrer lors d’une Coupe du monde masculine et ainsi briser un énième plafond de verre.

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Stéphanie Frappart entre Luka Modric et Joe Hart lors d'un match de Ligue des champions entre le Real Madrid et le Celtic Glasgow à Santiago Bernabéu, le 2 novembre 2022. (BURAK AKBULUT / ANADOLU AGENCY)

A jamais la première. Sa présence à la Coupe du monde (20 novembre-18 décembre) était assurée depuis plusieurs mois mais Stéphanie Frappart, que nous avons rencontrée peu avant son départ pour le Qatar, avait encore un doute. Deviendrait-elle la toute première femme à arbitrer un match lors d’un Mondial masculin ? La bonne nouvelle est tombée mardi 29 novembre : la Française de 38 ans dirigera la rencontre du troisième tour de la phase de groupes entre l'Allemagne et le Costa Rica. Elle a ainsi devancé deux autres arbitres, Salima Mukansanga et Yoshimi Yamashita, également présentes au Qatar, ainsi que trois assistantes Karen Diaz Medina, Neuza Back et Kathryn Nesbitt.

Il s'agit d'une étape de plus dans la carrière de la Francilienne, qui confirme ainsi son statut de pionnière dans l’arbitrage féminin. Première arbitre féminine à officier en Ligue 2 (2014), en Ligue 1 (2019), en Supercoupe de l’UEFA (2019), en Ligue des champions (2020), en Ligue Europa (2020) et lors d’une rencontre internationale masculine avec la Ligue des nations (2020), Stéphanie Frappart a toujours été en avance. Mais en dépit de ce parcours, et malgré la finale de la Coupe du monde féminine dirigée en 2019, elle n’envisageait pas d’être présente au Qatar : "Je ne m’étais pas mis comme objectif primordial d’être à la Coupe du monde. Ça a été une surprise et je suis très honorée d’y participer." Comme les 36 arbitres de champ, les 69 assistants et les 24 chargés du VAR, la Française a rejoint Doha le 9 novembre. 

"Une grande bosseuse" 

Lorsqu’elle débute l’arbitrage en 1996, à l’âge de 13 ans en dirigeant des matchs d’enfants, cette issue semble inimaginable. Une femme arbitre au centre lors d’un match masculin, le football n’y est pas encore prêt. Mais la jeune Frappart, qui apprend le métier sur les pelouses d’Île-de-France, cultive son rêve en observant Corinne Lagrange, Ghislaine Perron-Labbé et Nelly Viennot.

Les trois parviennent à atteindre la Ligue 1, mais comme arbitres assistantes. "Nos parcours l’avaient intéressée et inspirée. Mais elle voulait faire mieux en étant arbitre central. Elle avait des ambitions", se souvient Nelly Viennot, qui a rencontré Stéphanie Frappart lors d’un stage féminin de la Fédération française de football (FFF) il y a une quinzaine d’années. Doucement, au milieu des nombreuses remarques sexistes d’un milieu masculiniste, l'arbitre gravit les échelons.

Jusqu’à atteindre la consécration, avec un premier match arbitré en Ligue 1 le 28 avril 2019, entre Amiens et Strasbourg. "Elle a réussi parce qu’elle est déterminée. C’est une grande bosseuse, qui a beaucoup travaillé physiquement, assure Nelly Viennot. Elle a aussi énormément travaillé son anglais, qui était précaire au début." À force d’efforts et de pratique, Stéphanie Frappart réussit les tests physiques et théoriques, préalables nécessaires pour arbitrer au plus haut niveau.

Un modèle par l'exemple

Mais pour s’y imposer et y rester, la jeune arbitre, de nature discrète, a également dû travailler sa communication. "Stéphanie n’a pas la carrure physique d’un homme, mais elle a de la stature. Et puis elle est très ouverte, très humaine. Cette stature et ce caractère lui permettent de communiquer plus facilement avec les joueurs", analyse Nelly Viennot. 

Désormais, la native de Plessis-Bouchard (Val d’Oise), qui compte 174 matchs professionnels masculins arbitrés, officie souvent sur des chocs du championnat. Mais elle reste un cache-misère pour l’arbitrage féminin des compétitions masculines en France. Car derrière elle, aucune autre femme n’évolue en Ligue 1 ou en Ligue 2. Lui incombe presque tout naturellement un rôle, celui de tirer l'arbitrage vers le haut. "Je ne suis pas la porte-parole du féminisme. Je ne veux pas qu’on me stigmatise par rapport à un genre mais par rapport à ce que je fais sur le terrain", rétorque-t-elle.

Aux questions sur le Qatar, elle répond qu'elle y a "toujours bien été accueillie" et que "c’est un signe fort de la part de la FIFA de mettre des femmes arbitres dans ce pays-là". Stéphanie Frappart revendique davantage un rôle discret, celui de modèle par l’exemple. "On dit que le sport n’est pas politisé, mais je sais qu’on joue un rôle. Si notre présence peut faire avancer les choses, c’est très bien."

Une inspiration également à l'étranger

En atteignant le plus haut niveau en France comme sur la scène internationale, Stéphanie Frappart a contribué à faire bouger les lignes. "Que Stéphanie en soit là où elle en est et que des femmes arbitrent une Coupe du monde, c’est exceptionnel", affirme Cyril Gringore, arbitre assistant qui va disputer sa dernière compétition au Qatar, et qui a vu des arbitres féminines arriver petit à petit dans le football masculin.

"C’est un changement qui a bousculé les consciences au début. Mais c’est désormais ancré et c’est tant mieux", se réjouit Benoît Millot, qui sera à la VAR pendant le Mondial. Le changement n’a pas lieu qu’en France. À l’étranger aussi, Frappart inspire et crée des vocations. "J’étais à un tournoi de U17 en Lettonie récemment et j’ai croisé des jeunes arbitres dont l’idole était Stéphanie. Toutes ces jeunes filles veulent être la future Stéphanie Frappart", se réjouit Nelly Viennot.

Stéphanie Frappart pose avec sa médaille de la finale de la Coupe du monde féminine à Lyon, le 7 juillet 2019 (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Avant de partir à la Coupe du monde, compétition pour laquelle elle s'est préparée depuis plusieurs mois avec un préparateur physique, Stéphanie Frappart n'en avait pas oublié pour autant son implication au niveau fédéral, entre visioconférences et stages avec la section féminine de l’arbitrage de la FFF.

À la question de savoir ce que serait une Coupe du monde réussie pour elle, la Française répondait sans détour : "Ça serait une Coupe du monde où on ne parle pas d’arbitrage. Ou si l'on en parle, de manière positive." Comme pour évoquer, par exemple, la première de Stéphanie Frappart au sifflet d’un match du Mondial.

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