Football : l'organisation de la Coupe du monde 2030 sur trois continents est "une gabegie écologique" et en "déphasage avec les enjeux de société" actuels

L'annonce de la Fifa, mercredi, de vouloir organiser une Coupe du monde sur trois continents en 2030 a surpris le milieu du sport et intervient dans un contexte où les effets du changement climatique n'ont jamais été tant visibles.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Vue du siège de la Confédération sud-américaine de football (Conmebol), décoré de lumières annonçant l'organisation de la Coupe du monde 2030 dans six pays, l'Espagne, le Portugal, le Maroc ainsi qu'en Uruguay, Paraguay et Argentine à Luque, au Paraguay, le 5 octobre 2023, (NORBERTO DUARTE / AFP)

Après une dernière édition au Qatar et une prochaine sur un continent entier (Etats-unis, Mexique, Canada en 2026), la Fifa est allée encore plus loin dans sa volonté de co-organisation. L'instance internationale a annoncé mercredi 4 octobre que la Coupe du monde 2030 serait organisée en Espagne, Portugal et au Maroc, avec également trois matchs joués en Uruguay, au Paraguay et en Argentine, soit dans six pays, et trois continents. 

Une décision inédite, plus politique qu'écologique. "On est dans une croissance à l'heure actuelle qui est totalement en déphasage avec les enjeux de société, notamment avec les enjeux climatiques et environnementaux", se désole Antoine Miche, fondateur et directeur général de Football Ecologie France. "C'est une gabegie écologique, réagit quant à lui Aurélien François, enseignant chercheur à l'université de Rouen (Seine-Maritime) et auteur de l'ouvrage De la responsabilité à l'utilité sociale du sport : un secteur au défi de changements sociétaux (édition L'Harmattan). La co-organisation est bien du point de vue économique pour faire supporter les charges sur plusieurs pays, le problème est que les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas de frontières."

"Une victoire de la politique" sur l'écologie

S'il s'agit là d'une pré-désignation, il paraît peu probable que la Fifa change son fusil d'épaule. "C'est une victoire de la politique et de l'économie face à des questions sociétales, qui encore une fois malheureusement sont reléguées au second plan. C'est une décision afin de ne pas froisser les candidats en lice", regrette Aurélien François.

Cette annonce a largement surpris dans le milieu du sport. "À un moment donné, nous jouerons sur l'Everest parce que nous pourrons y créer un terrain de jeu et le commercialiser. La période où un ou deux pays pouvaient se réjouir d'organiser une Coupe du monde a été très bonne. C'était facile à organiser et il y avait des trajets courts, ce qui n'arrivera probablement plus, ce qui est dommage, voire stupide", s'est exprimé Marco Rose, l'entraîneur du Leipzig, en conférence de presse mercredi, après leur défaite (1-3) face à Manchester City en Ligue des champions."C'est totalement incohérent, tranche Antoine Miche, de Football Ecologie France. On va multiplier les voyages en avion, notamment pour les supporters et les équipes." 

"On sait que l'empreinte carbone d'un tel événement est due à 80% aux transports, notamment à l'avion. Forcément sur trois continents, cela va les multiplier d'autant plus, avec forcément une explosion des émissions de gaz à effet de serre."

Antoine Miche, fondateur et directeur général de Football Ecologie France 

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L'annonce surprend d'autant plus Antoine Miche alors que les réflexions actuelles portent davantage sur la "réduction de la fréquence des compétitions, notamment internationales, pour les passer à cinq ans au lieu quatre ans", ou encore de "réduire le nombre d'équipes qui participent""Je pensais vraiment qu'il y aurait, non pas un demi-tour, mais au moins un frein [à cette candidature], regrette Aurélien François, enseignant chercheur à l'université de Rouen. Car le CIO s'est réuni récemment pour notamment réfléchir à la question des pays hôtes capables d'accueillir les Jeux d'hiver, en se basant sur des conditions d'enneigement et des températures vérifiées en dessous de zéro pendant dix ans, et qui permettraient l'attribution des prochaines villes hôtes des JO. Je pensais ainsi que les grandes instances allaient suivre cette tendance, ou au moins y réfléchir, mais le fait est que non."

Question de l'eau et de création de stades

Si seulement trois matchs seront joués en Amérique du sud, ainsi que la tenue de la cérémonie d'ouverture en Uruguay pour célébrer les 100 ans de la première Coupe du monde de football en 1930 dans ce pays, cela représente tout de même le déplacement de nombreuses équipes et staffs, ainsi que des milliers de supporters.

Sans parler de la question des températures sur place à l'été 2030, des réserves en eau disponibles pour arroser les pelouses ou encore de la création de stades. "Dans l'empreinte carbone, le deuxième poste le plus polluant après le transport est la création de stade. Celle-ci mobilise beaucoup de matières premières et de transports", note Antoine Miche.

Le foot et son devoir d'exemplarité 

En tant que premier sport mondial, le football aurait, selon les experts interrogés, un devoir d'exemplarité en la matière. "Pourtant, aujourd'hui, le football est plutôt à l'opposé, avec un prisme qui est surtout économique et qui ne prend pas en compte son avenir. La planète est son terrain de jeu, au sens propre comme au sens figuré. Si la planète n'est pas vivable parce que nos actes vont à l'inverse de ça, clairement il n'y aura plus de football", abonde Antoine Miche, fondateur et directeur général de Football Ecologie France.

"On rêverait que le monde sportif, et en l'occurrence la Fifa, montre l'exemple sur le sujet, remarque Arnaud Saurois, maître de conférences associé, à l'université de Poitiers. Si le choix des villes hôtes repose sur des pays déjà équipés en termes d'infrastructures, et d'aller là où sont les spectateurs sans qu'ils aient besoin de se déplacer pour assister aux matchs, on pourrait se dire qu'il y a des choses intéressantes. Malheureusement, on sait bien que dans la réalité, on va multiplier les déplacements et donc alourdir le bilan carbone de ce type d'événement", poursuit ce spécialiste, qui regrette que le monde du football ait manqué ce rendez-vous pour montrer la voie.

"Car malgré tout, le sport reste un micro-sujet, mais un micro sujet très influent dans le monde."

Arnaud Saurois, maître de conférence associé, à l'université de Poitiers

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Pour les experts, cette pré-désignation amène à réfléchir au modèle des compétitions internationales dans ce contexte de préservation de la planète. "Ne faudrait-il pas passer par la création d'une agence externe qui assure des garanties sociétales et environnementales pour l'attribution des grands événements ? Car, tant qu'il y aura toujours, au sein de ces organisations, des tensions entre l'économique et le politique, cela risque malheureusement encore une fois de l'emporter", avance Aurélien François.

Surtout, la question de l'avenir se pose dès aujourd'hui. "La réalité de la planète fera changer les choses, si dans quelques années, on a de nouvelles réglementations et contraintes, prévient Antoine Miche. Si en 2030 au Portugal, en Espagne, ou au Maroc, il fait cinquante degrés en journée, il n'y aura pas de compétition. Ou alors, il faudra des stades climatisés. Mais là, on repart sur la question du Qatar." Pour lui d'ailleurs, ce qui se dessine pour 2030 "n'est pas du tout faisable. La planète sera de plus en plus chaude, avec de plus en plus de tempêtes et autres événements climatiques, et les réglementations évolueront forcément, conclut-il, parce que les Etats ne pourront pas considérer que ce genre de compétition sera logique en 2030."

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