Une jolie "Parade" sous le signe d’Erik Satie pour la réouverture parisienne du théâtre du Châtelet
Trois ans de travaux pour le théâtre du Châtelet avant réouverture ce week-end, sous le signe joyeux des parades circassiennes et d’Erik Satie, dont le ballet du même nom avait fait scandale en ce même lieu- c’était en 1917.
Et la parade commençait non loin, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, non pas en fanfare mais en tambours, une centaine de musiciens d’ici et d’ailleurs accompagnant de leur rythmique frénétique les Marionnettes géantes du Mozambique, ambiance de carnaval garantie : impressionnante matrone tout en rose, y compris le fichu, grand gars en chemise africaine et pantalon rouge, plus petit personnage en Arlequin, sorcière avec une robe ornée de bouchons de bouteille, et un ours blanc, qui n’est pas vraiment mozambicain à moins que se soit accéléré cet été le dérèglement climatique. Plus un autre petit monsieur-marionnette en vert et rose, distribuant des fleurs en papier.
Un joyeux cortège devant le théâtre du Châtelet rénové
Ce joyeux cortège, au son des tambours, empruntant l’avenue Victoria, quelques centaines de mètres, les grandes marionnettes tendant leurs larges paluches articulées aux petits enfants parfois inquiets dans leurs poussettes… Une queue raisonnable stationnait devant le théâtre, qui aurait pu, comme pour la parade, être plus nombreuse mais la grève de la R.A.T.P. en avait découragé plus d’un, à l’exception de rudes marcheurs.
On entrait alors, et sans bousculade, dans un hall rénové dans des jolis tons crème. Parcours de salon en salon, dans ce grand foyer où Satie nous attendait devant une accumulation de pianos, en compagnie de sirènes chantant (très bien) quelques-unes de ses mélodies. Ailleurs une chatte noire chantait aussi… au cabaret du Chat noir. Dans une autre pièce (le salon Gréco) un dîner en blanc réunissait marin, marié, lapin borgne et… Néfertiti !
Tout en haut, devant la terrasse où l’on profitait de la vue magnifique sur la Seine et la Cité, un "bar Cocteau" voyait passer des créatures affublées d’un cube blanc en guise de tête, griffonné des vers du poète. A côté il fallait entrouvrir une porte pour assister à la "Cuisine des clowns", toujours en noir et blanc, se jetant farine et louches dans des cris hystériques pendant que deux de leurs compères, tout tristes, épluchaient des pommes de terre sur la terrasse -il n’y a rien de plus triste que des clowns épluchant des pommes de terre- alors qu’un troisième larron, joyeux, près d’un bus à miroirs orné d’ampoules de couleurs, se plâtrait le visage devant son reflet -non, magie du cirque, ils étaient deux à faire, l’un face à l’autre, les mêmes gestes…
Il était temps d’entrer dans la salle où Satie nous attendait, assis sur une chaise un litron à la main, devant son "Mercure". Car Mercure était là aussi, écoutant la musique que Satie avait composé pour lui et qui résonnait dans la fosse, un Mercure en jupette avec son casque, ses sandalettes à ailettes, son caducée, sous un magnifique cheval blanc ailé suspendu au-dessus de la scène. Dommage que, ponctuée par l’installation des spectateurs, on ait perdu de cette musique rarement donnée que jouait avec science l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de Matthias Pintscher !
Danse, cirque et musique...
Mais le spectacle commençait. Un spectacle mêlant danse, cirque et musique, comme un signal lancé des fondamentaux du théâtre. Un théâtre superbement remis à neuf, retrouvant tout l’éclat que des années de souffles humains avaient terni, à l’égal désormais de son contemporain, l’Opéra-Garnier. Sur une musique gutturale et impressionnante du groupe ukrainien DakhaBrakha se succédaient une magnifique acrobate sautant très haut en retombant sur une barre de caoutchouc (tenue par deux costauds) avec une précision de danseuse, une femme-oiseau très haut aussi sur son fil de fer, un petit homme habillé comme un réfugié, bonnet grenat compris, dans d’éblouissantes figures de hip-hop (sans musique) et une femme à la crinière rousse traversant un cerceau suspendu dans les airs, elle-même suspendue avec la grâce d’un ange sexué.
Ils n’étaient pas russes mais français, de la compagnie Boîte noire de Stéphane Ricordel. Les remplaçaient au milieu des clowns déchaînés les Américains de "Streb Extrême Action", entre gymnastique et danse. Impressionnants surtout les trois athlètes accrochés en haut d’un portique par des chaussures aimantées et qui tournent sur eux-mêmes lancés dans le vide, avec des grâces de cosmonautes et un plaisir qui se lie dans leur regard joyeux et dans les subtiles variations (très chorégraphiques) qu’ils apportent à leur tournoiement.
Mais pas le "Parade" d'origine
Deux autres variations (à quatre puis à six) nous laissaient aussi sans voix, entre fascination et… peur de la chute. Et c’était fini et c’était bien joli et bien imaginé. Avec tout de même un gros regret : Satie n’était qu’un prétexte. Pourquoi donc ne pas avoir joué aussi ce ballet Parade, commande de Diaghilev, livret de Cocteau, rideau de scène et costumes de Picasso, chorégraphie de Massine, et qui ne dure que 20 minutes ? C’eût été réinscrire le Châtelet dans son histoire en tendant un autre fil solide, parmi tous ceux qu’on avait entrevus…
"Parade", spectacle de réouverture du théâtre du Châtelet à Paris le 13 septembre au soir, continué le 14 et le 15 septembre avec le même spectacle et les mêmes ou d’autres attractions. Le premier "vrai" spectacle de la saison sera Les justes, tragédie musicale d’Abd Al Malik d’après la pièce de Camus, du 5 au 19 octobre.
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