Au cœur de cette Seconde surprise de l’amour jouée à l’Odéon, un dilemme : peut-on aimer deux fois ? Alain Françon nous donne à entendre le texte de Marivaux et les atermoiements des personnages de façon limpide et savoureuse, dirigeant avec son art habituel une distribution aux petits oignons. Ne plus aimer ? La Marquise, en deuil de son époux, est sombre, insensible aux beautés de son jardin. Son voisin, le chevalier, broie du noir lui aussi, son amour d’Angélique a décidé de rentrer au couvent, ne pouvant se résoudre à être promise à un autre que lui. Nos deux esseulés ont donc juré de ne jamais plus aimer, mais en se rencontrant ils se réjouissent d’avoir trouvé une épaule charitable et d’autant plus compréhensive que leur expérience des tristesses amoureuses est semblable. Il va pouvoir s’établir entre eux une relation de bon ton, basée sur de communs regrets. Une belle amitié va en naître, c’est en tout cas ce qu’ils veulent croire… Bien entendu une inclinaison va s’épanouir, que ces deux-là n’auront de cesse de dissimuler, interprétant de travers le moindre geste ou la moindre pensée de l’autre, se refusant à imaginer qu’il puisse redevenir aussi vite un objet amoureux. "La Seconde surprise de l'amour" mise en scène par Alain Françon (JEAN-LOUIS FERNANDEZ) Georgia Scalliet très bien entourée Alain Françon donne un rythme et un pétillement constant à cette partition où les revirements s’enchaînent à la vitesse du son. Il a pour le servir Georgia Scalliet, sociétaire de la Comédie-Française, qui excelle à ce petit jeu, passant du dépit à la colère avec une légèreté de ton délicieuse. Le Chevalier de Pierre-François Garrel est sidéré par l’amour, comme empêché par sa jalousie envers le Comte qui a des vues sur la Marquise. Tous deux révèlent à leur insu leurs fragilités, touchant infiniment le spectateur. Pierre-François Garel (Le Chevalier) et Georgia Scalliet (La Marquise) dans "La Seconde surprise de l'amour" (JEAN-LOUIS FERNANDEZ) Un texte qui résonne en nous Les domestiques, dévoués et pleins de bon sens, essaient de jouer les coachs : amoureux l’un de l’autre, eux veulent montrer à leurs maîtres que l’amour n’a pas besoin de ces aveuglements. Coach, on emploie ce mot à dessein tant l’aisance avec laquelle les acteurs se sont mis en bouche le texte de Marivaux résonne en nous de manière contemporaine. La Marquise et le Chevalier sont des personnages d’aujourd’hui, comme le sont Lisette, où Suzanne de Baecque, élève de Françon à Lille, irradie d’un beau tempérament comique et le Lubin gouailleur et malin de Thomas Blanchard. Pierre-François Garel, Suzanne De Baecque, Georgia Scalliet et Thomas Blanchard dans "La Seconde surprise de l'amour" (JEAN-LOUIS FERNANDEZ) La scénographie élégante de Jacques Gabel, les costumes intemporels de Marie La Rocca participent à la réussite de ce spectacle qu’Alain Françon a mis en scène avec sobriété, travaillant d’abord la langue de Marivaux et les sentiments qui rythment l’intrigue. Une délicieuse partie de cache-cache amoureuse à ne pas manquer. "La Seconde Surprise de l'amour" de MarivauxOdéon-Ateliers Berthier1, rue Suares, Paris 17e01 44 85 40 40Du 5 novembre au 4 décembre 2021