"Un prince" à la Comédie des Champs-Élysées : Sami Bouajila, impressionnant d’authenticité dans une pièce bouleversante sur la mémoire

Sami Bouajila incarne à la fois un père et son fils dans un seul en scène poignant sur la mémoire, la transmission et l’absurdité d’un système économique. Magistral.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
Sami Bouajila dans la pièce "Un prince" à la Comédie des Champs-Élysées. (OLIVIER WERNER)

Le père et le fils, ici et là-bas, le périphérique et l’océan, les tours et les champs d’arganiers, les rêves et les cauchemars, les souvenirs et la mémoire… Dès son entrée en scène, courbé, articulations rigides, avec son chariot déglingué, Sami Bouajila installe d’emblée son personnage. Un clochard céleste qui charrie son Caddie sur un terrain vague traîne avec lui une histoire qui mérite d’être narrée. Sami Bouajila, seul en scène, est cet homme hanté par le passé, et refusant d’habiter dans un présent incertain. Alors, il ne voit ni les tours, ni le périphérique. Dans ses yeux, c’est un paysage rocailleux, avec un champ d’arganiers et, tout au bout, l’océan. Il voit des chèvres, là où un vigile voit des rats.

Pour l’amour de Jeanne

La ville le rejette ? Il crée un paradis, loin du vacarme et de la fureur. L’imaginaire le sauve. L’imagination et la mémoire. Et il se souvient. Il se souvient de son grand amour, le seul, Jeanne. Très jeune, il est tombé amoureux d’elle, sa voisine de la tour d’en face. Malgré la colère du père de Jeanne, un ancien de la guerre d'Algérie. "Jeanne rêvait d’être ailleurs, elle rêvait d’espace et de liberté." Jeanne finit par le quitter, des années plus tard. Désespérée du désespoir de son homme. "Peut-être que j’ai tout inventé. Qu’est-ce que les gens s’en foutent de la vérité !". Licencié par son entreprise, abandonné par sa femme, il erre. "Je suis devenu un fantôme, ma femme m'a quitté. Il ne me reste rien, rien d'autre que la mémoire de mon père."


L’homme vient de loin, d’Afrique du Nord. Plus précisément son père. Recruté de l’autre côté de la Méditerranée pour travailler dans les mines du Nord, le père a des ambitions : "Je fais le rêve que mon fils grandisse dans un pays en paix." Sami Bouajila incarne le père et le fils. Il passe de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante tout en portant l’épaisseur et la finesse de ses personnages.  Alors que le père accède à un meilleur confort, le fils, lui, n’arrête pas de sombrer. Ironie de l’histoire : l’usine où il travaillait s’est délocalisée dans le pays de son père et lui propose d’y occuper un emploi pour un salaire de misère.

Un prince, un texte fouillé d’Émilie Frèche aux prises avec l'histoire et ses stigmates. "Si j’ai décidé de m’aventurer dans ce récit en tant qu’interprète et coproducteur, c’est avant tout pour sa résonance avec mon histoire, mes doutes existentiels et parce qu’il me renvoie à l’une des préoccupations premières de nombreux comédiens, celle de mettre en jeu dans la fiction des expériences profondes, comme il en existe dans la vie à travers des rôles qui ne sont pas des caricatures d’êtres humains", explique le comédien. Sami Bouajila, un prince majestueux qui revient au théâtre après une longue absence. Un prince, une pièce indispensable.

La fiche 

Titre : Un prince
Autrice : Emilie Frèche
Mise en scène : Marie-Christine Orry assistée d'Olivier Brillet
Scénographie : Jean-Pierre Laporte
Costumes : Pascal Vervloet
Lumières : Zizou
Son : Richard Stradiotti
Maquillage : Emma Chicotot
Lieu : Comédie & Studio des Champs-Élysées
15 avenue Montaigne, 75008 Paris
Dates : jusqu’au 31 mars

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