"Un juge" : la loi face à la justice dans un seul en scène percutant de Fabio Alessandrini au théâtre de La Reine blanche
L’histoire d’un juge italien, inspiré notamment par les juges Falcone et Borsellino, qu'interprète Fabio Alessandrini dans une formidable performance et une mise en scène inventive.
Après L’Equation en 2019, sur l’infiniment grand et l’infiniment petit, puis deux années de Covid, Fabio Alessandrini revient jusqu’au 1er mai pour cinq représentations d’Un juge, spectacle qu’il donnera en 2023 à Avignon. En avant-première, il reste une semaine pour voir à La Reine blanche à Paris cette autre "équation" à résoudre entre la loi et la justice. Un spectacle où l’écriture, le jeu et la mise en scène créent l'achimie.
Sobre, beau et vibrant
Un juge se raconte, depuis ses premières affaires locales dans le sud de la Sicile, jusqu'à ce qu'il soit confronté à la mafia locale. Cela lui vaut d’être nommé à Palerme, dans le nord de l’île. Il ira jusqu’à Bogota, où le trafic de drogue, évidemment, le rattrapera. Un parcours sacrificiel, au prix d’une vie laminée et au risque de la perdre, et qui s’efface dans une quête inextinguible de justice.
Fabio Alessandrini s’est notamment inspiré des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino qui ont perdu la vie dans leur lutte anti mafia. Ce juge est seul, comme Fabio Alessandrini sur scène. En fond de cour, se dressent quatre rectangles noirs, debout comme des cercueils. Ils sont sporadiquement animés d’images discrètes, abstraites, qui évoquent les morts : les victimes que l’on oublie, alors que les noms de leurs assassins demeurent. Le dispositif scénique est sobre, spectaculaire et élégant, agrémenté d’une bande son au diapason. On entend une pluie cristaline de douilles cuivrées sur la description d’un sol jonché de balles.
Conversation secrète
La dramaturgie recoupe une construction cinématographique, où chaque scène, qui raconte une histoire, succède à une autre. Comme dans un film où l’on passe d’un plan à un autre, d’une diégèse à la suivante. Des cas se succèdent pour n’en faire plus qu’un : le bilan d’un juge.
La première projection du spectacle visualise une disparition, image en soi paradoxale. Mais ce paradoxe participe au sens de la pièce, où l’application de la loi est confiée à une institution qui la détourne, l’efface, l’éradique. C’est tout le drame de ce juge, d'Un juge. La scène du magnétophone à bande cite Conversation secrète de Coppola, et les subtils éclairages donnent sens. La beauté réside dans cette plastique, une esthétique cinématographique qui participe à la dramaturgie, au drame.
L’intelligence du texte émane de la progression narrative qui expose l’incompétence de la Justice à faire appliquer la loi, qu'elle soit civile ou pénale. Sur scène, en toute poésie, un juge met sur la table, sur les planches, sa vie, et Fabio Alessandrini sa conviction et son art. Selon André Malraux, "juger, c'est évidemment ne pas comprendre, puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait plus juger". Beau, philosophique et édifiant.
Un juge
De et avec Fabio Alessandrini
Mise en scène : Fabio Alessandrini, collaboration à la dramaturgie Riccardo Maranzana, regard extérieur Karelle Prugnaud
Du 27 avril au 1er mai 2022 à 19h
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis Pass. Ruelle, 75018 Paris
01 40 05 06 96
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