"Pitchipoï" : seule sur scène, Fabienne Babe est une enfant lumière déportée, évadée, resplendissante

Fabienne Babe illumine ce seul en scène qui adapte "Refus de témoigner" de Ruth Klüger, où elle raconte comment, enfant, elle parvint à s’échapper avec sa mère du camp d’Auschwitz en 1944.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
L’actrice Fabienne Babe dans Pitchipoï mis en scène par Jacky Katu (Zoé Parisot)

Pitchipoï est le nom donné par les enfants à l’endroit inconnu où ils allaient être déportés depuis Drancy entre 1942 et 44, et dont ils apprenaient la désignation véritable une fois arrivés à destination : Auschwitz. Adaptée de l’histoire que raconte Ruth Klüger dans Refus de témoigner (Ed. Viviane Hamy), il émane de Pitchipoi une vitalité fabuleuse grâce à Fabienne Babe, aérienne dans la mise en scène de Jacky Katu. Pitchipoi est au Théâtre de l’Essaïon, à Paris, pour encore deux représentations exceptionnelles, les lundi 9 et mardi 10 octobre.

La Vie est belle

Dans sa robe plissée écossaise rouge, tout en légèreté, glissante, douce comme une plume d'ange, Fabienne Babe incarne l’enfance enfermée à Drancy, puis Auschwitz, pendant la Seconde Guerre mondiale, avec ses déportations, et génocides du peuple juif, tzigane et des homosexuels. Au regard de ce qui se passe aujourd’hui en Arménie avec l’annexion brutale du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, les temps n’ont guère changé. Aujourd'hui les Arméniens, comme en 1915, les enfants ukrainiens depuis février 2022, hier les Tutsis, les pogroms ancestraux... l'histoire balbutie.

Plutôt que de décrire l’horreur des camps, impossible à rendre, Jacky Katu et Fabienne Babe s’emparent du Refus de témoigner de Ruth Klüger, au sens propre, sans jamais ne rien montrer de la Shoah. La mise en scène et l'interprétation transmettent la vision de l’horreur avec le recul des yeux de l’enfance, et la protection qu'elle va ainsi pouvoir procurer à sa mère. Si l’on peut penser à La Vie est belle de Roberto Benigni, Pitchipoï va plus loin.

Dix centimètres au-dessus du sol

La dramaturgie est portée par l’évasion finale, et on ne spolie rien en la dévoilant, car elle est constamment sur scène, dans l’univers que créé la fillette autour d’elle, alors que de rares accessoires occupent l'espace scénique. Fabienne Babe marche à dix centimètres au-dessus du sol, danse, vol, d’un bout à l’autre de la scène dans une chorégraphie virevoltante au milieu d’un hors-champ jamais absent. En cela Pitchipoï précède la sortie au cinéma le 31 janvier prochain de La Zone d’intérêt, de Jonathan Glazer, Grand prix du Festival de Cannes, qui traite de la Shoah dans toute son horreur sans jamais la montrer. La monstruosité et la peur ne sont jamais aussi fortes que quand elles sont suggérées.

Ruth Klüger, Jacky Katu et Fabienne Babe jouent un accord parfait en interprétant une vision paradoxale de l’histoire par celle d'une enfant. Elle n’a pas peur, est rassurante, protectrice de ses ailes d’ange auquel la comédienne prête ses traits juvéniles et sa beauté délicate. Pitchipoï témoigne de ce dont on ne peut témoigner, car les mots manquent. Il ne s’agit pas de déni, mais de survie et d’ouverture sur la liberté que permet l’enfance.

Pitchipoï
De Jacky Katu, d’après Refus de témoigner de Ruth Klüger
Mise en scène : Jacky Katu
Avec : Fabienne Babe
Lundi 9 et mardi 10 octobre, 19h
Théâtre de l’Essaïon
6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris
Tél : 01 42 78 46 42

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