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"Pédagogie de l'échec" : une dystopie employeur-employé dans un monde qui s'effondre, par Pierre Notte, à la Manufacture, à Paris

Créée en 2014, la pièce de Pierre Notte était prémonitoire des changements des rapports professionnels que la pandémie allait entraîner.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Julian Watre et Clara de Gasquet dans "Pédagogie de l'échec" de Pierre Notte, à la Manufacture des Abbesses, à Paris (2023). (L'AIGLON)

Que ce soit en famille, au travail, en amitié ou dans le couple, Pierre Notte ausculte les rapports de force qui animent ses contemporains. Dans Pédagogie de l'échec, il imagine un cadre supérieur et sa comptable, seuls au septième étage d’un immeuble détruit suite à une catastrophe. Obnubilés par leur tâche, ils veulent coûte que coûte continuer à travailler et faire comme si le monde ne s’était pas effondré. La mise en scène minimaliste de Pierre Notte participe d’une situation surréaliste, pour mieux dénoncer des rapports sociaux des plus concrets. Pédagogie de l'échec se joue à la Manufacture des Abbesses, à Paris, jusqu‘au 17 juin.

Au bord du vide


Dans un espace drapé de noir, un homme en costume cravate et une femme en tailleur tracent sur le sol l’espace qu’il leur est imparti. Ils n’en sortiront pas, et pour cause : tout autour d’eux est en ruine après un déluge dont on ne connaît pas la cause, sans doute un tremblement de terre. Lui est cadre supérieur et elle comptable. Le premier étonnement passé, tous deux reprennent rapidement leur habitude de travail dans un rapport hiérarchique très codifié. Mais comment travailler quand tout à disparu, et qu’il n’y a plus rien à faire ? Il va bien falloir trouver d’autres occupations : combler le vide en se repositionnant l'un à l'autre.

Lui a tout du jeune loup qui a réalisé son objectif professionnel : diriger un service contentieux en assouvissant sa soif de commandement. Julian Watre, très british, campe un jeune parvenu malhabile dans sa quête d’autorité. Elle, elle gère la comptabilité, pragmatique et organisée, en débordant sur un peu de secrétariat qui n'incombe pas à ses fonctions. Clara de Gasquet, pimpante, pragmatique et efficace maîtrise la situation et a réponse à tout, ou presque.

Dominant-dominé


Le plus perturbé des deux, c’est encore lui, réduit à n’avoir que comme interlocutrice une subalterne qu’il méprise et asservit sans pour autant avoir la carrure du "loup-cervier" qu’il rêve d’être. Elle, laisse tomber la pluie et va plus d’une fois le rattraper avant qu’il ne chute. Le rapport dominant-dominé est au cœur de la pièce. Ecrasant de suffisance dans la première partie, il va devoir s’amadouer, obligé de faire cause commune. Elle, a quasiment brisé les barrières et se libère du carcan hiérarchique, jusqu’à prendre emprise sur lui. Un rapprochement est-il possible ?

Pierre Notte joue d’un texte répétitif qui stigmatise l’aliénation des tâches professionnelles avec une tonalité absurde des plus réjouissantes. C’est comme si le travail à la chaîne des Temps modernes de Chaplin était appliqué au secteur tertiaire. Les personnages et leur rôle évoluent avec force dramaturgie, où les sentiments prennent un tour allant jusqu’à l’incongru, comme par désespoir. La langue de Pierre Notte fait mouche et l’humour n’est pas absent de cette lutte des classes qui perdure, même quand tout est perdu. La mise en scène sobre de l'auteur, qui rappelle un peu Dogville de Lars von Trier, avec de rares accessoires, valorise un texte et des enjeux des plus contemporains, sans relâcher une seconde l’attention. Moderne.

Pédagogie de l'échec
De Pierre Notte
Mise en scène : Pierre Notte
Avec : Clara de Gasquet et Julian Watre
Du 19 avril au 17 juin, les mercredis, jeudi, vendredi et samedi 19h – relâches 18, 19, 20 mai et 7 juin
La Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris
Tél : 01 42 33 42 03

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